Selon une étude du Pentagone, l’empire américain s’effondre

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Ce sont des Américains qui le disent

A quel moment précis cela a-t-il commencé, il est malaisé de le dire. Avec l’Ukraine ? Avec la Syrie ? Avec l’irrésistible avancée de l’intégration eurasienne ? Toujours est-il que depuis quelques années, que ce soit à l’intérieur avec notamment la récente victoire de Trump contre le censément indéboulonnable clan Clinton, ou à l’étranger avec une liste grandissante de pays qui refusent catégoriquement de lui céder un pouce de terrain, l’appareil mondialiste des USA vole d’échec en échec. Le Pentagone en prend bonne note et propose sa solution : encore plus de ce qui rate avec, en conséquence, une accélération prévisible de son effondrement.


Analyse d’une puissance paralysée par son propre narcissisme.


Selon une extraordinaire nouvelle information, le Département de la défense s’éveille à la réalité de l’effondrement de la primauté des USA, et à la désagrégation rapide de l’ordre international créé par la puissance américaine après la Seconde Guerre mondiale. Mais la vision émergente du Pentagone n’a rien pour inspirer confiance : le rapport demande une expansion massive du complexe militaro-industriel pour maintenir « l’accès mondial aux ressources. »


Nous analysons à la fois les conclusions et les failles cognitives de cette vision.


Une extraordinaire nouvelle étude du Pentagone a conclu à l’effritement, et peut-être même à l’effondrement de l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale par les USA, ce qui mène à la perte de leur position de « primauté » dans les affaires du monde.


La solution proposée pour protéger la puissance des USA dans ce nouvel environnement « post-primauté » est, toutefois, encore plus de la même chose : plus de surveillance, plus de propagande (« manipulation stratégique de la perception »), et plus d’expansionnisme militaire.


Selon la conclusion du document, le monde est entré dans une nouvelle phase de transformation dans laquelle le pouvoir des USA décline, l’ordre international se désagrège, et l’autorité des gouvernements s’effondre partout.


A la suite de la perte de leur statut passé de « prééminence », les USA habitent désormais un monde « post-primauté » imprévisible, dangereux, dont le trait caractéristique est la « résistance à l’autorité ».


Le danger ne vient pas seulement de grandes puissances rivales comme la Russie et la Chine, toutes deux dépeintes comme des menaces rapidement grandissantes envers les intérêts des USA, mais aussi dune monté de risques d’événements de style « Printemps arabe ». Ces révoltes n’éclateront pas seulement au Moyen-Orient, mais dans le monde entier, et mineront potentiellement la confiance dans les gouvernements en exercice.


Le rapport, basé sur des recherches intensives menées depuis un an, y compris par des consultations avec des agences-clé du Département de la défense et de l’armée des USA, appelle le gouvernement des USA à  investir davantage dans une surveillance accrue, une meilleure propagande à travers la « manipulation stratégique » de l’opinion publique, et une armée des USA plus « étendue et flexible ».


Le rapport a été publié en juin par le U.S. Army War College’s Strategic Studies Institute pour évaluer l’approche du Département de la défense à la gestion des risques à tous les niveaux de la planification des politiques du Pentagone. L’étude a été soutenue et financée par plusieurs comités des forces armées, le U.S. Army’s Strategic Plans and Policy Directorate ; le Joint Staff, J5 (Strategy and Policy Branch) ; l’Office of the Deputy Secretary of Defense for Strategy and Force Develop­ment ; et l’Army Study Program Management Office.


L’effondrement


« Bien que les États-Unis demeurent un géant politique, économique et militaire, il ne jouit plus du statut de forteresse imprenable face à des États rivaux, » se lamente le rapport.


« En bref, le statu quo qui avait été couvé et nourri par les stratèges des USA après la Seconde Guerre mondiale et qui a représenté pendant des décennies la « zone de travail » principale du Département de la défense n’est pas seulement en train de s’effilocher, mais peut bien être en phase d’effondrement. »


L’étude décrit la nature essentiellement impériale de cet ordre comme étayée par la domination américaine, avec la capacité, pour les USA et leurs alliés, de littéralement dicter leurs termes dans le but de consolider leurs intérêts personnels :


« L’ordre et ses parties constitutives, qui ont émergé de la Deuxième Guerre mondiale, ont été transformés en système unipolaire avec la chute de l’Union Soviétique, et ont en général été dominés par les USA et leurs principaux alliés occidentaux et asiatiques depuis. Les forces du statu quo, collectivement, sont satisfaites de leur rôle dominant, qui les autorise à dicter les termes de la sécurité internationale et leur permet de résister à l’émergence de centres rivaux de pouvoir et d’autorité. »


Mais cette période où les USA et leurs alliés pouvaient simplement faire ce qu’ils voulaient est terminée. Tout en observant que les officiels des USA « ressentent naturellement l’obligation de préserver la position mondiale des USA dans le cadre d’un ordre international favorable, » le rapport conclut que cet « ordre mondial fondé sur des règles que les USA ont bâti et maintenu pendant 7 décennies subit d’énormes pressions. »


Le rapport offre une analyse détaillée de la façon dont le Département de la défense perçoit l’effritement de cet ordre, avec un Pentagone de plus en plus en retard sur le rythme des événements du monde. L’étude prévient, « les événements mondiaux vont plus vite que le Département de la défense n’est capable de les traiter pour le moment », et conclut que les USA « ne peuvent plus compter sur la position inattaquable de domination, de suprématie ou de prééminence dont ils ont joui pendant plus de vingt ans, à la suite de la chute de l’Union Soviétique. »


La puissance des USA est si diminuée qu’ils peuvent même plus « automatiquement engendrer et soutenir une supériorité militaire locale. »


Ce n’est pas seulement la puissance des USA qui décline. L’étude de l’ U.S. Army War College conclut que :


« Tous les États et les structures existantes d’autorité politique subissent des pressions grandissantes de la part de forces exogènes et endogènes… La désagrégation du système mondial d’après-Guerre froide s’accompagne d’un effritement interne du tissu politique, social et économique dans pratiquement tous les États. »


Mais, selon le document, cela ne doit pas être vu comme du défaitisme, mais comme un « signal d’alarme ». Si rien n’est fait pour s’adapter à ce monde « post-primauté », la complexité et la rapidité des événements mondiaux vont « de plus en plus défier les stratégies actuelles du Département de la défense, ses planifications et les conventions et biais de sa gestion des risques. »


La défense du « statu quo »


En tête de liste des forces qui ont fait tomber les USA de leur position de prééminence mondiale, dit le rapport, viennent les rôles de puissances rivales – des rivaux majeurs comme la Russie et la Chine, aussi bien que des acteurs moins importants comme l’Iran et la Corée du Nord.


Le document est particulièrement franc sur la raison pour laquelle les USA voient ces pays comme des menaces – pas tant à cause de questions militaires ou de sécurité tangibles, mais d’abord et avant tout parce que leur focalisation sur leurs légitimes intérêts nationaux est en elle-même vue comme une menace envers la domination des USA.


La Russie et la Chine sont décrites comme des « forces révisionnistes » qui profitent de l’ordre international dominé par les USA, mais qui osent « rechercher une nouvelle distribution des pouvoirs et une autorité correspondant à leur émergence en tant que rivaux légitimes de la domination américaine. » La Russie et la Chine, disent les analystes, « se sont engagées dans un programme délibéré destiné à démontrer les limites de l’autorité des USA, de leur volonté, de leur portée, de leur influence et de leur impact. »


L’argument de base de cette conclusion est que le « statu quo » de l’ordre mondial dirigé par les USA est fondamentalement « favorable » aux intérêts des USA et de leurs alliés. Toute tentative pour le rendre également « favorable » à d’autres est automatiquement perçu comme une menace à la puissance et aux intérêts des USA.


Ainsi, la Russie et la Chine « cherchent à réordonner leur position au sein du statu quo existant dans des directions qui – au minimum – créent des circonstances favorables à leurs objectifs de base. » A première vue, il n’y a rien de mal à cela. De sorte que les analystes soulignent « qu’une perspective plus maximaliste les voit rechercher des avantages aux dépens directs des USA et de leurs principaux alliés occidentaux et asiatiques. »


De façon encore plus remarquable, il n’y a que peu d’arguments dans le document sur la façon dont la Russie et la Chine représenteraient une menace significative envers les USA.


Le principal défi est qu’elles sont « obstinées dans leur révision du statu quo contemporain » à travers l’utilisation de techniques de « zone grise », y compris « des méthodes et des moyens qui confinent aux provocations ouvertes et aux conflits, sans jamais dépasser les limites. »


Ces « formes glauques, moins évidentes d’agressions par des États », même si elles ne tombent pas dans la violence ouverte, sont condamnées – mais ensuite, l’étude du Pentagone perd toute prétention à la moralité en préconisant que les USA aillent également « soit dans la zone grise, soit à la maison » pour renforcer l’influence des USA.


Le document explique aussi les vraies raisons pour lesquelles les USA sont hostiles aux « forces révolutionnaires » comme l’Iran ou la Corée du Nord : elles représentent des obstacles fondamentaux à l’influence impériale des USA dans ces régions.


Ces obstacles sont :


« … ces pays ne sont pas les produits de l’ordre contemporain et n’en sont pas satisfaits… au minimum, ils ont l’intention de détruire la portée de l’ordre dirigé par les USA dans ce qu’ils perçoivent comme leur sphère légitime d’influence. Ils sont également résolus à remplacer cet ordre localement par de nouvelles règles édictées par leurs soins. »


Loin d’insister sur la menace nucléaire posée par ces pays, comme le fait officiellement le gouvernement des USA, le document insiste plutôt sur leur aspect d’entrave à l’expansion de « l’ordre dirigé par les USA ».


Défaite dans la guerre de la propagande


Au milieu des défis posés par ces puissances rivales, l’étude du Pentagone souligne la menace de forces non-gouvernementales qui minent « l’ordre dirigé par les USA » sur des plans différents, d’abord à travers l’information.


« L’hyperconnectivité et l’utilisation de l’information, de la désinformation et du mécontentement comme armes, observe l’équipe de l’étude, mène à une dissémination incontrôlée de l’information. Le corollaire en est que le Pentagone fait face à une « inévitable élimination du secret et de la sécurité opérationnelle. »


« Le large accès incontrôlé à des technologies que la plupart tiennent pour acquises est en train de miner les avantages militaires précédents en matière de discrétion, de secret, d’intentions cachées, d’actions, ou d’opérations… au bout du compte, les leaders hauts gradés de la défense devraient considérer que toutes les activités liées à la défense, que ce soient des mouvements tactiques mineurs ou des opérations militaires majeures se produiront à partir d’aujourd’hui de façon totalement ouverte. »


Cette révolution de l’information, également, mène à une « désintégration générale des structures de pouvoir existantes… alimentée et/ou accélérée par l’hyperconnectivité, ainsi que la dégradation évidente et l’échec potentiel du statu quo de l’après-Guerre froide.


Des troubles sociaux en vue


Tout en mettant en avant la menace posée par des groupes comme Daech et Al-Qaïda, l’étude désigne aussi une « instabilité sans leaders » (comme dans le cas du Printemps arabe) » comme moteur majeur d’une « érosion généralisée ou d’une dissolution des structures de pouvoir existantes. »


Le document suggère que ces troubles sociaux populistes sont probablement voués à se développer dans les pays occidentaux, y compris aux États-Unis.


« A ce jour, les stratèges des USA sont restés focalisés sur cette tendance au Moyen-Orient. Toutefois, les mêmes forces sont similairement en train d’éroder la portée et l’autorité des gouvernements dans le monde… il serait peu sage de ne pas reconnaître qu’elles vont muter, se métastaser, et se manifester différemment avec le temps. »


Les USA eux-mêmes sont signalés comme particulièrement vulnérables à l’effritement des « structures d’autorité existantes » :


« Les États-Unis et leur population sont de plus en plus exposés à des dangers substantiels et à une érosion de la sécurité de la part d’individus et de groupes d’acteurs motivés, qui utilisent la convergence de l’hyperconnectivité, de la peur et d’une vulnérabilité accrue (sic) pour semer le désordre et l’incertitude. Cette forme de résistance intensément déroutante et corrosive à l’autorité arrive à travers la violence physique, virtuelle et psychologique et peut créer des effets qui apparaissent substantiellement disproportionnés à l’origine, au volume physique ou à l’échelle de la source du danger. »


Il n’y a presque aucune réflexion, toutefois, sur le rôle du gouvernement des USA lui-même comme facteur principal de cette méfiance endémique à travers ses propres politiques.


Des faits nuisibles


Parmi les moteurs les plus dangereux de ces risques de troubles sociaux et de déstabilisation de masse, selon le document, se trouvent différentes catégories de faits. Mises à part les évidentes « informations mensongères », définies comme des informations qui minent « la vérité objective », les autres catégories comprennent des informations et faits véridiques, qui, malgré tout, sont dommageables à la réputation mondiale des USA.


Les informations « gênantes » consistent en révélations de « détails qui, par implication, minent l’autorité légitime et érodent les relations entre gouvernants et gouvernés » – des faits, qui par exemple, révèlent la corruption, l’incompétence ou l’aspect non démocratique des politiques gouvernementales.


Les informations « dangereuses » désignent les fuites de dossiers de la sécurité nationale par des lanceurs d’alerte comme Snowden ou Manning, « qui exposent à la vue de tous des informations hautement classifiées, sensibles, ou propriétaires qui peuvent être utilisées pour accélérer une vraie perte d’avantages tactique, opérationnelle ou stratégique. »


Les informations fondées sur des « faits toxiques » ont trait à des vérités factuelles qui, se plaint le document, sont « données hors contexte » et empoisonnent par conséquent les « débats politiques importants. » Ces informations sont perçues comme les plus à mêmes de déclencher des flambées de troubles sociaux, parce qu’elles :


 » … affaiblissent fatalement les fondements de la sécurité aux niveaux international, régional, national, ou personnel. De fait, les exposés de faits toxiques sont les plus à mêmes de déclencher une insécurité virale ou contagieuse à travers ou à l’intérieur des frontières et entre ou parmi les peuples. »


 En résumé, l’équipe de l’étude de l’U.S. Army War College pense que la dissémination de ‘faits’ qui mettent en cause la légitimité de l’empire américain est l’un des principaux moteurs de son déclin, et non le comportement de l’empire que ces faits dénoncent. 

Surveillance de masse et guerre psychologique


L’étude du Pentagone propose donc deux solutions à la menace de l’information.


La première consiste à faire un meilleur usage des capacités américaines de surveillance de masse, qui sont décrites comme « le complexe de renseignement le plus étendu, sophistiqué et intégré au monde. »Les USA peuvent produire des renseignements plus vite et de façon plus fiable que leurs compétiteurs, s’ils en décident ainsi. » Ces capacités, ajoutées au « volontarisme de leur présence militaire et de leur projection de puissance » mettent les USA dans une « position de force enviable ».


Supposément, toutefois, le problème est que les USA ne font pas pleinement usage de cette force potentielle :


« Cette force, malgré tout, n’a de valeur que par la volonté des USA de la voir et de l’utiliser à son avantage. Dans la mesure où les USA et leur entreprise de défense seront considérés comme des meneurs, les autres suivront… »


Le document critique aussi les stratégies des USA pour leur focalisation sur la défense contre les tentatives de pays étrangers pour pénétrer et perturber les renseignements américains, aux dépens de « l’exploitation déterminée de la même architecture pour la manipulation stratégique des perceptions et son influence afférente sur les résultats politiques et sécuritaires. »


Les officiels du Pentagone doivent simplement accepter, en conséquence, que :


« … les États-Unis, les Américains individuels et l’opinion publique américaine deviendront de plus en plus des champs de bataille. »


Suprématie militaire


Après avoir déploré la perte de la primauté américaine, le rapport du Pentagone voit l’expansion des forces armées des USA comme la seule option.


Le consensus bipartisan actuel sur la suprématie militaire, toutefois, n’est pas suffisant. Le document requiert une force militaire assez puissante pour préserver « une liberté d’action maximum », et permettre aux ISA de « dicter ou de préserver assez d’influence pour peser sur les aboutissements des disputes internationales. »


Il serait très difficile de trouver une déclaration plus claire des intentions impériales des USA dans n’importe quel autre de leurs documents.


« Alors qu’en règle générale, les leaders des deux partis politiques des USA ont systématiquement été engagés dans le maintien de la supériorité militaire des USA sur tous leurs États rivaux potentiels, la réalité post-primauté exige des forces armées plus étendues et plus flexibles, qui puissent générer des avantages et des options dans l’éventail le plus large possible de besoins militaires potentiels. Pour les leaders politiques des USA, le maintien d’un avantage militaire garantit une liberté d’action maximale… Finalement, il permet aux décideurs des USA de dicter leurs termes ou de préserver une influence significative sur les aboutissements des disputes internationales dans l’ombre des capacités militaires significatives des USA et de la promesse implicite de conséquences inacceptables si ces capacités étaient employées. »


Encore une fois, la puissance militaire est essentiellement décrite comme un outil qui permet aux USA d’user de force, de menacer et de flatter les autres pays pour les soumettre aux exigences des États-Unis.


Le concept même de ‘défense’ est ainsi redéfini comme la capacité à utiliser une puissance militaire écrasante pour parvenir à ses fins – tout ce qui entame cette capacité est automatiquement perçu comme une menace qui doit être attaquée.


L’empire du capital


De la même façon, un des buts de base de cet expansionnisme militaire est de s’assurer que les USA et leurs partenaires internationaux jouissent d’un « accès illimité à l’air, aux mers, à l’espace et au spectre électromagnétique (sic) pour conforter leurs sécurité et leur prospérité. »


Cela signifie aussi que les USA doivent préserver leur capacité à accéder à toutes les régions qu’ils veulent, au moment où ils le veulent :


« Des échecs ou des limites à la capacité des USA à entrer et à opérer dans des régions-clés du monde, par exemple, minent à la fois la sécurité des USA et de ses partenaires. »


Les USA doivent donc tenter de minimiser toute « interruption volontaire, malveillante, ou fortuite de leur accès aux zones de libre circulation, aussi bien qu’aux régions d’importance critique, aux ressources et aux marchés. »


Sans jamais se référer nommément au ‘capitalisme’, le document élimine toute ambiguïté sur la façon dont le Pentagone voit cette nouvelle période de « conflit persistant 2.0 » :


« Quelques personnes combattent la mondialisation, et la mondialisation se bat activement aussi contre elles. Combinées, toutes ces forces sont en train de déchirer le tissu de la sécurité et de la gouvernance stable auxquels tous les États aspirent et dont ils ont besoin pour assurer leur survie. »


Ceci est donc une guerre entre la mondialisation capitaliste menée par les USA, et tous ceux qui lui résistent.


Et pour la gagner, le document met en avant une combinaison de stratégies : la consolidation du complexe du renseignement et une utilisation impitoyable de ses capacités ; une intensification de la surveillance de masse et de la propagande pour manipuler l’opinion publique ; l’expansion de la puissance militaire des USA pour s’assurer un accès à « des régions stratégiques, des marchés, et des ressources. »


Mais le but premier est quelque peu plus modeste – il s’agit d’empêcher l’ordre dirigé par les USA de s’effondrer encore davantage :


« … alors que le terrain favorable du statu quo dominé par les USA subit des pressions significatives internes comme externes, un pouvoir américain adapté peut aider à prévenir ou même à inverser des échecs flagrants dans les régions les plus critiques. »


L’espoir est que les USA seront capables de concevoir et de concrétiser « un ordre international post-primauté remodelé, malgré tout toujours favorable [aux USA]. »


La question du narcissisme


Comme toutes les publications de l’U.S. Army War College, le document établit qu’il ne représente pas nécessairement la position officielle de l’armée des USA ou du Département de la défense. Cet avertissement signifie que ses conclusions ne peuvent pas être officiellement imputées au gouvernement des États-Unis, mais le document admet par ailleurs qu’il représente le «consensus » des nombreux officiels consultés.


Dans ce sens, le document offre un aperçu unique de la mentalité du Pentagone, et de l’embarrassant manque d’envergure de ses mécanismes cognitifs.


Et cela nous révèle non seulement la raison pour laquelle l’approche du Pentagone ne peut qu’aggraver les choses, mais aussi à quoi pourrait ressembler une approche plus constructive.


Lancée en juin 2016 et complétée en avril 2017, le projet de recherches de l’U.S. Army War College comprenait des consultations étendues avec des officiels de tous les services du Pentagone, y compris des représentants du Comité des chefs d’état-major interarmées, du Bureau du Secrétaire de la défense (OSD), du CENTCOM, de l’UPASCOM, de l’USNORTHCOM, de l’USSOCOM, des forces US au Japon (USFJ), du service de renseignement de la défense (DIA), du National Intelligence Council (NIC, de l’ USSTRATCOM, et du United States Army Pacific, et de la flotte du Pacifique ( PACFLT).


L’équipe de l’étude a également consulté une poignée de think tanks américains de tendance néocon : l’ American Enterprise Institute, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), la RAND Corporation et l’Institut pour l’étude de la guerre (Institute for the Study of War).


Rien d’étonnant, donc, si les conclusions sont aussi myopes.


Mais qu’espérer d’autre de la part d’un processus de recherches aussi profondément narcissique, qui ne se parle qu’à lui-même ? Faut-il s’étonner si ses solutions représentent seulement une chambre d’écho qui en appelle à l’amplification des politiques précisément responsables, au moins en grande partie, de la déstabilisation de la puissance des USA ?


La méthodologie de la recherche arrive à systématiquement ignorer les indications les plus critiques sur les moteurs de la baisse d’influence des USA : entre autres facteurs, les processus biophysiques du climat, de l’énergie et des crises économiques derrière le Printemps arabe ; la convergence de violence militaire, d’intérêts liés aux énergies fossiles et d’alliances géopolitiques derrière la montée de Daech ; ou les griefs fondamentaux qui ont mené à une baisse catastrophique de la confiance dans les gouvernements depuis la crise financière de 2008 et l’échec de l’économie néolibérale qui s’est ensuivi.


Une abondante littérature démontre que l’escalade des risques rencontrés par le pouvoir américain ne vient pas de l’extérieur, mais de la façon même dont le pouvoir américain a opéré. L’effondrement de l’ordre international mené par les USA, vu sous cet angle, est une conséquence directe des failles structurelles de sa vision et de ses valeurs.


Dans ce contexte, les conclusions de l’étude sont moins un reflet de l’état du monde que de la façon dont le Pentagone se voit et perçoit le monde.


De fait, l’aspect le plus révélateur est l’incapacité totale du document à reconnaître le rôle du Pentagone lui-même dans l’application systématique, depuis des décennies, d’un large éventail de politiques qui ont directement contribué à l’instabilité qu’il se propose aujourd’hui d’endiguer.


Le Pentagone se considère comme extérieur aux bouleversements hobbesiens qu’il projette commodément sur le monde – le résultat en est un rejet monumental et bien commode de toute notion de responsabilité envers ce qui se passe dans le monde.


Dans ce sens, le document est une extraordinaire illustration de l’échec (dû aux limitations cognitives internes) des approches conventionnelles d’évaluation des risques. Ce qu’il nous faudrait plutôt serait une étude critique des systèmes fondée non seulement sur les croyances internes du Pentagone – mais aussi sur des recherches scientifiques indépendantes sur les facteurs d’instabilité et sur les croyances qui les engendrent ou les consolident. [c-à-d, sur le Pentagone lui-même, entre autres.]

Cette approche, qui serait fondée sur la capacité à se regarder dans un miroir, pourrait ouvrir une porte sur un scénario très différent de celui que recommande ce document. Et cela, ensuite, pourrait engendrer une opportunité, pour les officiels du Pentagone, d’imaginer des politiques alternatives qui auraient de réelles chances de succès, plutôt que de toujours revenir aux stratégies perdantes du passé.


Rien d’étonnant, donc, si la certitude apparente du déclin inexorable de la puissance américaine reflétée par le document est probablement exagérée.


Selon le Dr Sean Starrs, du Centre d’études internationales du MIT, aucune description réaliste de la puissance américaine ne peut être déterminée par des rapports internes seuls. Nous devons également nous pencher sur les rapports des multinationales.


Starr démontre que les multinationales américains sont beaucoup plus puissantes que leurs rivales. Ses données suggèrent que la suprématie économique des USA reste à son niveau le plus élevé, et n’est même pas mise en péril par un géant économique comme la Chine.


Cela ne discrédite probablement pas la reconnaissance par le Pentagone d’une nouvelle ère de déclin et de volatilité sans précédent pour la puissance impériale des USA.


Il est clair, toutefois, que le Pentagone se voit comme le garant de la suprématie économique mondiale du capitalisme américain.


Alors que des rivaux géopolitiques font de l’agitation contre l’influence économique des USA, et alors que de nouveaux mouvements espèrent miner « l’accès illimité » des USA aux ressources et aux marchés mondiaux, ce qui est clair est que les officiels du Département de la défense voient tout ce qui entrave le capitalisme américain ou lui fait concurrence comme un danger clair et immédiat.


Mais rien de ce qui est mis en avant dans ce document ne peut contribuer à ralentir le déclin de la puissance américaine.


Au contraire, les recommandations de l’étude du Pentagone appellent à une intensification des politiques impériales dont le Professor Johan Galtung, qui avait prévu avec exactitude la chute de l’URSS, prédit aujourd’hui qu’elles accéléreront « la chute de l’empire américain », qu’il voit grosso modo pour 2020.


Plus nous avançons dans l’ère « post-primauté », plus la question centrale pour les gens, les gouvernements, la société et l’industrie est celle-ci : qu’est-ce qui viendra après l’empire ?


Nafeez Ahmed a créé INSURGE intelligence, un projet de journalisme d’investigation destiné à servir l’intérêt général. Il travaille pour Vice ; ses articles ont été publiés sur The Guardian, VICE, Independent on Sunday, The Independent, The Scotsman, Sydney Morning Herald, The Age, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, New York Observer, The New Statesman, Prospect, Le Monde diplomatique, Raw Story, New Internationalist, Huffington Post UK, Al-Arabiya English, AlterNet, The Ecologist, Asia Times et d’autres.



Traduction et note d’introduction Entelekheia

Photo Pixabay



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