Un an après la publication du manifeste des lucides, l'ex-premier ministre Lucien Bouchard est revenu à la charge, en entrevue à TVA, lundi, où il a déclaré que les Québécois «ne travaillent pas assez». S'il y a du vrai dans cette nouvelle sortie destinée à brasser la cage, la sagesse voudrait qu'on y regarde de beaucoup plus près pour comprendre les défis qui nous attendent et les mesures structurelles à adopter pour y faire face.
Les statistiques le démontrent : les Québécois travaillent moins d'heures par année, en moyenne, que les Ontariens et les Américains. Plusieurs raisons expliquent ce constat : par exemple, les taux de chômage et d'inactivité sont plus élevés ici, il y a plus d'employés à temps partiel aussi et les gens prennent leur retraite plus tôt. Ce n'est donc pas notre origine latine qui explique l'essentiel de l'écart, mais les conditions du marché, dont certaines sont toutefois influencées par la fiscalité et les lois du travail, il faut aussi le reconnaître.
Ce qui est certain, c'est que le Québec ne parvient toujours pas à combler le retard qui le sépare de la moyenne canadienne en matière de productivité, d'emploi et de niveau de vie.
Toutes les études des cinquante dernières années ont montré qu'il existe des liens directs entre formation, recherche et développement, investissements et niveau de vie de la population. Or, quand on affirme sans plus de précisions, comme l'a fait M. Bouchard, que les Québécois ne travaillent pas assez, on est plus susceptible de diviser et de démobiliser les troupes que d'inciter les jeunes à étudier ou les vieux à retarder l'âge de la retraite. Il est d'ailleurs ironique de rappeler pour la centième fois que c'est le même monsieur Bouchard qui avait choisi la mise à la retraite prématurée d'employés compétents pour régler un problème budgétaire temporaire !
Plusieurs des obstacles auxquels nous faisons face aujourd'hui sont de nature structurelle. S'y attaquer exige à la fois un diagnostic précis et détaillé, partagé par la majorité, et la détermination politique de changer les choses. Après plusieurs années de croissance ininterrompue, l'économie québécoise semble avoir atteint un plateau, duquel nous risquons de tomber douloureusement si nous ne prenons pas les mesures d'adaptation qui s'imposent. Le vieillissement de la population fait partie de ces problèmes, mais il y a aussi la décroissance rapide des régions ressources, la concurrence des pays émergents dont la Chine, l'écart de productivité, le retard en matière de recherche et développement et l'intégration des nouveaux arrivants, pour ne nommer que les plus évidents.
Au lieu de s'affronter dans un débat public stérile à propos d'interprétations sommaires et grossières concernant la conjoncture, le temps est venu de s'arrêter pour réfléchir au sein d'une grande commission d'enquête dont le mandat serait de dresser le portrait objectif de la situation, d'identifier les forces et les faiblesses de cette société au plan social et économique, puis de proposer les réformes structurelles qui s'imposent pour une adaptation harmonieuse du Québec à l'économie de ce siècle.
Est-ce vrai que le Québec souffre d'immobilisme quand on le compare à ses principaux partenaires économiques ou n'est-ce pas plutôt un problème de partage de la richesse, comme on l'entend aussi souvent ? Voilà des diagnostics qui méritent d'être confrontés aux faits.
Une telle commission d'enquête coûte cher puisqu'elle doit aller beaucoup plus loin que ne le ferait une commission technique. Cher, mais certainement moins que n'importe quelle de ces mesures ou programmes gouvernementaux qui sont lancés dans la polémique pour éteindre des feux et dont on ne peut que constater l'échec quelques années plus tard.
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j-rsansfacon@ledevoir.com
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