Quand je t'ai vu la première fois il y a plus de 20 ans, tu m'apparaissais fou. Je n'entendais rien et je ne comprenais rien de ce que tu disais. Monsieur savait tout. Un savoir dont je ne distinguais pas la tête du pied. Je ne voulais plus te revoir.
Dieu merci, ce vœux n'a pas été exaucé. Quand je t'ai revu pas très longtemps après, j'ai ressenti déjà à ton égard une irrésistible amitié. Il faut dire que j'ai fais un grand effort pour décoder ton langage. De ta part aussi, tu en as fais un petit pour faciliter la tâche au nouvel arrivant que j'étais. Mais en fait, ce n'est pas te comprendre mieux qui explique mon soudain sentiment d'amitié pour toi. C'est ce charme naturel qui donnait à tes propos la dimension du rêve. De l'utopie. Tu n'étais pas fou. Tu étais un rêveur comme j'en ai rarement rencontré.
L'objet essentiel de ton rêve, c'était ta ville. Ses rues, ses ponts, ses parcs, ses places publiques, ses tunnels, ses gares et ses ruines. Tu as grandi dans le quartier de Centre-sud de Montréal, mais c'est toute la ville que tu appris à connaître dans ses moindres détails et doucement, tu l'as redessinée dans ta tête. Ton projet de vie, c'était de l'embellir, de la refaire et la rendre accessible à tous.
Je viens d'un pays et d'une culture où tout ce qui est en dehors de la maison, ne nous appartient pas. En tant que jeune journaliste dans mon pays d'origine, j'avais osé une fois, sûrement par inconscience, m'attaquer aux responsables de la ville pour avoir laissé longtemps un pont inachevé. Alors, t'entendre te réapproprier la ville avec autant d'aisance et de liberté cela m'avait profondément réconforté. Mais comparé à toi, je n'étais qu'un petit rêveur.
Tu étais un grand rêveur, mais au cœur du réel. Tu projetais le meilleur pour ta ville. Tu as imposé ta présence au milieu de combien de Conseils d'administration et combien d'assemblées générales qui touchent de près ou de loin aux intérêts de Montréal, à son image, à son aménagement, à son histoire, à sa mémoire et même à ses ondes radiophoniques. Tu te qualifiais ami des ruines. Tu les cherchais partout pour révéler les traces sociologiques du passé et pour envisager un autre avenir. Tu archivais le tout au sein de la Société de Conservation du Présent.
Un jour je t'ai invité pour assister à l'enregistrement de l'émission radiophonique Souverains Anonymes. L'invité était Gilles Duceppe nouvellement élu dans Laurier-Saint-Marie. Mais ce sont les Souverains qui t'ont impressionné par leurs questions et leurs analyses au point de leur consacrer une trentaine de tes cartes plastifiées. Ce magnifique et original projet artistique consistait à coller dans des cartes de plastique, de la dimension d'une carte de crédit, des bouts d'images et de phrases d'un évènement passé à Montréal. La radio des Souverains en a fait partie. À ta manière tu as participé à libérer leur parole. Je te promets que tes cartes seront exposées lors de l'évènement qui marquera le 100me anniversaire de la prison de Bordeaux en 2012.
Tu as été un rêveur en action. Tu as marqué plusieurs coups. Je ne les connais pas tous. Mais je peux aujourd'hui révéler que c'est grâce à toi qu'une radio communautaire de Montréal a échappé à un certain naufrage. Elle a failli passer du communautaire à autre chose de beaucoup moins communautaire. Par tes connaissances de la ville, de ses structures et de ses règles, tu as fait ce qu'il fallait. Par ce seul coup, tu as rendu un immense service aux auditeurs de cette radio qui rayonne aujourd'hui sur tout Montréal.
Tu manqueras à tous ceux et celles qui t'ont croisé sur leur chemin. Ta généreuse présence me manque déjà. J'ai beaucoup appris et retenu de ton immense savoir, de ta vision d'une ville plus humaine et de ta voix, devenue avec le temps douce et sereine. À l'image de ton âme. Cette voix qui s'est confiée un jour devant mon micro parlant de hasard et de mort: http://www.souverains.qc.ca/exsonore/hasard2.mp3
Tu es parti beaucoup trop tôt Philippe, trop jeune, alors que tu avais encore beaucoup à donner et à rêver. Des nombreux témoignages de tes amis, je retiens une profonde reconnaissance pour tout ce que tu as donné. J'ai l'intime conviction qu'un jour, une des belles rues de Montréal, mieux encore un parc ou une place publique portera ton nom.
Ça sera la moindre des choses.
Mohamed Lotfi
Extraits d'un reportage diffusé à Macadam tribus: Le hasard.
http://www.souverains.qc.ca/exsonore/hasard2.mp3
La Société de conservation du Présent.
http://lascp.com/Archives/Index000.html
Philippe Côté est ami des ruines.
http://www.3e-imperial.org/alica/4_manoeuvre.htm
Mémorial Philippe Côté.
http://lascp.com/
Philippe Côté 1957 - 2011
Une des rues de Montréal portera ton nom.
Tribune libre
Mohamed Lotfi66 articles
Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux
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1 commentaire
Gérald McNichols Tétreault Répondre
28 août 2011On aurait dit que l'esprit de la ville s'était emparée de l'âme de Philippe pour nous rappeler à elle. Montréal s'était incarnée en lui pour se rappeler à nous. Non pas avec notre perception contemporaine mais avec celle d'une ville qui a connu d'autres vies et d'autres époques et qui a peine à comprendre ce que nous lui faisons endurer parce qu'elle se rappelle de ce que nous ignorons. Il faut dédier à Philippe, la moindre section de mur ancien, le moindre segment de quartier, la moindre parcelle de mémoire que nous arrivons à protéger afin que le monde réel conserve et transmette à ceux qui nous suivront bientôt les traces de cette mémoire si ancienne.