OPÉRATION ISRAÉLIENNE À GAZA

Un humanisme juif dénaturé

Il y a pourtant, dans la tradition judaïque, un courant profond ayant toujours valorisé le dialogue et la compassion

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Les amis d'Israêl sentent le besoin de prendre leurs distances

J'étais un petit Québécois français de moins de deux ans quand l’État d’Israël a vu le jour, et je n’en ai naturellement aucun souvenir. Mais les 66 années qui ont suivi n’auront cessé de me rappeler le caractère profondément controversé et conflictuel de ce pays juif établi en milieu arabe. Les guerres, les attentats, les contre-attaques, les assassinats et les représailles n’auront cessé de scander ces deux tiers de siècle, malgré quelques apaisements, de rares gestes de bonne entente qui furent autant de faux espoirs. Aujourd’hui, avec les bombardements à Gaza, la mort de centaines de civils dont de nombreux enfants, face aux roquettes peu opérantes du Hamas, il est permis de penser qu’une fois encore, Israël prévaudra mais que cette « victoire » ne sera que la perpétuation d’une impasse et d’une situation intenable pour le peuple palestinien qui a aussi droit à l’existence et à la justice.

Pour moi qui ai étudié et enseigné l’histoire et la littérature juives, cette situation a quelque chose à la fois de paradoxal et de désolant. Certes, la dispersion du peuple juif dès l’époque de l’Antiquité n’avait pas été le résultat d’un choix, mais il est certain que ce mode d’existence très particulier, unique dans l’Histoire, allait rendre possibles non seulement d’innombrables persécutions, ayant culminé avec la Shoah, mais aussi une créativité culturelle inégalée. De grands intellectuels juifs, tel le Montréalais Abraham Moses Klein, ont vécu pour cette raison l’accomplissement du projet sioniste dans un certain déchirement. D’un côté Klein, comme plusieurs, se réjouissait, au tournant de 1950, de voir fleurir le nouvel Israël et il admirait notamment l’extraordinaire renaissance de la langue hébraïque, modernisée, adaptée à la vie contemporaine. De l’autre, ce grand intellectuel polyglotte savait combien la vie en diaspora l’avait nourri et il voyait poindre en même temps, jusque dans une certaine poésie israélienne, un nationalisme guerrier se réclamant de la terre et des fusils, qui lui apparaissait un appauvrissement de la culture juive.

Sionisme

Comment ne pas déplorer que ce soit cette dernière version, la plus obtuse, la plus coloniale, la plus néfaste moralement, qui l’emporte aujourd’hui en Israël grâce à l’alliance des partis de droite et des ultranationalistes ? Dire que c’est uniquement la faute des Palestiniens, c’est entretenir la haine et la violence, même si c’est ce que proclame au nom du Canada le gouvernement Harper, lui qui aime bien le militarisme musclé et le simplisme idéologique. Certes, le Hamas n’a cessé de tenir lui-même un discours guerrier, anti-Israël et même antijuif tout court, tout en traitant avec cruauté des frères palestiniens jugés trop mous, trop accommodants. Et il est vrai que le carnage syrien et le déchaînement des mouvements islamistes dans plusieurs pays voisins justifient amplement que les Israéliens se sentent fragiles et menacés.

Mais ce n’est pas le Hamas ni un Palestinien qui a assassiné Yitzhak Rabin, c’est un sioniste fanatique qui accusait le premier ministre israélien d’être un traître pour avoir cherché la paix. Et ce sont les Israéliens eux-mêmes qui ne se sont engagés que marginalement dans le mouvement « La paix maintenant ! » soutenu notamment par le grand romancier Amos Oz. Surtout, comment nier que la racine du problème se trouve dans l’occupation systématique et irrépressible de la Cisjordanie, découpant petit à petit et en toute illégalité une terre habitée par d’autres et condamnant les Palestiniens à d’innombrables interdictions, vexations, points de contrôles, et à voir trop souvent leurs champs détruits et leurs maisons démolies — tout cela sous le regard complaisant de l’armée et de la police israéliennes —, ce qui ne peut que fournir un combustible parfait pour davantage de ressentiment, de haine et pour de nouvelles violences à venir.

Le sionisme, qui se voulait un remède, une thérapie à la misère diasporique, devait-il nécessairement en arriver là ? Certains le croient mais j’aime penser que le désir compréhensible et légitime des juifs d’avoir une terre aurait pu et pourrait encore aboutir à une vraie coexistence. Étant donné le déséquilibre des forces, l’impulsion décisive ne pourrait désormais venir que d’Israël. Il y a dans la tradition juive un humanisme profond qui a toujours valorisé le dialogue et la compassion. Ce n’est pas un hasard si tant de juifs (nous devrions le savoir au Québec) sont d’excellents traducteurs et de fins interprètes, des passeurs culturels et des militants de l’humanitaire ou des droits de la personne. On souffre de constater que l’Israël de M. Nétanyahou, qui construit des murs, des barrages, des postes de contrôle, qui conquiert une à une les collines de Cisjordanie et qui bombarde des quartiers civils surpeuplés, constitue la dénaturation de cette tradition, la négation de valeurs dont nous sommes tous, Occidentaux, les héritiers.

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Pierre Nepveu5 articles

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Écrivain et professeur de littérature à l'Université de Montréal

Né à Montréal en 1946, Pierre Nepveu est poète, essayiste et romancier et il est professeur émérite de l’Université de Montréal, où il a enseigné la littérature de 1978 à 2009.





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