À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, le Préfet de la congrégation pour le culte divin, l’une des voix les plus fortes de l’Église, nous a reçu à Rome pour un entretien exclusif.
Amateurs de langue de buis, s’abstenir ! Si les livres de prélats catholiques suscitent souvent un ennui poli par leur tiédeur de tisane, le Soir approche et déjà le jour baisse, le nouveau livre d’entretiens du cardinal Robert Sarah avec Nicolas Diat, fait figure d’alcool fort. Rappelant qu’un monde qui oublie Dieu va à sa perte, renvoyant dos à dos la « barbarie matérialiste » et la « barbarie islamiste », exhortant l’Eglise à remettre le Christ au centre, dénonçant le pacte de Marrakech soutenu par le Vatican ou mettant en garde contre l’ordination d’hommes mariés que certains voudraient expérimenter à l’occasion du prochain synode sur l’Amazonie, le cardinal Sarah invite à une véritable résistance spirituelle, rappelant que seul le Christ est l’Espérance du monde.
Pourquoi avoir choisi un titre aussi sombre, au risque d’effrayer le lecteur ?
Ce livre est d’abord un appel à la lucidité et à la clairvoyance. L’Église traverse une grande crise. Les vents sont d’une violence rare. Rare sont les journées sans scandale, réels ou mensongers. Les fidèles peuvent donc légitimement s’interroger. J’ai voulu ce livre pour eux. Je souhaite qu’ils puissent sortir de cette lecture avec la joie que donne le Christ : « Reste avec nous, Seigneur : le soir approche et déjà le jour baisse. » C’est la résurrection du Fils de Dieu qui donne l’Espérance dans l’obscurité.
Le choix de ce verset extrait de l’Évangile des pèlerins d’Emmaüs, est-ce pour vous une manière d’indiquer que l’Eglise ne met pas suffisamment le Christ et la prière au centre ?
Je crois fermement que la situation que nous vivons au sein de l’Eglise ressemble en tout point à celle du Vendredi saint, quand les apôtres ont abandonné le Christ, que Judas l’a trahi, car le traître voulait un Christ à sa manière, un Christ préoccupés par des questions politiques. Aujourd’hui, nombre de prêtres et d’évêques sont littéralement ensorcelés par des questions politiques ou sociales. En réalité, ces questions ne trouveront jamais de réponses en dehors de l’enseignement du Christ. Il nous rend plus solidaires, plus fraternels ; tant que nous n’avons pas le Christ comme grand-frère, le premier-né d’une multitude de frères, il n’y a pas de charité solide, pas d’altérité véritable. Le Christ est la seule lumière du monde. Comment l’Eglise pourrait-elle se détourner de cette lumière ? Comment peut-elle passer son temps à se perdre dans des questions purement matérialistes ?
Certes, il est important d’être sensibles aux personnes dans la souffrance. Je pense en particulier aux hommes qui quittent leur pays. Mais pourquoi s’éloignent-ils de leur terre ? Parce que des puissances sans foi, qui ont perdu Dieu, pour qui il n’y a que l’argent et le pouvoir qui comptent, ont déstabilisé leurs nations. Ces difficultés sont immenses. Mais, je le répète, l’Église doit d’abord redonner aux hommes la capacité de regarder vers le Christ : « Quand je serai élevé, j’attirerai tous les hommes ». C’est le Christ crucifié qui nous apprend à prier et à dire : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». C’est en regardant le Fils de Dieu que l’Eglise pourra apprendre à porter les hommes vers la prière et à pardonner comme le Christ. Ce livre veut essayer de redonner à l’Église le sens de sa grande mission divine. Pour qu’elle puisse porter les hommes au Christ qui est l’Espérance. Voilà la signification du titre de notre livre : aujourd’hui tout est sombre, difficile, mais quelles que soient les difficultés que nous traversons, il y a une seule personne qui peut venir à notre secours. Il faut qu’il y ait une institution pour conduire à cette personne : c’est l’Eglise.
Rappeler l’Eglise à sa vraie mission : c’est une manière de dire qu’elle s’en écarte parfois. Vous allez jusqu’à dénoncer les pasteurs qui trahissent leurs brebis, ce que beaucoup de catholiques ont du mal à croire…
Votre remarque n’est pas propre à notre temps : regardez l’ancien Testament, qui abonde en mauvais pasteurs, ces hommes qui aiment bien profiter de la viande ou de la laine de leur brebis, sans prendre soin d’elles ! Il y a toujours eu des trahisons dans l’Eglise. Aujourd’hui, je ne crains pas d’affirmer que des prêtres, des évêques et même des cardinaux ont peur de proclamer ce que Dieu enseigne et de transmettre la doctrine de l’Eglise. Ils ont peur d’être désapprouvés, d’être vus comme des réactionnaires. Alors ils disent des choses floues, vagues, imprécises, pour échapper à toute critique, et ils épousent l’évolution stupide du monde. C’est une trahison : si le pasteur ne conduit pas son troupeau vers les eaux tranquilles, vers les prés d’herbe fraîche dont parle le psaume, s’il ne le protège pas contre les loups, c’est un pasteur criminel qui abandonne ses brebis. S’il n’enseigne pas la foi, s’il se complait dans l’activisme au lieu de rappeler aux hommes qu’ils sont faits pour prier, il trahit sa mission. Jésus dit : « Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. » C’est ce qui se passe aujourd’hui. On ne sait plus vers qui se tourner.
À l’évidence, il existe une forte majorité de prêtres qui restent fidèle à leur mission d’enseignement, de sanctification et de gouvernement. Mais il y a aussi un petit nombre qui cède à la tentation morbide et scélérate d’aligner l’Eglise sur les valeurs des sociétés occidentales actuelles.
N’y a-t-il pas aujourd’hui, plus spécifiquement, la tentation chez certains d’aligner l’Eglise sur les valeurs du monde, afin de ne plus être en contradiction avec lui ?
À l’évidence, il existe une forte majorité de prêtres qui restent fidèle à leur mission d’enseignement, de sanctification et de gouvernement. Mais il y a aussi un petit nombre qui cède à la tentation morbide et scélérate d’aligner l’Eglise sur les valeurs des sociétés occidentales actuelles. Ils veulent avant tout que l’on dise que l’Église est ouverte, accueillante, attentive,...