Sécurité publique : dopage statistique et politique d’intervention

Tribune libre

Il existe un État où chaque année, sur simple dénonciation, environ 14 000 hommes sont arrêtés, bien que le plus grand nombre n’ait rien à se reprocher, puis relâchés le lendemain, sans remords exprimés, ni compensation. S’agit-il de la Turquie, de la Syrie, du Mexique, de l’Égypte, ou de quelque autre société éloignée où les droits de l’homme restent assujettis aux caprices d’une volonté étatique oppressive et impitoyable ? En bien non, il s’agit de notre bon vieux Québec, considéré par tant de pays dits civilisés comme un modèle d’égalité homme femme, une société d’avant-garde pour sa ferveur envers la démocratie et pour son respect inné des droits humains.

Et vous savez quoi ? Si rien ne change, l’an prochain, on arrêtera encore, bêtement, comme ça, 14 000 hommes et ce, en vertu de la politique québécoise d’intervention en violence conjugale. Sans doute avons-nous trop d’espace carcéral à occuper et plus encore d’effectifs policiers qui se tourneraient les pouces sans ces décentes impromptues dans les foyers québécois où, même quand c’est l’homme qui est maltraité par sa conjointe, c’est lui que l’on coffre.

Il y a pourtant plusieurs années déjà, Sonia Gauthier, de l’université de Montréal, et Danielle Laberge, de l’UQÀM, révélaient, dans une étude intitulée Entre les attentes face à la judiciarisation et l’issue des procédures,qu’à peine 31,4 % des arrestations, dans le cadre de ladite politique, menaient à un verdict de culpabilité tandis que 68,4% débouchaient sur des remises en liberté. Est-ce à dire que l’on relâche autant de coupables ?

Que l’on se rassure. La politique d’intervention en violence conjugale a été mise de l’avant dès 1986 sur la base d’une fausseté spectaculaire à l’effet que chaque année, 300 000 femmes québécoises étaient « chroniquement battues ». Ce chiffre reposait sur une extrapolation fantaisiste tirée de la « statistique » voulant qu’au Canada, une femme sur dix, mariée ou en union de fait, subissait le même sort. Cette prétendue donnée avait été imaginée par Linda MacLeod et Andrée Cadieux dans leur « étude » intitulée La femme battue au Canada : un cercle vicieux, publiée en 1980 par le Centre d’édition du gouvernement du Canada, rien de moins.

Il faudra attendre 1994 pour que Mme MacLeod, acculée au pied du mur face aux demandes d’information sur ses sources et sa méthodologie, finisse par se rétracter, le 17 mai 1994, au 62econgrès de l’ACFAS : « Mon estimation n’avait aucun semblant de validité ou de fiabilité statistique. Je n’avais accompli aucune acrobatie statistique. Pourtant, je me sentais sûre de ce chiffre parce qu’il reflétait une réalité qui avait été corroborée par les estimations de ceux qui et celles qui travaillaient sur la ligne de front. C’était une supposition admise; je n’ai jamais prétendu que ce soit autre chose. » Encore heureux…

Bref, une question de feeling…

Quand on constate à quel point une « statistique » aussi déterminante par son impact a pu être inspirée par les paramètres les plus subjectifs, il vaut mieux ne pas s’attendre à un cas isolé. Qu’il veuille l’admettre ou non, l’État québécois jongle avec une sacrée patate chaude si l’on considère les dommages collatéraux de sa politique d’intervention en violence conjugale. Près de 70 % d’environ 14 000 hommes, soit 10 000 d’entre eux, arrêtés arbitrairement, sur simple délation de leur conjointe, ça commence à ressembler à un État policier régi par une politique inquisitoriale.

Faut-il rappeler que, même dans le cas de mensonges évidents, aucune poursuite ne menace les fabulatrices, au prétexte qu’il faille protéger les vraies victimes, comme si les hommes faussement accusés n’en étaient pas. Pour peu que les médias, habités par le dynamisme d’un chien basset asthmatique âgé de vingt ans, sortent de leur torpeur et dénoncent cette réalité au grand jour, l’image de notre système judiciaire, policier et politique, déjà amochée par les cafouillages infligés aux Dumont, Marshall, Halde et autres Bouchard, en prendrait pour son grade.

Aussi il importe de sauver la face et de continuer à entretenir un climat factice d’oppression conjugale infligée aux femmes par les hommes. Depuis la rétractation de Linda Macleod, on constate cependant, « statistiques » de la Sécurité publique à l’appui, que nous sommes passés de 300 000 femmes « chroniquement battues » à environ 14 000 femmes « agressées » par an. Avec une diminution de 286 000 victimes, qui a dit que la violence conjugale augmentait ?

Ah, les méchants hommes…

Le ministère de la Sécurité publique le dit, celui-là même dont relève comme par hasard les corps policiers qui pratiquent ces arrestations arbitraires, et celui-là même qui a intérêt à camoufler l’étendue des dégâts de la politique d’intervention. Au cours d’une opération médiatique dans laquelle nos perspicaces journalistes n’ont vu ou n’ont voulu voir que du feu, le Ministère a affirmé que la violence conjugale, totalisant 18 180 « infractions contre la personne », aurait augmenté de 4 % en comparaison de 2008 et donnerait lieu à 50 « crimes » par jour.

On ne dénoncera jamais assez la fâcheuse tendance du Ministère à travestir des signalements en agressions sanctionnées. Ainsi que le révèle l’étude de Gauthier et Laberge, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres entre les premiers et les secondes. Les chiffres présentés indiquent par ailleurs que, du lot des « agressions » dont les auteurs ont été identifiés, 61 % des enquêtes ont mené à des accusations criminelles – et non à des sanctions - et 28 % ont été classées sans suites judiciaires. Il serait intéressant de connaître l’impact chiffré du « 810 », ce document que plusieurs policiers font signer sous pression sans informer l’homme arrêté qu’il vient d’endosser malgré lui une admission de culpabilité, en échange de sa remise en liberté imminente. On notera également la discrétion du Ministère quant aux agressions ayant mené à une condamnation ferme.

Ce dernier nous martèle cependant que les femmes constituent les « principales victimes » avec un pourcentage de 82 %, soit 14 908 « agressions », un nombre assez voisin des 14 000 hommes arrêtés chaque année arbitrairement par nos vaillants défenseurs de la loi. Du côté de Statistique Canada, on apprend que la même année, soit en 2009, 6 % des hommes et 6,4 % des femmes ont déclaré avoir subi de la violence conjugale au pays. Autre son de cloche, non ?

La rançon du dopage statistique

Le Québec serait-il un État voyou en comparaison du ROC ? Que nenni, selon l’Institut de la statistique du Québec, qui affirmait dès 2007 que le Québec affichait des taux de prévalence de violence conjugale inférieurs à la moyenne nationale avec 42 pour 1000 pour les hommes et 52 pour 1000 pour les femmes. On est bien loin de l’écart himalayen claironné par la Sécurité publique. Par contre, retranchez 10 000 arrestations injustifiées à ses chiffres, et vous arriverez aux pourcentages déjà plus plausibles de 40 % pour les femmes et de 60 % pour les hommes.

Le dopage statistique a un prix. C’est en 2008 que le Vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, tirait le cordon d’alarme sur la situation problématique des maisons d’hébergement, sur financées, sous fréquentées, et soustraites à toute reddition de compte. De 2003 à 2008, leur financement récurrent était passé de 30 M $ à 60 M $. « Le MSSS a réparti ces 30 millions de dollars additionnels entre les maisons d’hébergement, constatait Lachance, mais il ne s’est pas assuré que ces sommes étaient effectivement requises, ce qu’il aurait pu faire en consultant les agences. » Consulter les agences ? Pourquoi faire, quand on peut se fier au « statistiques » de la Sécurité publique ?...


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