Tarifs d'électricité: un débat public s'impose

Budget Québec 2010

Depuis le congrès des jeunes libéraux du Québec à Drummondville, la question de l'augmentation des tarifs d'électricité bat son plein dans les médias. Cette option n'est pas nouvelle et nombre d'études bon an mal an concluent à la nécessité pour le gouvernement de prendre cette direction.
Si cela apparaît «normal» et «logique» pour plusieurs économistes et spécialistes des politiques énergétiques, bien sûr, d'autres points de vue sérieux et crédibles existent. Il nous apparaît surtout nécessaire d'étudier la question en prenant en considération l'importante dimension sociopolitique qu'elle comporte au lieu de conclure rapidement que tout cela coule de source en ayant recours à des comparaisons qui, certes, frappent l'imaginaire, mais qui permettent difficilement de tenir compte de la complexité de la question. Voir les choses plus simplement qu'elles ne le sont en fait est toujours rassurant, mais souvent dangereux.
Source de fierté
Notre rapport à l'électricité est particulier. Qu'on le veuille ou non, il ne se réduit pas à un décret gouvernemental. L'électricité, Hydro-Québec et ses grands barrages font partie de l'identité québécoise. Ils ont été une source de fierté et pour plusieurs, ils le sont encore. La Révolution tranquille, le «Maîtres chez nous» et le modèle québécois ne peuvent être conjugués au passé, au présent et au futur sans qu'on y fasse référence. Cette aventure électrique est aussi au coeur de nos relations avec les Premières Nations et nos voisins américains, ontariens et terre-neuviens, sans parler des coins du monde où le génie québécois s'est exporté pendant des décennies.
C'est également à travers elle que depuis plus de 40 ans se dessine notre relation avec l'environnement et le développement durable. Ce rapport particulier à l'électricité s'est construit à travers plusieurs élections provinciales. D'abord celle de 1962, où René Lévesque proposait aux Québécois la nationalisation de cette richesse naturelle. Puis celle de 1970, remportée par Robert Bourassa avec le plan de créer 100 000 emplois par le lancement du «projet du siècle». Plusieurs grands projets de production électrique ont suivi, donnant lieu chaque fois à d'importants débats de société (SM-3, Grande-Baleine, La Romaine, etc.).
Démocratie participative
Ainsi, d'une certaine manière, c'est aussi notre expérience de démocratie participative -- notamment par l'institution qu'est le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) -- que s'est forgée, autour de l'électricité, notre culture du débat public. Plus récemment, le Québec, après plusieurs exercices de consultations publiques, s'est donné en 10 ans deux politiques énergétiques (1996 et 2006).
Celle de 1996 a mis en place la Régie de l'énergie, qui allait changer de façon importante la gouvernance du secteur de l'électricité et qui allait mettre fin à l'arbitraire politique dans la fixation des tarifs. Dorénavant, un tribunal quasi judiciaire expert et indépendant serait chargé de fixer les tarifs d'électricité, exigence des autorités américaines à l'ouverture du marché de gros de l'électricité.
En 2000, la Loi sur la Régie de l'énergie est modifiée. Le secteur de la production de l'électricité est déréglementé. Afin de préserver le «pacte social» découlant de la nationalisation -- qui comprend l'interfinancement des tarifs favorisant la clientèle résidentielle, l'uniformité des tarifs sur le territoire québécois et des services au meilleur coût --, le gouvernement garantit un prix fixe de 2,79 ¢/kWh, le tarif de l'électricité patrimoniale, pour 165 TWh par année (consommation provinciale prévue pour 2005) alors que les «nouveaux besoins» (au-delà des 165 TWh) seront soumis au principe de la concurrence, par appel d'offres.
Ce qui s'est construit en près d'un demi-siècle au prix de grands débats, de compromis et d'engagements envers différents acteurs de la société (notamment les consommateurs industriels, commerciaux et résidentiels), bref ce choix de société plusieurs fois reconduit ne peut être défait le temps d'une crise budgétaire et faire l'économie d'un véritable débat public dans les règles de l'art.
Ce débat nécessaire sera de plus une belle occasion de poursuivre la sensibilisation de la population aux économies d'énergie (l'approche économique et l'augmentation des tarifs n'étant pas la seule solution). Il permettra alors d'envisager ensemble les scénarios possibles, dont ceux qui viseront à protéger les plus démunis des effets pervers des changements à venir en vue de respecter les principes de ce «pacte social» et, je l'espère, de le poursuivre à l'enseigne du développement durable.
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Louis Simard, Sociologue et professeur agrégé d'administration publique à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa

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