Un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines en vaut-il encore la peine ?

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L'effritement de la culture rendue possible par l'effondrement de l'éducation

Le Wall Street Journal s’interroge : Un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines en vaut-il encore la peine ?



Les employeurs avaient l’habitude de pouvoir compter sur les compétences acquises lors d’une éducation en ce qu’on nommait les humanités. Éducation, au passage, qui s’acquérait encore il y a quelques décennies dès l’école secondaire, dans les collèges classiques, par la fréquentation et l’imitation des grands classiques français, latins ou grecs.


Aujourd’hui, ces classiques ne sont plus enseignés au secondaire au Québec, on préfère des auteurs plus modernes, plus progressistes, plus faciles. Cette semaine encore, on apprenait que les cours d’anglais de 11e année du secondaire dans le comté d’Essex, en Ontario, n’enseigneront plus Orwell, ni Shakespeare, ni d’autres classiques bien connus, ils seront mis de côté en faveur d’un cours entièrement consacré à la littérature autochtone amérindienne.



De nombreux parents américains se saignent à blanc de nos jours pour payer des études universitaires à leur progéniture, espérant que celles-ci leur donneront une culture générale en lettres ou en sciences humaines.



Or, une étude récemment publiée sur Bankrate révélait que les diplômes en lettres (« English Majors ») de 162 universités collèges se classaient en bas de l’échelle établie selon le revenu médian et le taux de chômage de leurs diplômés. Avec un revenu médian de 47 800 $, ces diplômés en anglais gagnaient plus que ceux en théâtre (35 500 dollars) ou en beaux-arts (37 000 dollars), mais ils gagnaient moins de la moitié d’un diplômé en génie électrique (99 000 $).



En juin, un sondage Payscale mené auprès de 250 000 diplômés universitaires a révélé que 1 étudiant sur 5 possédant un diplôme en sciences humaines déclarait que leur plus grand regret, après leur emprunt universitaire à rembourser, était le diplôme qu’il avait choisi. Un article de MarketWatch en 2017 était franc : « la licence en anglais est la plus regrettée en Amérique ».

 



Les universités prétendent être un moyen de gravir l’échelle sociale. Mais elles ne fournissent pas les données nécessaires aux parents et aux étudiants pour comparer les coûts associés à des études universitaires aux gains potentiels associés à ce diplôme. Les étudiants en sciences humaines sont encore plus mal placés, car la baisse de niveau de ces programmes a dévalorisé des licences comme celles en anglais ou en histoire.



L’économiste Richard Vedder, auteur de « Renouveler la promesse : l’enseignement supérieur en Amérique » suggère depuis de nombreuses années que les universités devraient fournir aux étudiants davantage de données semblables à ces enquêtes. Ce dont les étudiants ont besoin, cependant, ce ne sont pas des moyennes de revenu, mais bien la valeur de tels diplômes précis remis par telle université précise.



« Lorsque vous dépensez 100 000 $ ou plus pour quelque chose, vous avez le droit de connaître la valeur probable de ce que vous obtiendrez », déclare M. Vedder.



Personne n’est surpris d’apprendre que les diplômés en STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) gagnent plus que les diplômés en lettres. Après  tout, l’éducation libérale n’a jamais eu comme but de garantir une carrière bien rémunérée. Malgré cela, Jonathan Pidluzny, directeur des affaires universitaires au Conseil américain des administrateurs et des anciens élèves (ACTA), note que les employeurs accordent néanmoins un prix à une personne qui fait montre d’esprit critique, de compétences en communication et en raisonnement, fruits traditionnellement associés à une formation en lettres ou en sciences humaines.



Jonathan Pidluzny a déclaré à Campus Reform : « Une licence en anglais était autrefois garante de compétences en rédaction de textes et de la capacité de comprendre des pensées complexes par la fréquentation de textes classiques ». Mais « les facultés ne peuvent en vouloir qu’à elles-mêmes pour avoir miné leur réputation en remplaçant le canon classique par des épiphénomènes de la culture populaire et du communautarisme identitaire », comme l’enseignement de la littérature amérindienne ou lesbienne.



En d’autres termes, ce que les facultés proposent aujourd’hui n’est plus le diplôme d’anglais d’antan. Une étude de l’ACTA indique que 48 des 52 meilleures écoles (classées par le US News and World Report) permettent aux licenciés en anglais d’obtenir leur diplôme sans avoir suivi de cours sur Shakespeare. D’autres études ont indiqué que la pensée critique du diplômé moyen, même celui des principales universités prestigieuses, ne s’améliore que de façon minimale voire nulle, malgré ses années passées à l’université.



Mais la licence en anglais si souvent décriée n’est qu’un symptôme ce qui cloche avec l’université aujourd’hui. Ce n’est pas que les diplômes scientifiques et techniques (STIM) soient les seuls qui en vaillent la peine. Il s’agit plutôt du fait que les sciences humaines ont été touchées de manière disproportionnée par le correctivisme politique et par l’influence néfaste de Herbert Marcuse, père de la « tolérance répressive » si répandue sur les campus.





Dans une conversation téléphonique, M. Pidluzny soutient qu’un diplôme en sciences humaines fondé sur un programme de base rigoureux s’avère encore précieux. Le mot clé est la rigueur. Le sondage Road-Gallup de 2018 indique que les diplômés qui sont « fortement d’accord » avec le fait qu’ils ont dû fournir d’importants efforts à l’université sont 2,4 fois plus susceptibles de dire que leur diplôme en valait la peine.



Alors, pourquoi les sciences ont-elles préservé leur intégrité alors que les sciences humaines n’y sont pas parvenues ? M. Pidluzny pense que c’est parce que l’impact d’un diplôme scientifique ou technique nivelé par le bas est plus évident et plus immédiat.



« L’université ne peut se permettre de ne pas enseigner le calcul intégral et différentiel en ingénierie, car nous verrions des ponts s’effondrer aux quatre coins du pays », ajoute-t-il.



« Mais pour un diplômé en anglais qui étudie Harry Potter plutôt que Chaucer ou qui consacre son temps à la théorie du genre plutôt qu’à la lecture d’œuvres littéraires de qualité, les coûts ne sont pas aussi évidents et immédiats, jusqu’à ce qu’il ne se rende compte des années plus tard qu’il n’a jamais acquis ni le vif esprit analytique ni le style d’écriture précise que son diplôme était censé développer. »





Voir aussi



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États-Unis — Quels diplômes universitaires rapportent le plus ?



Mark Steyn dans After America sur l’éducation américaine



En janvier 2011, Richard Arum et Josipa Roksa ont publié une étude qui indiquait que moins de la moitié des étudiants américains de premier cycle avait suivi un cours lors du semestre précédent qui les obligeait à écrire un texte de 20 pages. Un tiers d’entre eux n’avait suivi aucun cours qui leur demandait de lire au moins 40 pages. Chez 45 % des étudiants, les auteurs n’ont pu constater aucune amélioration dans leurs compétences logiques, d’esprit critique ou d’écriture... Raisonner, lire, écrire : qui en a besoin ? Certainement pas les futurs enseignants : les étudiants en sciences de l’éducation manifestaient le moins de progrès éducatifs.



La même étude révélait que l’étudiant américain d’aujourd’hui passait deux fois moins d’heures à étudier que son homologue des années soixante. Lire et écouter un reportage impeccablement progressiste de NPR sur cette étude.



Incidents à Middlebury College (une université huppée au Vermont) en 2017, racialisme, slogans, rites, danses et rejet du rationalisme.



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