Robert Lepage et le Théâtre du Soleil interdits de création

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La censure au Québec vue de France

Le spectacle Kanata, consacré aux premiers habitants du Canada, est annulé à cause des réactions très hostiles de certains autochtones.


Ce devait être l'événement de cette année dans le monde du théâtre. L'immense artiste québécois Robert Lepage travaillait depuis quatre ans avec la troupe du Théâtre du Soleil, d'Ariane Mnouchkine, et devait présenter le spectacle Kanata, en décembre, à la Cartoucherie, dans le cadre du Festival d'Automne. Kanata raconte l'histoire du Canada, depuis les peuples des origines.


Mais des voix se sont élevées, au Canada, où ils répétaient, pour déplorer qu'aucun comédien autochtone ne soit associé à cette production et que, disent les adversaires du projet, les créateurs issus des premières nations soient exclus du récit.


La controverse, surtout relayée sur les réseaux sociaux par des personnes pas totalement au fait de la réalité de ce travail, a pris une telle ampleur et est devenue si violente que les producteurs nord-américains ont lâché la partie. La mort dans l'âme, Robert Lepage, très éprouvé, a décidé, le 26 juillet, de renoncer alors que les répétitions avaient lieu dans les décors déjà construits et les costumes. Bref, alors que le spectacle était quasiment prêt.


Vendredi 27 juillet, le Théâtre du Soleil a publié un communiqué dans lequel il prend acte du renoncement forcé de Robert Lepage et déplore cette «intimidation inimaginable dans un pays démocratique, exercée en grande partie sur les réseaux sociaux au nom d'une idéologie que le Théâtre du Soleil ne veut pas qualifier ici mais à laquelle il répondra avec ses propres outils.»


Annulation déplorable


Ariane Mnouchkine s'était rendue au Québec le 19 juillet dernier afin d'expliquer la bonne foi du Théâtre du Soleil et de la démarche de Robert Lepage. Ensemble, ils ont rencontré des représentants des communautés. La réunion, tenue à huis clos, était composée de trente-cinq personnalités autochtones, d'Ariane Mnouchkine, de Robert Lepage. La juriste en droit autochtone Alexandra Lorange, qui avait assisté à cette réunion, avait jugé la rencontre fructueuse, de même qu'André Dudemaine, directeur du Festival Présence autochtone.


Cela s'était plutôt bien passé. Ariane Mnouchkine avait proposé aux associations et artistes de se rendre en France, à la Cartoucherie où elle était prête à les accueillir. Mais cela a été en vain. Et quelques jours plus tard, le 26 juillet, il a fallu renoncer.


Cette annulation déplorable intervient quelques semaines après la polémique, tout aussi violente, à propos de Slav, présenté dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal. Il s'agissait d'un spectacle inspiré des chants d'esclaves afro-américains.


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Robert Lepage avait travaillé avec la chanteuse Betty Bonifassi et des choristes parmi lesquels deux chanteuses noires, d'ailleurs consternées par la tournure des événements. Dès l'avant-première du 26 juin, une poignée de manifestants s'était présentée devant le Théâtre du Nouveau Monde. Et après trois représentations, le spectacle a été annulé.




«Je revendiquerai toujours le droit, au théâtre, de parler de tout et de tous. Sans exception. Aucune.»


Robert Lepage




Meneur des opposants, un chanteur américain, Moses Sumney. Une polémique attisée par le relais exacerbé des réseaux sociaux, une pétition, des déclarations discutables. Mais rien qui puisse justifier en raison une telle position sinon le désastreux concept de «l'appropriation culturelle» qui est opposé systématiquement dans ces cas-là.


Or, comme a eu alors l'occasion de le déclarer alors Robert Lepage: «Je revendiquerai toujours le droit, au théâtre, de parler de tout et de tous. Sans exception. Aucune.» Il avait également tenu à préciser «que Betty Bonifassi, ses choristes, l'équipe d'Ex Machina et moi-même étions conscients, depuis le début du projet, que le sujet que nous abordions était sensible et qu'il était donc de notre devoir d'agir et de créer ce spectacle de manière respectueuse, réfléchie, informée, honnête et intègre».


Or, moins d'un mois après, c'est une production d'une tout autre ampleur qui se voit interdite, aux mêmes motifs de «l'appropriation culturelle». Kanata devait être présenté en France, en décembre prochain, dans le cadre du Festival d'Automne. Ne peut-on imaginer que ce spectacle ait lieu, malgré tout?


Que Robert Lepage revienne sur sa décision, que l'on trouve une production, une coproduction de financement participatif, que les comédiens qui ont tant travaillé se prennent en mains. Qu'Ariane Mnouchkine soit là pour montrer que le Soleil qui réunit des artistes issus de vingt-six nations, ne se laissera jamais intimider...