Suppression du corps diplomatique : Macron, le coup de grâce à la géopolitique française

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« Il n’est d’irrémédiable que la perte de l’État » Henri IV

par Alexandre Keller de t.me/kompromatmedia


Un décret, paru le 18 avril dans le Journal officiel acte la suppression du corps diplomatique français. Les hauts fonctionnaires des affaires étrangères vont entrer dans un vivier commun d’administrateurs de l’État. Ils auront vocation à passer d’un ministère à un autre tout au long de leur carrière.


En cet entre-deux-tours, l’opposition s’est évidemment saisie de l’affaire. «A quelques jours de la fin de son mandat, Emmanuel Macron a publié le décret supprimant notre corps diplomatique. Il veut remplacer des serviteurs de l’État impartiaux par du copinage», a dénoncé Marine Le Pen. Pour Jean-Luc Mélenchon, « la France voit détruire au bout de plusieurs siècles son réseau diplomatique. Le deuxième du monde. Les copains de promo vont pouvoir être nommés. Immense tristesse». «Macron abat en ce jour, un nouveau pilier de notre État régalien», a encore déploré le député Eric Ciotti.


La diplomatie, chasse gardée de l’Elysée… pour le meilleur et pour le pire


Mais le malaise est bien plus ancien. En 2010, les anciens chefs de la diplomatie, Alain Juppé et Hubert Védrine, lançaient un appel dans une tribune publiée par Le Monde : «Cessez d’affaiblir le Quai d’Orsay». «En vingt-cinq ans, le ministère des Affaires étrangères a déjà été amputé de plus de 20% de ses moyens financiers ainsi qu’en personnel», notaient-ils, «l’effet est dévastateur : l’instrument est sur le point d’être cassé, cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte».


Si la baisse des crédits alloués au ministère des Affaires étrangères préoccupe un temps les diplomates (lycées français, action culturelle…), la situation devient plus sérieuse avec Sarkozy.


Pendant son mandat, le président met le quai d’Orsay en coupe réglée, sous la houlette de Bernard Kouchner, chantre du «droit d’ingérence». Sarkozy «l’Américain» tourne définitivement la page de la politique pro-arabe de la France, même si elle se résumait de plus en plus à une «diplomatie du verbe». Le successeur de Chirac donne tout de suite le ton, en mettant sur un pied d’égalité l’armée israélienne et le Hamas. Il demande ainsi «l’arrêt immédiat des tirs de roquette sur Israël ainsi que des bombardements israéliens sur Gaza».


Destruction méthodique de la puissance française par l’Empire


Macron met un point final à une tendance longue. Dans sa guerre contre l’Europe, Washington pilonne les positions françaises depuis la Deuxième Guerre mondiale. Après un premier coup d’arrêt aux ambitions globales de la France en 1956 lors de la crise du canal de Suez, la liste des revers ne cesse de s’allonger. En 1991, la guerre en Irak pour le compte de Washington lui fait perdre une zone d’influence économique et politique majeure. Lors de la guerre de Yougoslavie, Paris trahit la Serbie pour s’aligner sur l’OTAN, augurant, sur le temps long, de l’abandon de l’axe slave de la géopolitique française.


A partir de 2003, puis de l’accident vasculaire cérébral de Chirac en 2005, Washington passe à la vitesse supérieure. Sept ans après le célèbre discours de Villepin s’opposant à une deuxième guerre en Irak, la France s’abstient en juin 2010 à l’ONU lors du vote au conseil des droits de l’homme sur la nécessité d’établir une commission d’enquête internationale pour faire la lumière sur les circonstances du raid meurtrier de l’armée israélienne contre la flottille Free Gaza.





Entre-temps, Sarkozy a réintégré la France au commandement de l’OTAN, renversé le résultat du référendum français sur l’Union européenne de 2005, et déclaré la guerre à la Libye en 2011 pour le compte des États-Unis.


Au pouvoir réel dès 2012, derrière un François Hollande inconsistant, le secrétaire général adjoint de l’Elysée Macron accélère encore le mouvement. Laurent Fabius, ministre qui estimait que le proxy terroriste américain Daesh faisait du «bon boulot», prend les commandes des Affaires étrangères et jette la France dans la guerre contre la Syrie, là encore un pilier de l’influence française. Fin 2012, la France commence docilement à fournir des armes et de l’équipement à des groupes de l’«Armée syrienne libre». La DGSE se charge des livraisons malgré l’embargo imposé par l’Union européenne. En 2014, Paris intègre la coalition internationale dirigée par Washington.


L’absorption par l’UE et l’OTAN pour seul horizon ?


Après avoir perdu son influence en Asie, puis au Moyen-Orient, la France s’est vue lors du mandat de Macron évincée du Grand jeu dans le Pacifique, avec l’humiliation de la rupture du contrat de livraison de sous-marins à l’Australie, et la formation surprise de l’alliance AUKUS.


Partout, la France s’est rétractée, jusqu’au territoire national. Dans la crise du Covid, face aux situations insurrectionnelles dans les Outre-Mer, le gouvernement Castex n’a pas hésité à mettre en balance l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ou des Antilles pour se débarrasser du problème. Enfin, gendarme de l’Afrique pour le compte des États-Unis, l’armée française a jeté l’éponge au Mali avec la fin de l’opération Barkhane. Son influence dans le Maghreb se réduit comme peau de chagrin, tandis que l’Algérie oscille entre Washington et Moscou.


Macron, c’est aussi une curieuse conception, très «en même temps», d’une souveraineté française articulée à une souveraineté européenne, péniblement théorisée avec le traité de coopération et d’intégration franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, en janvier 2019. Dans les faits, la France est inféodée à l’UE et Bruxelles à Washington et à l’OTAN.



L’ex-associé de Rothschild ne s’en est pas caché lors de son discours de victoire devant la pyramide du Louvre en 2017, puis de son meeting de campagne en 2022 sur fond de drapeau européen : en cinq ans, la France a officialisé son statut de pays membre comme les autres de l’Union. Si le gouvernement se défend de vouloir céder son fauteuil de membre permanent du Conseil de Sécurité, des ballons d’essai sont régulièrement lancés sur la question de savoir s’il ne serait pas opportun de le partager avec l’Allemagne.


 



En outre, la séquence du Covid, puis la guerre en Ukraine, ont fait tomber le voile sur le véritable projet européen. Désormais, c’est Ursula von der Leyen et Josep Borrell, sorte de super-ministre européen des Affaires étrangères, qui occupent le devant de la scène et mènent le bal diplomatique, sans plus de faux semblants. Jean-Yves Le Drian est devenu transparent.


«Mise en extinction»


Dans ces conditions, Macron n’aurait-il pas, finalement, raison – rationnellement, de liquider le deuxième réseau diplomatique mondial et de plier la boutique ? Voire, pourquoi pas, de confier certains dossiers internationaux à McKinsey ou la coopération à des start-ups caritatives?


Au ministère des affaires étrangères, l’ultime baroud d’honneur a débuté en octobre, mais peut-être pour des motifs plus terre à terre. Deux corps assez privilégiés, piliers de la diplomatie française, sont dans le collimateur : celui des conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires, «mis en extinction» à partir de 2023.


Les hauts fonctionnaires rejoindront un nouveau «corps des administrateurs de l’État», où seront rassemblés les cadres jusqu’ici formés par l’École nationale d’administration (ENA), elle-même remplacée par l’Institut national de la fonction publique depuis janvier 2022. Avec, potentiellement, un noyautage croissant de L’État par des élites pro-américaines, soit qu’elles aient été formées dans leur cursus aux États-Unis, soit qu’elles aient été cooptées par des think tanks et des réseaux comme les Young Leaders ou Davos.


Un tour de passe-passe, une vraie fausse réforme qui change tout pour ne rien changer, mais qui atteint sans doute son véritable but : liquider ce qui reste d’influence à l’un de cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, pour les intérêts de Washington.


Le Quai d’Orsay rentre à son tour de plain-pied dans la gouvernance post-démocratique.


Alexandre Keller, pour Strategika