Un État ratatiné

M. Duchesneau est catégorique. La trop grande réduction de postes au ministère des Transports du Québec «est le tout premier facteur de vulnérabilité auquel sont exposés les marchés publics conclus avec le ministère», écrit-il dans son rapport.

Corruption généralisée


Le gouvernement fédéral a beau avoir financé une partie des travaux d'infrastructures au Québec et ailleurs, il n'est pas visé par le rapport de Jacques Duchesneau sur la collusion dans le secteur de la construction routière. Ottawa n'avait pas non plus à s'en inquiéter puisqu'il a laissé la maîtrise d'œuvre des projets aux provinces. Cela ne veut pas dire qu'il n'aurait pas intérêt à lire ce rapport explosif. Qu'il le veuille ou non, il y a là quelques leçons importantes pour quiconque se prépare à mettre la hache dans ses dépenses et son personnel.
M. Duchesneau est catégorique. La trop grande réduction de postes au ministère des Transports du Québec «est le tout premier facteur de vulnérabilité auquel sont exposés les marchés publics conclus avec le ministère», écrit-il dans son rapport. Il l'a encore répété hier en commission parlementaire, parlant même de la «faille de la réingénierie publique».
La perte d'effectifs, décrit-il, se traduit par une perte d'expertise et une surcharge de travail qui engendrent à leur tour la démobilisation. Et quand les fonctionnaires n'en viennent plus à bout, on a recours au privé pour combler les vides.
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Le recours croissant au secteur privé prend différentes formes. Les plus courantes sont la sous-traitance, le recours à des consultants et à des entreprises pour des mandats spécifiques et l'embauche d'employés temporaires par l'entremise d'agences de placement.
Faire appel au secteur privé n'est pas mauvais en soi. Tout dépend de la manière, de l'ampleur et de la tâche qu'on lui confie. Mais le secteur privé ne peut remplacer les fonctionnaires, peu importe leurs fonctions. Loin de là, parce qu'il y a danger de conflits d'intérêts et, surtout, parce que le public et le privé ne jouent pas les mêmes rôles et n'ont pas les mêmes objectifs.
Dans une entrevue accordée en 2007, l'ancien greffier du Conseil privé et ex-p.-d.g. du CN, Paul Tellier, comparaît les deux secteurs. «La gestion dans la fonction publique est plus complexe. Les intervenants sont beaucoup plus nombreux et les objectifs sont davantage multidimensionnels. Pendant que les dirigeants d'entreprise se concentraient sur leur marge de profit, la fonction publique devait se préoccuper de problèmes de stabilité, de diversité et d'environnement.»
Cela n'a pas changé. La fonction publique a pour priorité le service aux citoyens, leurs besoins et ceux des générations futures. En deux mots, le bien commun, ce qui n'a rien à voir avec la satisfaction rapide d'actionnaires gloutons. Pour les fonctionnaires, l'efficacité a un sens différent et la rentabilité est une considération étrangère, à moins de diriger une société d'État à vocation commerciale.
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Mais plus elle rapetisse, moins la fonction publique peut jouer son rôle adéquatement. Or plusieurs ministères fédéraux procèdent déjà à des réductions de personnel, conséquence des examens stratégiques annuels que le gouvernement exige de différents ministères depuis quatre ans. Sont tombés au combat depuis: des employés de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, des vérificateurs du ministère des Travaux publics, des traducteurs et employés de soutien du Bureau de la traduction, des chercheurs du ministère de l'Environnement chargés de surveiller le climat et la couche d'ozone, des scientifiques du Conseil national de recherche, des curateurs du Musée des beaux-arts, des gestionnaires de la Banque du Canada et du ministère de l'Industrie...
Les économies de 4 milliards que 67 ministères et agences doivent trouver d'ici le prochain budget s'ajouteront aux efforts déjà faits et à ceux imposés par le gel des budgets de fonctionnement. Au total, c'est 7,8 milliards que le fédéral prévoit effacer de ses dépenses annuelles de programmes en 2014-2015. Il y aura donc logiquement d'autres mises à pied et éliminations de postes.
Pendant ce temps, le recours à des employés temporaires par le truchement d'agences privées explose, au point où l'Institut professionnel de fonction publique du Canada parle de «fonction publique fantôme». Selon l'IPFC, la facture de ce genre d'embauches est passée de 600 millions en 2006 à 1,2 milliard en 2010. Certains de ces employés rejoindront pour de bon la fonction publique, mais ceux qui partent emportent l'expertise acquise avec eux.
Contractants, consultants et sous-traitants ont aussi la part belle. Seulement à la Défense, ils coûteraient 2,7 milliards par année, révélait un rapport sur la transformation des forces armées ayant fait l'objet d'une fuite à la fin de l'été. Et on apprenait récemment que le gouvernement Harper a accordé un contrat de 19,8 millions (ou 90 000 $ par jour) à la firme Deloitte pour qu'elle lui dise, d'ici février, comment réduire ses dépenses, et ce, même si tous les fonctionnaires sont à pied d'oeuvre depuis des mois pour identifier les économies en question. «Nous avons besoin d'experts du secteur privé pour le faire correctement», a soutenu le ministre Christian Paradis, réponse prévisible d'un gouvernement qui voit le secteur privé dans sa soupe et se méfie de la fonction publique.
Plus cynique encore est le fait que le ministre responsable du grand ménage fédéral, Tony Clement, n'est nul autre que celui mis en cause par le vérificateur général pour la gestion opaque du Fonds d'infrastructure du G8.


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