Un texte très inquiétant

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Le Génie québécois : turbulences annoncées


La seule lecture des recommandations un peu fades du rapport Bouchard-Taylor fait écran au caractère radical du diagnostic qui s'y trouve. Loin d'être un rapport de «sages» comme l'ont affirmé trop de journalistes très pressés d'en célébrer la pertinence, il s'agit d'un document fortement idéologique plaidant pour l'implantation définitive du multiculturalisme au Québec. Il faut lire tout le rapport malgré son vocabulaire codé, crypté même, symptomatique de la langue de bois politiquement correcte, pour en comprendre les enjeux. On verra alors se dessiner une nouvelle manière de penser le Québec qui n'est pas sans susciter de vives inquiétudes.

Le rapport de la commission Bouchard-Taylor est centré sur la notion d'interculturalisme, qui serait la réponse québécoise appropriée au problème de la fragmentation de nos sociétés. Il y aurait dans ce dernier un souci réconciliateur absent du multiculturalisme à la canadienne. Mais en cherchant à distinguer artificiellement l'interculturalisme du multiculturalisme, on cherche en fait à exclure du débat une troisième option qui correspond pourtant massivement aux préférences de la population: l'affirmation de la culture nationale majoritaire. Et pour cause: du point de vue des commissaires, une telle affirmation est rejetée d'emblée, parce qu'elle serait équivalente à une forme de volonté assimilatrice, fondamentalement antidémocratique. On comprend donc le raisonnement: il y a d'un côté le multiculturalisme et de l'autre, un refus de la démocratie. C'est à partir d'un tel appareil conceptuel que les commissaires ont abordé le problème des accommodements raisonnables, en diabolisant tous ceux qui n'acceptaient pas leur philosophie de base. (...)
Il s'agit donc de se retourner contre la majorité et d'entreprendre une grande thérapie identitaire pour transformer sa représentation d'elle-même et l'intégrer à une «nouvelle culture citoyenne et interculturelle» qui repose justement sur le dépassement de l'héritage fondateur de la société québécoise. Autrement dit, la véritable culture commune au Québec ne serait pas la culture québécoise mais une «citoyenneté interculturelle» à fabriquer de toutes pièces à partir de chartes de droits sacralisées. On invite alors la majorité à s'intégrer à une nouvelle identité fabriquée en laboratoire par la technocratie pluraliste, une identité dont elle entraverait pour l'instant la naissance en se posant comme culture de référence alors que les minorités seraient déjà disponibles pour une telle refondation. De là le retour de l'expression «canadien-français» pour parler des Québécois, régression symbolique apparemment indispensable pour soustraire à ces derniers toute prétention à se poser comme norme d'intégration identitaire pour l'ensemble de la collectivité. À toujours chercher une nouvelle manière de nommer les Québécois, ne doutons pas que les commissaires auraient bien pu finir par les qualifier de Paléo-Québécois.
Une communauté parmi d'autres
Pour le rapport, la culture québécoise n'est jamais un fait de l'histoire, mais un projet à construire en laboratoire. La majorité francophone n'est plus qu'une communauté parmi d'autres dans une société multiculturelle à reconstruire «conformément à la règle de droit et aux impératifs du pluralisme» permettant «à une identité de se développer à titre de culture citoyenne». On comprend ici que c'est à travers les chartes et le multiculturalisme que nos sociétés doivent se reconstruire, et que l'identité collective ne sera désormais tolérable que dans la mesure où elle prendra forme à travers ces exigences. Cette sacralisation des chartes est évidemment indispensable pour neutraliser la souveraineté populaire qui s'exercerait à partir d'un principe majoritaire que l'on désire une fois pour toutes disqualifier. À terme, ce sont les chartes qui devront générer une identité collective, enfin «démocratisée» et parfaitement conforme à la religion multiculturelle.
Résumons-le tout ainsi: le rapport de la commission Bouchard-Taylor repose ainsi sur le postulat que l'affirmation de la culture nationale majoritaire, celle du Québec historique, serait une affirmation illégitime et antidémocratique. Mais doit-on vraiment le rappeler, il n'y a pourtant rien d'antidémocratique à placer au centre d'une société sa culture fondatrice. La culture nationale ne doit pas consentir à sa liquidation. La société québécoise est traversée par une histoire qu'elle devrait tout simplement assumer sans complexe. Ce rapport, loin de résoudre les problèmes actuels du Québec sur le plan identitaire, ne contribue qu'à les amplifier en disqualifiant les préoccupations populaires et en s'acharnant dans la sacralisation d'une idéologie multiculturelle basculant silencieusement vers une forme faussement vertueuse d'autoritarisme.
(Archives La Presse)

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Mathieu Bock-Côté
L'auteur est candidat au doctorat en sociologie à l'UQAM.


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