IDÉES

Une course à la chefferie sans Nous?

Au lieu d’ergoter sur la mécanique référendaire, les candidats à la direction du PQ devraient s’intéresser à la mécanique du parlementarisme britannique qui perpétue depuis 250 ans la domination d’un peuple sur un autre

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La folie Nous guette !





Il y a quelque temps, à l’émission de radio Gravel le matin, l’ex-ministre et chroniqueur Joseph Facal faisait remarquer que le Parti libéral se maintient au pouvoir depuis très longtemps, en dépit des scandales et de la corruption avérée qui devraient normalement avoir raison de lui.


 

Ce sont essentiellement 75 % des anglophones et allophones du Québec, auxquels se joignent 25 % des francophones, soit environs 35 % de la population québécoise qui garde le Parti libéral en place depuis bientôt quinze ans. Le chroniqueur observait que, si 75 % du vote des francophones se répartit selon une variété de tendances politiques (Parti québécois, Coalition avenir Québec, Québec Solidaire), l’écrasante majorité du vote anglophone au contraire, alliée à celui d’une minorité de francophones, est massif et récurrent pour le Parti libéral. Joseph Facal concluait que le vote systématique pour le Parti libéral est un vote contre l’indépendance du Québec. Chaque élection devient ainsi, par la force des choses, une élection référendaire.


 

S’il est parfaitement légitime de voter contre l’indépendance du Québec lors d’un référendum, il est impérieux de souligner l’étrangeté de cette position de refus lors d’une élection normale, et de remarquer du même coup que l’indépendance est, quoi qu’on en dise, au coeur de la dynamique politique québécoise. Ce que Joseph Facal n’exprime pas, c’est que l’indépendance à laquelle une minorité s’oppose sans fin n’est pas l’indépendance politique au sens où on l’entend dans une campagne référendaire, c’est-à-dire la souveraineté de l’État québécois.


 

Le vote aveugle d’une minorité de Québécois pour le Parti libéral manifeste plutôt, selon nous, un refus de l’indépendance du Québec comme réalité politique, c’est-à-dire comme souveraineté du peuple québécois. C’est la souveraineté du peuple québécois, sa liberté, son altérité, son autorité qui est systématiquement bafouée à travers notre système politique. Notre système politique ? Quand donc dans l’histoire du Québec le peuple a-t-il eu son mot à dire sur les institutions qui président à sa destinée ? Jamais. Comment est-ce possible ? Dans une démocratie ? Cette question n’est jamais posée.


 

Ni par Joseph Facal, ni par Alain Gravel ce jour-là, ni par Chantale Hébert à la semaine longue, ni par Philippe Couillard, ni par Michel David, ni par Françoise David le restant de l’année, ni par François Legault, ni par Yves Boisvert, ni par Mario Dumont, ni par aucun des candidats à la chefferie du Parti Québécois lors des courses passées et à venir. Cette question essentielle n’est pas posée, ne sera pas posée. Pourquoi ? À qui profite le crime ? Il profite à cette minorité arriérée qui se maintient au pouvoir ou en tire avantage grâce à des institutions héritées du modèle britannique et relayées par le fédéralisme canadien. Des institutions conçues, pensées, voulues, pour refuser à la majorité l’expression de son autorité inhérente.


 

L’aliénation


 

L’autorité de la majorité suscite l’effroi. L’étrangeté de sa permanence dans le temps et dans l’espace est obscène. Aussi a-t-elle honte de ce qu’elle est devenue, ou plutôt de l’image d’elle qu’on lui renvoie : non plus celle d’un peuple traversé d’influences, complexe, métissé, foisonnant, mystérieux, une solitude continentale et lumineuse, mais une ethnie repliée sur elle-même, folklorique, xénophobe, ensouchée, raciste et corrompue. Arriérée. En se soumettant à ce système politique, l’élite québécoise, la classe politico-médiatique, celle qui s’occupe des « vraies affaires », valide cette caricature du peuple. C’est cela l’aliénation. Les succès indéniables du Québec dans les cinquante dernières années voilent ce constat brutal. Ils prouvent qu’il n’en tient qu’à nous, notre volonté, notre créativité, notre savoir-faire pour surmonter le handicap. « Quand on veut, on peut ! », c’est le message asséné, en français si-vous plaît, par la classe politique québécoise tous partis confondus.


 

Le mépris débile qu’exprime ce propos, c’est cela aussi l’aliénation. Il faut y mettre fin. C’est la priorité. Bien avant les listes d’attente pour obtenir un médecin de famille. Bien avant la construction de logements sociaux. Bien avant l’échangeur Turcot. Bien avant l’aide médicale à mourir. La vérité, c’est qu’on veut plus, on peut plus, on n’en peut plus ! La course à la chefferie du PQ qui débute offre un espace inédit pour changer les choses. C’est le lieu, c’est le temps pour le faire. Car c’est le nom même du parti qui est en cause : Parti québécois. Ce nom doit incarner non pas un projet politique, mais bien plutôt une réalité politique et historique.


 

Au coeur de la tragédie


 

René Lévesque lui-même, dont tous les candidats se réclament aujourd’hui, mettait en garde ceux qui avaient choisi, à son corps défendant, le nom de « Parti Québécois » : « Un bien beau nom, mais un nom chargé de l’écrasante responsabilité additionnelle qu’il nous impose. »


 

Cette responsabilité aujourd’hui, dans l’impasse totale dans laquelle se retrouvent ce parti et la population québécoise à sa suite, ne peut plus être repoussée.« Le projet de pays », pas plus que « le pays de projets » ne peuvent faire écran plus longtemps au pays réel. Et le pays réel, ce n’est pas la province réelle. Le pays réel, ce sont huit millions de personnes qui doivent enfin surgir des oubliettes dans lesquelles les institutions politiques britanniques les maintiennent. Des institutions que cautionnent et valident au quotidien, contre toute logique, le Parti Québécois ainsi que la classe politique et médiatique au grand complet. La responsabilité additionnelle qui vient avec ce nom, Parti Québécois, c’est celle de reconnaître enfin le caractère profondément antidémocratique des institutions parlementaires, de comprendre que l’indépendance ne peut se gagner via un système qui nie l’indépendance, la liberté première, innée, des peuples.


 

On n’accède pas à la souveraineté en niant celle du peuple. On ne parvient qu’à creuser l’écart déjà énorme entre les citoyens et leurs représentants, qu’à encourager la méfiance, le cynisme et bientôt la haine pure et simple. Nous y sommes presque. La responsabilité additionnelle, historique, du Parti Québécois, est de faire en sorte que le peuple dont il a pris le nom puisse enfin surgir, puisse enfin être au coeur, le coeur des événements, « non pas spectateur et acteur, mais le lieu même de la tragédie », comme l’écrivait Gaston Miron.


 

Au lieu d’ergoter sur la mécanique référendaire, les candidats à la chefferie et toute la classe politico-médiatique devraient s’intéresser à la mécanique bien concrète du parlementarisme britannique qui perpétue, grâce à la collaboration de nos élites, la domination vieille de 250 ans d’un peuple sur un autre. « La folie, disait Einstein, c’est de refaire sans fin la même chose en espérant un résultat différent. » Une course à la chefferie sans Nous ? Vraiment ?





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