Une énergie presque donnée

Budget Québec 2010

Quand, en mars dernier, le vérificateur général du Québec tirait une sonnette d'alarme sur le manque de suivi du gouvernement dans la perception des droits miniers, à peu près tout le monde s'entendait sur l'élément suivant: oui, le gouvernement québécois doit retirer une compensation suffisante pour l'exploitation des ressources naturelles.
Pourtant, ce constat n'a eu aucune résonance à propos d'une autre ressource naturelle dont le Québec bénéficie grandement: la force hydraulique.

Les droits payés par les utilisateurs de la force hydraulique, pour la production d'électricité, sont en effet ridiculement bas au Québec: 2,84$ par 1000 kWh. C'est moins de 1/3 de cent par kWh, quand le prix de l'électricité résidentielle est de 5,45¢/kWh (pour les premiers 30 kWh de consommation quotidienne).
En termes de contenu énergétique, 1000 kWh représentent environ 60% d'un baril de pétrole. Si l'hydro-électricité québécoise est notre or bleu, l'équivalent du pétrole albertain, le gouvernement est en train de la vendre à environ 1,70$ le baril. Quand le prix du baril de pétrole tourne autour des 65-70$ (en dollar américain), ce prix tient de la fraude, de l'inconscience ou carrément de la bêtise. Ce sont les propriétaires de la ressource hydraulique qui se font avoir: ils donnent presque leur énergie propre, une des meilleures qui soit.
Les propriétaires, ce sont tous les Québécois. Cette énergie est utilisée par trois groupes: d'abord l'industrie (environ 50% de la consommation québécoise), ensuite eux-mêmes (la consommation résidentielle représente 30% de la consommation québécoise), et enfin les commerces et autres institutions publiques (environ 20%).
Évidemment, l'industrie énergivore du Québec contribue à l'économie et cela doit être pris en compte. Mais le prix actuel auquel nous lui accordons la ressource hydraulique (et donc l'hydroélectricité) est ridiculement bas... nulle part ailleurs sur la planète n'y a-t-il une terre d'accueil aussi stable, avec une main-d'oeuvre instruite, et une électricité aussi abondante, propre et si peu chère qu'au Québec.
En l'offrant à l'industrie à si bon marché, nous lui faisons un cadeau (une subvention déguisée), qui n'est pas dans notre intérêt à long terme.
Du côté résidentiel, ces bas prix profitent avant tout à ceux qui ont la plus grande capacité de consommer: ceux qui ont les moyens d'avoir une maison unifamiliale (150 mètres carrés de surface en moyenne) avec quatre murs exposés au froid, remplie de différents électroménagers. Ceux qui vivent dans des maisons attenantes (125 m2) ou des appartements (85 m2) consomment beaucoup moins, surtout en chauffage. En fin de compte, ce sont donc les ménages vivant dans les «Hummer du logement» qui utilisent le plus notre électricité à 1,70$ le baril (soit l'équivalent de 3¢ le litre d'essence). Est-ce normal de la vendre si peu chère?
Ces cadeaux que nous faisons à certains ne pourraient être qu'une erreur sociale: un groupe de propriétaires décide de se partager inéquitablement une ressource commune, en la donnant en nature à des consommateurs plutôt qu'en se partageant sa valeur financière. Le problème, c'est que cette erreur sociale a aussi un coût environnemental: en même temps que nous consommons notre électricité trop peu chère, nous ne faisons pas tous les investissements en efficacité énergétique que nous pourrions faire.
Pire, nous dépensons des centaines de millions de dollars pour promouvoir cette efficacité. En 2008, l'Agence d'efficacité énergétique a dépensé 68 millions tandis qu'Hydro-Québec a mis 236 millions dans son Plan global en efficacité énergétique. Malgré ces millions, notre grand potentiel d'efficacité énergétique (13% de la consommation résidentielle) reste largement intact. Effectivement, pourquoi changer quand le statu quo individuel coûte si peu cher?
L'idée du Parti libéral du Québec d'augmenter les tarifs d'électricité coule donc de source. Elle est logique et écologiquement juste. Mais il faut aussi qu'elle soit présentée ainsi: comme une décision tournée avant tout vers le développement durable de notre société, plutôt que comme un pansement sur un budget qui fuit de partout.
Comme les Québécois ont à coeur la juste exploitation de leurs ressources naturelles et la qualité de l'environnement, si on prend la peine de leur expliquer la situation, il leur sera possible d'accepter d'augmenter le prix de l'électricité.
***
Pierre-Olivier Pineau
L'auteur est spécialiste en politiques énergétiques et professeur agrégé à HEC Montréal.

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L’auteur est professeur agrégé à HEC Montréal

Il organise, le lundi 20 octobre prochain, le colloque l'Énergie et le développement durable ([http://blogues.hec.ca/gridd->http://blogues.hec.ca/gridd]).





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