Trop chers, les compteurs d'eau

Le vérificateur général de Montréal relève de nombreuses irrégularités et suggère d'envisager l'annulation du contrat

Scandales à Montréal - les compteurs d'eau

Jeanne Corriveau - Jugeant le coût du contrat des compteurs d'eau trop élevé, le vérificateur général de la Ville de Montréal suggère aux autorités d'envisager l'annulation du contrat accordé à Génieau. Dans son rapport déposé hier soir au conseil municipal, Jacques Bergeron signale de nombreuses irrégularités dans le processus d'octroi du contrat et remet sérieusement en doute la pertinence du volet d'optimisation du réseau d'eau.
Attendu avec impatience, le rapport du vérificateur a été remis au maire Gérald Tremblay ainsi qu'à l'ensemble des élus hier soir à l'occasion de la dernière séance du conseil municipal avant les élections du 1er novembre.
Dans son rapport de 170 pages, Jacques Bergeron passe au crible les étapes qui ont conduit la Ville à octroyer le contrat de 356 millions de dollars au consortium Génieau, formé de Dessau et de Simard-Beaudry. Il s'interroge particulièrement au sujet des multiples modifications qui ont été apportées au projet initial qui, à l'origine, ne prévoyait que l'installation de compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions (ICI). Au fil des mois, le volet d'optimisation du réseau d'eau, qui permettra de contrôler le débit de l'eau dans le réseau souterrain, s'est greffé au concept initial, et ce processus a été marqué par une certaine improvisation, indique le vérificateur. Cet ajout est pourtant important, car l'optimisation du réseau représente un investissement de 210 millions alors que le coût d'installation de 32 000 compteurs d'eau se chiffre à 106,8 millions.
Les changements apportés à l'appel de propositions initial et les nouvelles spécifications dans le projet de contrat auraient dû amener la Ville à lancer un nouvel appel de qualification de même qu'un nouvel appel d'offres, estime le vérificateur qui constate que trop d'entreprises ont été écartées du processus.
Ces modifications ont dénaturé le mandat initial et, à certaines étapes du processus d'octroi, les élus ont été tenus dans l'ignorance au sujet d'informations importantes, souligne M. Bergeron. Le vérificateur signale notamment que les appels de qualification, appels d'offres et appels de propositions qui ont conduit au mandat accordé à la firme BPR, responsable de gestion du contrat, et au contrat octroyé à Génieau en 2007 n'avaient pas reçu l'aval du comité exécutif.
Le contrat des compteurs d'eau est trop coûteux, juge le vérificateur qui évalue son prix à plus de 600 millions lorsque l'on tient compte de divers éléments, comme le programme de subventions à la préparation de la tuyauterie de 70,8 millions ou l'inflation appliquée aux sommes payables au cours des prochaines années, soit 109 millions. Selon lui, il eût été plus avantageux pour la Ville de scinder le contrat en plusieurs contrats de moindre envergure.
À propos du volet d'installation des compteurs d'eau, il note que si le coût d'achat et d'installation de ces équipements est compétitif, les frais de gestion et d'exploitation lui paraissent excessifs. Ces compteurs auraient pu être installés par des employés de la Ville, mais cette option n'a jamais été considérée, fait-il remarquer.
Nulle part, le vérificateur ne mentionne les voyages en bateau effectués par l'ex-président du comité exécutif, Frank Zampino, sur le bateau de Tony Accurso, propriétaire de Simard-Beaudry en janvier 2007 et février 2008, en plein processus d'attribution du contrat. C'est vraisemblablement l'enquête amorcée par la Sûreté du Québec (SQ) qui permettra de faire la lumière sur ces épisodes qui ont déjà soulevé des questions sur une apparence de conflits d'intérêts.
Du moins le vérificateur fait-il état de rencontres prévues entre les soumissionnaires et des représentants de la Ville. «Nous ne pouvons confirmer si ces rencontres ont eu lieu et le sujet de ces rencontres. Cependant, en apparence, ces informations amènent un doute sur les liens de promiscuité entre ces personnes et sur l'influence que ces rencontres auraient pu avoir sur le déroulement du projet», écrit le vérificateur. Ces informations ont été remises à la SQ, ajoute-t-il.
Jacques Bergeron formule une série de recommandations. Il conclut notamment que la Ville devrait envisager plusieurs options au sujet de l'avenir du contrat, incluant son annulation. Il recommande également que le volet sur l'optimisation du réseau soit réévalué et réalisé ultérieurement, car il doute qu'une telle entreprise doive être considérée comme une priorité pour la Ville. Mieux vaudrait mettre l'accent sur la réfection du réseau d'aqueducs et d'égouts, soutient-il.
Il recommande par ailleurs que certaines pratiques de gouvernance en matière d'octroi de contrats soient revues et que les appels d'offres soient accessibles à des firmes situées à l'extérieur du Québec. Il déplore aussi qu'avec le temps, la Ville ait perdu de l'expertise au profit du secteur privé et qu'elle soit devenue dépendante des ressources externes.
Boulet de campagne
Le rapport du vérificateur confirme que les élus ont été tenus dans l'ignorance à l'égard d'aspects très importants du contrat, estime l'opposition. «Clairement, le maire sortant a perdu le contrôle politique et administratif de sa ville», a déclaré le chef de l'opposition, Benoit Labonté, en marge du conseil municipal. Selon lui, le maire Gérald Tremblay a ni plus, ni moins donné les clés de la gestion de l'eau au secteur privé. M. Labonté a fait remarquer que les services du contentieux et des finances avaient été «complètement exclus du plus important contrat jamais octroyé dans l'histoire Montréal». À la lumière du rapport, la chef de Vision Montréal et candidate à la mairie, Louise Harel, a pour sa part plaidé pour un renforcement des services centraux. «Il y a des problèmes de gouvernance qu'il va falloir résoudre à Montréal», a-t-elle dit.
Plus tôt en matinée et avant même d'avoir vu le rapport, l'opposition avait réclamé la tenue d'une séance extraordinaire du conseil avant le 28 septembre afin que les élus puissent poser des questions au vérificateur et à d'autres acteurs importants du dossier, comme Frank Zampino ou Yves Provost, ex-directeur général adjoint de la Ville qui est passé dans le camp de BPR.
Pour le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, il s'agit du «désaveu le plus cinglant que l'on puisse imaginer du mode de gouvernance de Gérald Tremblay et de sa confiance absolue dans le secteur privé.»
Embarrassée par la controverse entourant les compteurs d'eau, l'administration Tremblay avait suspendu le contrat le 8 avril dernier et annoncé qu'un mandat serait accordé au vérificateur général afin qu'il fasse toute la lumière sur cette affaire. Jacques Bergeron, qui est entré en fonction en mai dernier, a obtenu des crédits supplémentaires de 825 000 $ pour mener à bien sa délicate enquête. La publication de son rapport survient en pleine campagne électorale. Lors d'une conférence de presse ce matin, M. Bergeron présentera son rapport aux médias.
Le 21 avril dernier, à l'issue d'une séance extraordinaire du conseil municipal consacré à ce contrat, le maire Tremblay avait clamé haut et fort que le prix payé pour le projet des compteurs d'eau était juste et que le processus d'octroi du contrat avait été rigoureux. Au fil des mois, toutefois, il a laissé entendre à maintes reprises que si le vérificateur soulevait des doutes quant à la pertinence du projet, au processus d'attribution ou à son prix, il était disposé à l'annuler.
Si jamais l'administration du maire Tremblay décidait d'annuler le contrat, il lui faudrait convoquer une séance extraordinaire du conseil municipal et du conseil d'agglomération puisqu'en raison des élections du 1er novembre, l'assemblée d'hier était la dernière au calendrier.
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Avec la collaboration de Marco Bélair-Cirino


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