Réflexion sans prétention sur l'industrie des médias au Québec...
La pluralité des voix dans l’industrie de la presse est un impératif dans toute démocratie. La pluralité des opinions aussi. Toutefois, l’industrie de la presse ne saurait être continuellement sauvée sans d’abord être soumise à un sérieux examen de conscience.
Journalisme militant
Plus d’une fois au cours des dernières années j’ai eu l’occasion de discuter avec des politiciens – de toutes inclinaisons politiques – qui avaient des doléances envers un journaliste, un média, qui s’estimaient traités injustement, ou qui croyaient que l’adversaire bénéficiait d’une complaisance indue.
Rien de nouveau.
Avant la dernière campagne électorale au Québec, j’avais fait une entrevue avec le chef péquiste d’alors, Jean-François Lisée. Nous avions discuté de ça. C’était début 2018, année électorale au Québec. Chaque chef de parti devait composer avec la valse des départs et de la pêche aux candidatures de prestige. La politique étant beaucoup affaire d’image de nos jours.
Je m’en souviens, car le chef péquiste fulminait.
À la une de La Presse, quotidien qui combat depuis toujours l’option politique du parti que Lisée dirige, on titre «Vague de démissions au PQ». Vrai que certains députés avaient profité du congé du temps des Fêtes pour faire part de leurs plans futurs. Nicole Léger et Alexandre Cloutier venaient d’annoncer coup sur coup qu’ils ne se représenteraient pas à la prochaine élection.
Aucun n’avait démissionné. Dans les deux cas, ils promettaient de terminer leur mandat. La manchette de La Presse était fallacieuse à souhait. Un (autre) coup de Jarnac dans les jarrets du PQ par un titreur de La Presse.
La routine quoi.
Et je ne parle même pas ici de l’équipe éditoriale de La Presse, dont c’était le mandat de s’opposer aux méchants indépendantistes et d’appuyer, à chaque élection, le Parti libéral du Québec. Mais ça commençait à devenir un peu brumeux tout ça.
À tel point qu’André Pratte, l’éditorialiste en chef d’alors – devenu sénateur «indépendant» depuis –, avait dû établir en 2014 lors de l’édito habituel de La Presse qui appelait à voter PLQ que c’était juste l’équipe éditoriale qui disait ça et «qu’il y avait un mur de Chine» entre la salle des nouvelles et cette équipe éditoriale.
J’avais glissé dans la conversation avec Lisée ce détail qui ne lui avait pas échappé non plus à l’époque. Il m’avait alors entretenu du «journalisme militant». Comme cet exemple de titre fallacieux sur les « démissions » alors qu’il n’y en avait pas eu. Oups! L’information venait tout à coup de traverser le mur de Chine!
Et de ces incartades épisodiques dont était victime sa formation politique par des adversaires dans les médias. J’ai pensé au reportage de Radio-Canada sur le mari de Pauline Marois en pleine campagne électorale en 2014, à quelques jours des élections. Un bon jab celui-là.
Bérubé vs l’OBNL
On se souviendra des échanges houleux entre Pascal Bérubé et les représentants de La Presse l’an dernier quand ces derniers se sont présentés devant les parlementaires à Québec afin de faire adopter une loi qui permettrait au quotidien de la rue Saint-Jacques d’accéder au statut d’OBNL.
Le député péquiste n’en démordait pas, si le quotidien voulait des subsides publics, il lui fallait abandonner sa ligne éditoriale anti-indépendantiste. Du moins l’ouvrir à la pluralité des opinions au sein de l’équipe éditoriale.
No way José! lui répondront en chœur tant les représentants de La Presse que ceux de l’industrie des médias comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. «Là n’est pas le débat», affirmera le président de la FPJQ, Stéphane Giroux.
Finalement, personne ne doutait que les représentants de La Presse obtiendraient ce qu’ils voulaient. Par bâillon en passant. Ça pressait...
Quelques mois auparavant, les anciens journaux de la famille Desmarais, passés à l’ex-majordome de la famille et ex-ministre libéral fédéral sous le nouveau nom Groupe Capitales Médias, avaient aussi eu droit aux largesses de l’État. 10 millions pour être plus précis.
Ce qui agace ici c’est l’intrication entre le pouvoir d’alors et la proximité de ces journaux avec le Parti libéral. On me dira que Le Journal est plus près du PQ? Ce à quoi je répondrai que Québecor ne publie pas de position éditoriale et que la page opinion est peuplée de fédéralistes et d’indépendantistes.
Des fractures qui font mal
Il ne sert à rien de se mettre la tête dans le sable, le Québec est fracturé, idéologiquement. Sur la question constitutionnelle, jadis, et désormais sur les questions liées à l’identité, au nationalisme.
On le sait, une nette, claire majorité de la population appuie l’initiative – promesse électorale – de la CAQ de légiférer dans le sens de la laïcité.
On le sait aussi, une nette et tout aussi claire majorité de chroniqueurs, éditorialistes et analystes ont transposé les anciennes fractures constitutionnelles aux dossiers liés au vivre-ensemble, à la laïcité, à l’identité, au nationalisme.
Combien de citoyens au Québec, parmi cette majorité qui appuie, légitimement, la laïcité institutionnelle ont un jour décidé de tout simplement changer de fréquence radio, ou de média à consulter au petit matin, pour s’affranchir des discours moralisateurs, et même parfois méprisants, de la part d’une intelligentsia devenue étrangère à ses préférences idéologiques.
Étrangère et adversaire farouche.
On parle ici du côté «opinion» du mur de Chine, évidemment.
Mais quand un média enfile les reportages larmoyants d’adversaires de la laïcité et refuse de passer le micro, au sein de certaines collectivités dont on dit qu’elles contestent le plus ce choix de la nation québécoise, à celles et ceux qui appuient cette initiative, on est en plein «journalisme militant».
J’ai discuté de ce sujet précis avec Christopher Skeete, député de Sainte-Rose à Laval, et celui qui pilote les relations entre le gouvernement et les Québécois d’expression anglophone.
Il est habitué de lire les reportages des opposants à la loi 21. Ce qu’il déplorait, lors de nos conversations, c’est que l’on ne passe pas assez le micro à la part, non négligeable (environ 40-45% selon les sondages) d’Anglo-Québécois qui appuient le projet du gouvernement.
«It does not fit the narrative!» (Cela ne correspond pas à l’angle que l’on veut privilégier par rapport au sujet!)
Mais on connaît la chanson, une petite clique bien-pensante au sein des médias québécois relaiera, re-tweetera et partagera ce qui «fitte bien dans le narrative» et portera à l’index le reste. À l’index ou l’indifférence.
Et le quidam, qui ne se trouve rien d’intolérant à appuyer, comme la grande majorité de ses concitoyens, la laïcité institutionnelle, se trouvera Gros-Jean comme devant, écœuré de se faire traiter de toutes les épithètes méprisantes.
Il changera de canal. Il fermera sa radio, ou la troquera pour autre chose. Il maudira le travail, pourtant essentiel, des artisans de l’info, à côté, de l’autre bord du mur de Chine, cette bande esseulée désormais, enterrée, trop souvent, par l’opinion (mea culpa).
Ou pire encore, il se tournera vers les sources d’informations «alternatives». Des sources pas propres propres, complotistes, dénudées de toutes nuances. C’est pas normal que Horizon Québec actuel, Le Peuple, Québec Fier ou encore le blogue de Camus, Montreal Counter-Info passent en tête de liste des marque-pages de trop de gens.
C’est pas normal que pour certains, ces sources soient plus fiables, et préférées, que celles qui sont pourtant essentielles à la bonne conduite de la démocratie.
Le partisan fini de la laïcité qui préférera le site de Cormier-Denis plutôt que La Presse ou Le Devoir ou tous les médias qu’il jugera trop «multiculturalistes». Et à l’inverse, l’adversaire farouche de la laïcité qui pestera autant contre Le Journal de Montréal que contre la laïcité elle-même.
Quelque part, à un moment donné, c’est l’industrie des médias elle-même qui s’est perdue. Engluée dans ses fractures militantes et idéologiques. En fait, cette industrie n’est-elle pas le reflet d’une société, la nôtre, qui est tout aussi «fracturée»?
Montréal qui se détache, peu à peu, du Reste du Québec; les nationalistes qui sont aux antipodes des «post-nationaux»; le Montréal outrageusement cosmopolite comparativement aux régions à qui on a trop longtemps refusé (volontairement ou par négligence) l’apport de l’immigration tant celle-ci est confinée à la métropole...
Je ne sais trop ce qui arrivera à l’industrie des médias et je ne souhaite d’aucune façon que celle-ci ne s’effondre. Mais dans l’état actuel des choses, au-delà de la saignée néfaste causée par les GAFA de ce monde, il y autre chose de brisé.
Quelque chose qui relève de l’industrie en elle-même.