Tentations totalitaires

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Oublions un instant les commentaires plus ou moins xénophobes qui parsèment les audiences de la commission Bouchard-Taylor. Il y a plus d'ignorance que de méchanceté dans cet amoncellement désolant de préjugés.


Ce qui est beaucoup plus inquiétant, c'est de voir de beaux esprits distingués réclamer, sous le noble prétexte de préserver «l'égalité homme-femme», un régime de laïcité intégrale.
Ainsi la mairesse de Brownburg-Chatam veut «interdire le port de tout vêtement religieux dans les lieux publics». Une autre dame, qui dit travailler avec des immigrants «en région», voudrait quant à elle que la constitution québécoise instaure «la laïcité de l'espace public».
Les petites tentations totalitaires sont multiples, le plus dérangeant étant qu'elles émanent aussi d'un organisme paragouvernemental comme le Conseil du statut de la femme (CSF). Sa présidente, l'ancienne députée libérale Christiane Pelchat, déclarait la semaine dernière au Devoir que son organisme avait songé à proposer «l'interdiction des signes religieux dans toutes les institutions publiques et même sur la place publique».
Quoi? L'espace public, la place publique, ce sont les rues, les centres commerciaux, les restaurants, les hôpitaux, les parcs, les salles d'attente des bureaux gouvernementaux, les parvis des temples et les perrons des maisons! Et l'on voudrait en bannir les kippas, les manteaux noirs, les hijabs et autres voiles, de même que les croix bien visibles qui ornent les austères chemisiers de nos bonnes soeurs?
C'est pire que de l'intolérance, c'est du délire. Il n'y a pas une société occidentale contemporaine qui se soit donné un régime pareil - un régime analogue, en fait, à ce qui existait dans l'ex-Union soviétique ou la Chine de Mao, où les religions étaient passées à la clandestinité.
Prenons encore une fois l'exemple de la France - un exemple très probant car c'est le pays qui se targue le plus de respecter le principe de laïcité.
Lorsque, dans une décision controversée, l'État français a interdit le port du voile islamique dans les écoles publiques (de même que les signes «ostentatoires» d'autres religions), il s'est arrêté, justement, aux portes de l'école publique. Jamais, au grand jamais, les législateurs français n'ont songé à interdire les vêtements religieux dans la rue et les entreprises privées. Idem en Turquie, un pays musulman dont la constitution interdit le foulard dans la fonction publique. Les rues sont remplies de femmes voilées qui déambulent à côté de filles habillées à la Britney Spears.
À l'époque, le CSF avait eu le réflexe louable de ne pas souscrire à la loi française interdisant le foulard islamique aux élèves du secteur public. On voulait en effet garder à ces jeunes filles leur place dans l'école publique - le meilleur lieu d'intégration qui soit -, et empêcher que l'exclusion les précipite dans les écoles-ghettos de la communauté musulmane. Aujourd'hui, Mme Pelchat semble regretter cette décision, en tout cas voudrait pousser la réflexion plus loin, ce qui est mauvais signe.
Cela dit, le CSF, dans le mémoire qu'il présente à la commission Bouchard-Taylor, introduit une distinction intéressante, et que sa présidente ne devrait surtout pas remettre en question: la distinction entre les élèves de l'école publique et les représentants de l'État ou de l'autorité publique.
Ainsi, liberté serait laissée aux élèves de porter, par exemple, une kippa ou un foulard qui laisse voir le visage (de grâce, cessons d'être obsédés par les niqab, il y en a très peu à Montréal, et la burqa est inexistante). Les étudiants ne représentent qu'eux-mêmes, ils ne sont investis d'aucun rôle symbolique; il n'y a pas lieu d'attenter à leur liberté religieuse (ou d'entraver l'affirmation identitaire propre aux adolescents).
Par contre, les enseignants seraient tenus à la neutralité vestimentaire, de même que les policiers, les douaniers, les juges, les procureurs et les fonctionnaires qui représentent l'État et exercent une autorité sur les citoyens (exemple, les employés du fisc ou les préposés aux comptoirs des services publics).
Je ne peux pas ne pas applaudir à cette recommandation, puisque je l'ai toujours prônée dans les nombreuses chroniques que j'ai écrites sur le sujet. Personne n'a un droit inaliénable à un emploi dans la fonction publique. Les citoyens qui tiennent à se marginaliser en affichant leurs croyances religieuses de manière ostentatoire peuvent travailler dans des postes sans contact direct avec le public, dans des sociétés privées, des écoles religieuses ou, comme les hassidim, au sein des commerces tenus par leur communauté.
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