Surveillance de la NSA : "Les Etats-Unis n'ont pas d'alliés, que des cibles ou des vassaux"

Propos recueillis par Nicolas Chapuis

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Nous l'avions compris à Vigile

Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, est l'auteur d'un rapport sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement en France. Il dénonce, dans un entretien au Monde, l'attitude des États-Unis envers leurs alliés.
Comment avez-vous accueilli les révélations du Monde sur la surveillance à grande échelle des communications des Français par l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) ?
Jean-Jacques Urvoas : Soyons honnêtes, ce n'est pas une surprise d'apprendre que la NSA espionne la France. Elle n'est d'ailleurs pas la seule agence américaine à agir ainsi. En revanche, la vraie découverte dans cette affaire, c'est l'ampleur et la systématicité de ces écoutes. Ces pratiques sont totalement démesurées et inadmissibles. Elles flétrissent considérablement l'image de cette grande nation démocratique et interrogent sur sa conception du monde et des libertés fondamentales.
Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a convoqué l'ambassadeur américain. Faut-il une réaction forte de l'exécutif pour demander des explications à Barack Obama ?
Il faut une réponse extrêmement ferme, à l'instar de la position défendue par le premier ministre et le ministre des affaires étrangères. Mais la situation n'est pas aisée car la réaction peut uniquement être diplomatique et politique. En effet, elle ne peut pas être juridique puisque, dans le domaine du renseignement, le droit sera toujours moins rapide que la technique, et le droit international s'avère lacunaire.
Cependant, il est très important de rappeler aux États-Unis que nous sommes leurs alliés, et ce depuis leur origine. Or, on ne peut pas se comporter envers des alliés comme avec des adversaires, voire des ennemis. Pareille relation implique de la confiance et de la réciprocité. Les Américains doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas nous traiter comme l'Iran ou la Syrie !
Au final, cette nouvelle péripétie révèle que les États-Unis n'ont pas d'alliés, ils n'ont que des cibles ou des vassaux. La France n'est ni l'un ni l'autre. Nous avions l'impression que nos échanges étaient équilibrés, manifestement ce n'est pas le cas. Il faut donc un réajustement et une mise au point sans concession.
Cette surveillance dépasse le cadre de la lutte contre le terrorisme...
En effet, cela ajoute à l'émoi. On s'aperçoit qu'une partie de l'espionnage concerne le domaine économique, nos positions concurrentielles... Cela représente probablement le volume le plus important de ces données. C'est une illustration de plus que les États-Unis sont une hyperpuissance et qu'ils se comportent comme tels : ils considèrent n'avoir que des droits et n'être tenus par aucun devoir.
La France a-t-elle les moyens de se défendre ?
La démesure des écoutes auxquelles procèdent les États-Unis est proportionnelle aux moyens qu'ils y consacrent. La communauté du renseignement américain bénéficie d'un budget qui avoisine les 75 milliards de dollars par an ; elle se compose de 16 services (on a tout lieu de penser qu'en réalité ils sont au nombre de 17) ; elle emploie près de 110 000 personnes et recourt à de nombreux sous-traitants. Il s'agit donc d'un rouleau compresseur.
En France, le budget annuel du renseignement tourne autour de 10 milliards d'euros pour 6 services. Une lutte technologique s'avérerait vaine. En son temps, l'URSS a trébuché sur de semblables considérations.
Une réponse européenne est-elle nécessaire ?
Le renseignement est un domaine régalien, ultra-régalien même. La défense des intérêts vitaux de la nation ne se mutualise pas. Ce n'est donc pas au niveau européen que cela se joue. Il faut que la France ait une réaction coordonnée et convergente. Une discussion très ferme doit se nouer avec le gouvernement américain, mais aussi avec leurs services. Chacun doit en parler à son alter ego. Le patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) doit en parler au patron de la NSA, le coordinateur national du renseignement en France doit en parler au DNI (Director of National Intelligence) américain, le ministre des affaires étrangères doit en parler au secrétaire d'État... Dans le monde du renseignement, l'échange est capital et se réalise sur une base de confiance réciproque. Ce mécanisme me semble aujourd'hui mis à mal. Il faut donc assainir les conditions de la coopération.
Néanmoins, il ne faut pas se faire d'illusion. Les États-Unis continueront à nous espionner. Imaginer qu'ils puissent cesser est une douce utopie. Mais ce n'est pas une raison pour être une victime consentante.


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