SNC-Lavalin: les accusations d’ingérence se retournent contre Wilson-Raybould

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Elle exigeait de Trudeau qu'il s'ingère directement dans le processus judiciaire


L’étoile de Jody Wilson-Raybould pâlit. Les ministres libéraux estiment que leur ex-collègue a fait preuve d’incohérence en se plaignant des tentatives du premier ministre de l’influencer dans le dossier SNC-Lavalin alors qu’elle a elle-même exigé de lui qu’il ordonne au nouveau ministre de la Justice de ne pas conclure d’accord de réparation avec le géant québécois. Même le chef adjoint du NPD y voit une contradiction qui « met en doute sa version des faits ».


Mercredi soir, des médias anglophones ont rapporté que lorsque l’affaire SNC-Lavalin a éclaté dans les médias en février, Mme Wilson-Raybould a négocié sa « collaboration » avec le bureau du premier ministre. Le Devoir a pu faire confirmer cette information. Mme Wilson-Raybould exigeait des excuses de Justin Trudeau et la démission de trois personnes (deux conseillers de M. Trudeau, Gerald Butts et Mathieu Bouchard, et le greffier du Conseil privé, Michael Wernick). Sa cinquième condition est celle qui fait aujourd’hui sourciller : elle voulait que son successeur, David Lametti, se fasse ordonner de maintenir sa décision dans le dossier SNC-Lavalin.


« Ça me semble un petit peu une contradiction », lance le ministre Marc Garneau (Transports). Il admet que cette cinquième condition l’a « surpris ». « Pour elle, c’était essentiel que son remplaçant comme procureur général ne modifie pas l’approche qu’elle avait choisie. Par contre, l’argument qu’elle avait présenté pendant les deux derniers mois, c’est qu’il ne devait jamais y avoir d’influence sur la personne qui est le procureur général. »


Mélanie Joly (Tourisme) n’en pense pas moins. « Si c’est vrai, on peut se poser de sérieuses questions quant à ses intentions. Parce qu’essentiellement, les conditions sont telles qu’il y a une incitation à utiliser l’interférence. »


Leur collègue Jonathan Wilkinson (Pêches) estime que Mme Wilson-Raybould a tenté d’usurper les pouvoirs du premier ministre. « On doit avoir un premier ministre qui est le premier ministre. Et il doit décider les choses qui sont très importantes et on ne peut pas avoir des ministres du cabinet qui dictent la ligne d’action du gouvernement. »


Même au NPD, qui s’est attaqué sans relâche au gouvernement à cause de cette affaire, on reconnaît que cette cinquième condition place l’ex-ministre de la Justice en contradiction avec elle-même. « Si effectivement c’est ça, c’est complètement incohérent et ça vient mettre en doute sa propre version de l’histoire, il faut l’admettre », a lancé le chef adjoint, Alexandre Boulerice. Le chef Jagmeet Singh est sorti plus tard pour désavouer son bras droit. Selon lui, cette histoire ne sert qu’à « salir la réputation » de Mme Wilson-Raybould. « C’est absurde de dire […] que demander de ne pas avoir d’ingérence politique est de l’ingérence politique. »


SNC-Lavalin est accusé d’avoir versé 48 millions de dollars en pots-de-vin en Libye. La directrice des poursuites pénales (DPP) a décidé en septembre 2018 qu’un accord de réparation ne serait pas négocié avec l’entreprise et que l’affaire serait plutôt portée devant les tribunaux.


La loi autorise le ministre de la Justice et procureur général à demander à la DPP de changer de cap. C’est ce que Mme Wilson-Raybould refusait de faire. Elle a plaidé qu’utiliser ce pouvoir — qui n’a jamais été utilisé depuis sa mise en place en 2006 — serait assurément perçu comme de l’ingérence politique. L’entourage de M. Trudeau a tenté de la convaincre de l’utiliser, ce qu’elle a qualifié de pressions « inappropriées ». Le NPD dit approuver ce pouvoir conféré au ministre par la loi, mais semble néanmoins dire que l’utiliser équivaudrait à de l’ingérence politique.



On doit avoir un premier ministre qui est le premier ministre. Et il doit décider les choses qui sont très importantes et on ne peut pas avoir des ministres du cabinet qui dictent la ligne d’action du gouvernement.




 

L’actuel ministre de la Justice, David Lametti, a affirmé qu’il ignorait tout de ces tractations entre sa prédecesseure et l’entourage de M. Trudeau. « Je n’étais ni au courant ni partie d’une telle conversation, si en effet une telle conversation a eu lieu. Mais ce que je peux vous dire, c’est que si quelqu’un essaie de lier mes mains, comme procureur général du Canada, je vais résister. »


Selon nos informations, les discussions avec Mme Wilson-Raybould ont débuté dès la publication de l’histoire du Globe and Mail en février et se sont poursuivies jusqu’à lundi, la veille de son expulsion du caucus libéral. Elles ont impliqué plusieurs personnes, incluant d’autres députés. Ce que Mme Wilson-Raybould aurait offert en échange n’est pas clair. Au bout du compte, deux de ses conditions ont été remplies : M. Butts a démissionné (même si on affirme en coulisses que ce n’est pas en réponse à la demande formulée) et M. Wernick a pris sa retraite.


Interceptée au parlement, Mme Wilson-Raybould a refusé de confirmer l’exactitude de cette version des faits, rappelant que le décret l’autorisant à parler ne couvre pas cette période de l’histoire. Elle a toutefois admis qu’elle voulait des excuses. « J’aurais depuis le début souhaité que le premier ministre accepte sa responsabilité et s’excuse auprès des Canadiens pour ce qui s’est passé. » De passage à Alma, M. Trudeau a du bout des lèvres confirmé les événements. « On a travaillé très fort pour essayer de trouver une façon d’aller de l’avant ensemble. »




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