Aboliçao, musique de Morricone tirée du film Queimada

Un peu de romantisme et de lyrisme révolutionnaires ? Pourquoi pas !

Tribune libre

Regardant de haut la Révolte des Carrés Rouges, les réactionnaires de tout poil craignent peut-être qu'elle ne tourne en révolution. Comme pour conjurer la menace, certains, depuis toujours méprisants, versent volontiers dans la moquerie. Ils surnomment untel le Che, unetelle la passionaria et s'indigent de ce qu'ils appellent le romantisme révolutionnaire d'une jeunesse pompée par des profs et des syndicats tous plus communisses, bien sûr, les uns que les autres.
Pour ce qui est du romantisme révolutionnaire et du lyrisme qui en général l'accompagne, ils n'ont peut-être pas tout à fait tort. Quand on se dresse non sans quelque succès face à un ordre établi injuste, et c'est le cas de l'ordre néolibéral, comment n'en point éprouver quelque ivresse ? Et quand, à leur relative faiblesse individuelle succède la force née de leur solidarité, les dominés qui en ont assez de leur condition en ressentent toujours une joie qui les porte à un certain lyrisme. Cela a beau être vieux comme le monde, les âmes soumises n'y comprendront jamais rien.
Pourquoi toutes ces réflexions ? Pour ce qu'elles valent, peut-être, mais aussi pour vous parler cinéma et musique. Romantisme, lyrisme : ces mots auxquels on a quelquefois recouru pour décrire notre printemps érable m'ont tout à coup rappelé un film datant de 1968 ou 1969, mais que je n'ai vu pour la première fois qu'au début des années quatre-vingt. Je l'ai revu souvent par la suite, car, à l'époque, Télé-Québec le repassait au moins une fois par année. Hélas, un peu avant le tournant du siècle, la tradition s'est perdue et, comme je n'ai pas du tout l'habitude des clubs vidéo, je suis pour ainsi dire sevré.
Queimada ! Un film du cinéaste italien Gillo Pontecorvo, avec Marlon Brando et Evaristo Márquez dans les rôles principaux. L'action se déroule au début du XIXe siècle sur une île imaginaire des Antilles, Queimada (terre brûlée), une colonie portugaise peuplée surtout d'esclaves noirs. Sous les conseils de Sir William Walker, un agent britannique au service d'une compagnie sucrière non moins britannique, les créoles blancs, à peine une poignée, le 1% de l'époque, se servent des noirs et de leur chef de file José Dolorès, formé par Sir Walker lui-même, pour se débarrasser de la tutelle du Portugal. Or, quand ils se rendent compte que leur condition ne s'est en rien améliorée, le pouvoir demeurant la chasse gardée d'une minorité désormais inféodée au capitalisme anglais, les esclaves relancent leur lutte. Le gouvernement aux abois rappelle à la rescousse Sir Walker pour l'aider à capturer José Dolorès dans l'espoir de briser ainsi la révolte. Je n'en dis pas plus, histoire de ne pas gâcher votre plaisir si jamais vous aviez l'occasion de visionner ce film.
Bien sûr, le contexte de l'histoire racontée par Pontecorvo diffère de celui dans lequel notre peuple se débat aujourd'hui. Mais pas tant que cela, au fond. Colonialisme, impérialisme, capitalisme : les ennemis sont les mêmes. Seuls varient le poids de l'oppression, la violence de la répression et l'étendue de l'exploitation. Différences il y a donc, certes, et considérables, oui, mais différences de degré bien plus que de nature.
Est-ce tout ? Non. Il y a un autre élément absolument incontournable, un élément sonore celui-là. À ce film captivant et rempli de romantisme révolutionnaire, la musique assez instrumentale mais néanmoins pleine de lyrisme d'un compatriote de Pontecorvo apporte, dixit Wikipédia, «un incontestable souffle épique». Tout pour déplaire à nos réactionnaires, quoi ! Car, en effet, la musique du grand Ennio Morricone, nul autre que lui, confère à cette oeuvre cinématographique un caractère grandiose dont auraient peut-être pu la priver quelques petites lacunes techniques, ici et là.
Tout récemment, en voyant notre peuple défiler en masse dans nos rues, l'air d'Aboliçao a soudain résonné dans ma tête. Aboliçao est un mot portugais qui signifie, vous l'avez deviné, abolition, comme dans abolition de l'esclavage, abolition de l'exploitation, abolition de l'injustice. Tout le long de ce morceau de musique, c'est le seul et unique mot qu'on entend. Aboliçao, quatre syllabes auxquelles, en français, il me plaît de substituer les suivantes : Brisons nos chaînes !
A-bo-li-çao !
_ Bri-sons-nos-chaîn....es !

_ (Cinq syllabes écrites, mais, la dernière étant muette, seulement quatre orales)
Je termine donc en vous offrant, outre un fichier MP3, deux liens Internet vers des pages YouTube où vous pourrez entendre Aboliçao.

http://www.youtube.com/watch?v=SYm6QXWl1cI&feature=related
_ (Qualité du son potable)
http://www.youtube.com/watch?v=NGiAXpaPpf4&feature=relmfu
_ (Pas très bonne qualité du son, mais on voit le générique du film)
Enfin, je ne résiste pas à l'envie d'ajouter cet autre fichier MP3. Il s'agit d'un autre morceau de la trame sonore de Queimada, morceau intitulé Verso il futuro, que je traduirais volontiers par Veille de révolution, ne serait-ce que pour effaroucher encore davantage nos pauvres réacs.

Je sais, des goûts et des couleurs on ne discute pas. Aussi n'est-ce qu'aux amateurs de romantisme ou de lyrisme révolutionnaires que je dis...
Bonne écoute !
Luc Potvin
_ Verdun


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juin 2012

    Je me rappelle très bien de ce film; les profs nous le montraient au cegep pour illustrer le colonialisme et le néo-colonialisme.
    L'ile, les esclaves, les créoles, le sucre, les plantations, la période, tout ca rappelle Haiti.
    Parlant d'Haiti, un autre reportage dans La Presse ce matin sur la catastrophe qu'est ce pays qui n'a jamais levé en 200 ans d'indépendance. La plupart des pays ont réussi leur indépendance. Haiti fait parti des tristes exceptions.
    http://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201206/02/01-4531205-haiti-lorphelinat-de-la-discorde.php

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juin 2012

    Pour remplacer, en français, le mot «Aboliçao» dans la musique de Morricone, je viens tout juste de trouver encore bien mieux que «Brisons nos chaînes».
    LIBÉRATION !
    A-BO-LI-ÇAO !
    LI-BÉ-RA-TION !
    Luc Potvin
    Verdun