Un «empire malfaisant» dans la construction

Ce rapport, que La Presse a obtenu, décrit les modus operandi du crime organisé, des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs et des partis politiques.

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau

Nouveau ministre, vieille pratique - Si JJC ignore toute cette corruption des institutions politiques, dont il a la garde, il est coupable de négligence, et doit subir le châtiment - si, au contraire, il connaît la situation, JJC est coupable de la corruption que son gouvernement entretient depuis 3 mandats... voire de collusion, et doit subir le châtiment. Châtiment politique d'abord, sanction par les urnes; ensuite, châtiment comme sanction par des poursuites criminelles. - Vigile
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L'industrie de la construction a été infiltrée par le crime organisé, prévient un rapport confidentiel de l'Unité anticollusion.
Photo: Ivanoh Demers, La Presse


Vincent Larouche et Fabrice de Pierrebourg La Presse
Les malversations dans l'industrie de la construction ont pris une telle ampleur que le Québec risque carrément une «prise de contrôle de certaines fonctions de l'État» par des acteurs mal intentionnés, prévient l'Unité anticollusion dans un rapport secret.
Ce rapport, que La Presse a obtenu, décrit les modus operandi du crime organisé, des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs et des partis politiques.
«Les soupçons sont persistants qu'un empire malfaisant est à se consolider dans le domaine de la construction routière», affirme Jacques Duchesneau, dirigeant de l'Unité, en préambule du document.
«S'il devait y avoir une intensification du trafic d'influence dans la sphère politique, on ne parlerait plus simplement d'activités criminelles marginales, ni même parallèles: on pourrait soupçonner une infiltration voire une prise de contrôle de certaines fonctions de l'État ou des municipalités», lit-on plus loin.
En plus d'un an de travail, l'équipe de Jacques Duchesneau a découvert un système d'une «ampleur insoupçonnée», infiltré massivement par le crime organisé, qui permet de gonfler de façon démesurée les coûts des travaux routiers.
Les enquêteurs confirment qu'un grand nombre d'entreprises de construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles.
«On présume donc fortement que certaines jouent d'influence sur les contrats octroyés par le gouvernement, voire qu'elles ont déjà mis les pieds sur les chantiers mêmes du ministère», dit le rapport.
Outre les motards et la mafia, des groupes d'entrepreneurs généraux eux-mêmes «fonctionnent comme des cartels» pour éliminer la concurrence et organiser la collusion, poursuit le document. Et l'omerta règne dans l'industrie.
«Tout le monde a peur. La mafia est impliquée là-dedans, et les motards, donc t'as intérêt à te mêler de tes affaires», a confié une source interviewée pendant l'enquête.
Des «extras» coûteux
Des employés du ministère des Transports et des firmes de génie auraient par ailleurs coulé des informations privilégiées à des entrepreneurs pour leur permettre de préparer leurs soumissions.
Les enquêteurs constatent aussi que les entreprises soumissionnent à un bas prix en sachant à l'avance qu'elles rempliront quand même leurs coffres grâce aux «extras» facturés en surplus.
Certaines firmes emploieraient même des spécialistes des «extras» qui empochent 10% de commission sur ce qu'ils arrivent à faire payer au gouvernement.
Un ingénieur ayant travaillé dans différentes firmes de génie-conseil a aussi dévoilé un stratagème utilisé pour constituer des caisses occultes.
«Mettons que l'ingénieur de la firme chargée de la surveillance doit autoriser un extra de 100 000$ pour des travaux supplémentaires. Il trouve le moyen d'aller chercher le double auprès du MTQ. Il y a donc un 100 000$ blanchi à se partager: la firme pourra l'utiliser pour contribuer à des caisses électorales et l'entrepreneur pour payer ses travailleurs au noir», a-t-il révélé aux enquêteurs.
Des firmes de génie manquent «d'exactitude et d'imputabilité», alors qu'en même temps, le ministère leur laisse le champ libre car il manque «d'expertise et de vigilance», précise le document. «Pendant que les firmes se développent une expertise inestimable, le ministère perd inexorablement la sienne», y lit-on.
Financement politique
Les politiciens ne sont pas épargnés par le rapport. Un ex-conseiller politique a témoigné que les partis se financent massivement grâce aux dons des firmes de génie-conseil et de construction, ce qui donne aux entreprises un accès aux politiciens.
«Plus ils ont de contrats, plus ils donnent; plus ils donnent, plus ils ont de l'influence; plus ils ont de l'influence, plus ils ont de contrats. Et cette influence, ils l'exercent ensuite partout via l'argent public, que ce soit en siégeant sur des fondations ou en faisant des levées de fonds pour des oeuvres caritatives. Ils deviennent presque intouchables», a expliqué l'ex-conseiller.
Le rapport ne donne aucun nom d'entreprise ou d'individus. Ce sont les policiers et procureurs de la Couronne qui seront chargés d'accuser ceux qui auraient brisé la loi.
Ce n'est pas la première fois que l'on montre du doigt le rôle joué par les firmes de génie-conseil dans le financement occulte des partis, dans la collusion ainsi que dans les dépassements de coûts.
Lors de la vague d'arrestations survenue en février dernier à Boisbriand et qui avait visé entre autres la vice-présidente du groupe Roche, le capitaine Éric Martin, de l'opération Marteau, avait déclaré ceci à La Presse: «Pour faire avancer des projets de construction, ou pour qu'ils soient autorisés, [les firmes] ont besoin de financer des partis politiques. Elles vont demander à des collaborateurs ou à des employés de commettre des fraudes par supercherie, mensonge ou autres moyens. Elles vont fabriquer de fausses factures ou facturer des services jamais réalisés.»
L'an dernier, après une plainte du député Amir Khadir, le groupe Axor a plaidé coupable à une quarantaine d'infractions pour avoir versé plus de 150 000 $ au PLQ, au PQ et à l'ADQ grâce à des prête-noms.
Parmi ses 50 recommandations au gouvernement, l'Unité insiste sur l'importance de serrer la vis aux firmes de génie-conseil et renforcer la fonction publique. Elle propose d'offrir aux fonctionnaires des séances «d'une heure sur la collusion, comportant un volet sur le crime organisé».
Le ministre des Transports, Pierre Moreau, s'est dit heureux que le Ministère «ait fait les gestes nécessaires» en mandatant Jacques Duchesneau l'an dernier, mais il balaie d'un revers de main les constats accablants pour son ministère contenus dans le rapport. Il faudra vérifier le bien-fondé de ces conclusions, explique-t-il.
- Avec la collaboration de Denis Lessard


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