TransCanada : la politique comme une guerre

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Les stratégies bellicistes contribuent pour beaucoup à la dégradation du climat politique et social

On l’a oublié, mais Clausewitz a été corrigé par Lénine qui a prétendu renverser sa thèse la plus célèbre. Le premier disait de la guerre qu’elle était la poursuite de la politique par d’autres moyens. Le second a voulu nous convaincre du contraire : la politique serait la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Autrement dit, même si l’affrontement politique est civilisé, même s’il se déroule dans le cadre des institutions balisant plus ou moins bien la chose publique, il met souvent en scène des intérêts contradictoires, même irréconciliables, qui feront tout ce qu’il faut pour remporter la bataille. Et plus les enjeux sont élevés, plus les moyens utilisés seront considérables. On pourra ruiner des réputations, on cherchera à multiplier les diversions pour ses adversaires, on achètera qui il faut, s’il faut les acheter. En un mot, la fin justifie les moyens.
Comment ne pas avoir cela à l’esprit avec le dévoilement ce matin par Radio-Canada du plan de stratégie suggéré à TransCanada pour imposer son projet de pipeline qui fait tant réagir. Nous sommes devant une incroyable et pourtant pas si étonnante leçon de réalisme politique crevant les illusions des éthiciens candides qui ne cessent de nous expliquer la bonne manière de débattre publiquement en oubliant que derrière la beauté du débat d’idées se cachent souvent des luttes féroces pour la définition de l’adversaire, pour sa diabolisation, pour sa censure, pour son contournement, pour son étouffement. En prenant connaissance de ce dossier, je me suis dit qu’il serait intéressant, un jour, d’examiner les documents semblables élaborés par l’État fédéral pour casser le mouvement souverainiste québécois. On verrait dès lors comment la raison d’État fédérale a traité la contestation québécoise. Mais ce jour ne viendra probablement jamais.
Il ne faut pas croire que les puissants sont les seuls à agir ainsi. Cela dit, il y a dans la querelle du pipeline une disproportion de moyens. D’un côté, un empire, en quelque sorte, qui ne tolère pas vraiment qu’on s’oppose à lui et qui a adopté depuis le début une posture néocoloniale à l’endroit d’une société québécoise qui s’obstine à ne pas comprendre que c’est en s’aplatissant devant lui qu’elle jouerait le mieux la carte de ses intérêts. L’empire arrive alors avec sa stratégie classique : il faut gagner les élites locales et leur faire porter le projet. De l’autre, une résistance qui mise surtout sur la mobilisation des communautés locales et qui espère gagner l’opinion publique, sensible, en ces matières, aux risques environnementaux. C’est la stratégie du maquisard : il faut épuiser le conquérant et le décourager à terme de poursuivre avec son projet.
Qu’on me comprenne bien : cela ne veut pas dire qu’il faille réduire la politique à cette vision désenchantée. La grande erreur des cyniques, c’est de croire qu’ils ont tout vu, tout compris. La politique demeure un idéal de société. D’ailleurs, celui qui confesserait son cynisme aurait bien des chances d’être vaincu : la population veut qu’on la convainque, qu’on fasse semblant, du moins, de prendre au sérieux l’idéal du bien commun. Les esprits abrasifs diront que la population aime se faire duper, mais ce serait injuste. La formule demeure vraie : l’hypocrisie demeure l’hommage du vice à la vertu. La politique, en quelque sorte, est une pénible tâche pour dégager cette chose aussi imprécise qu’impérieuse qu’est l’intérêt public, en évitant qu’il ne se laisse détourner ou confisquer par les intérêts privés. Entre les pro-pétroles et les anti-pétroles, ne serait-il pas temps que les intérêts vitaux du Québec surgissent dans ce débat?


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