Repos nécessaire pour Jacques Beauchemin et ses mauvaises idées

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Ça lui a pris du temps à comprendre

Étonnante confession que celle de Jacques Beauchemin, telle que rapportée dans l’entrevue qu’il a donnée au Devoir le 8 juin : le projet de souveraineté n’aboutissant pas, il se dit fatigué, il n’écrira plus sur le Québec, il a tout dit…

L’exemple de Lévesque, Parizeau et les autres

Ce qu’on aurait souhaité lire sous sa plume, c’est plutôt l’aveu d’un égarement et l’exposé de ses causes. Au lieu de quoi, on a droit à un épanchement bizarre qui semble imputer la responsabilité de l’échec à l’incompréhension du peuple qui, faute d’avoir lu M. Beauchemin, ignorerait que la souveraineté procède d’un désir « inscrit en lettres de feu sur l’horizon de notre histoire ». Cet énoncé, en plus de révéler une conception complètement dépassée de l’histoire héritée du XIXe siècle, est étonnamment prétentieux. Beauchemin parle comme un vieux chef de guerre couvert de plaies et de gloire qui a passé sa vie à ferrailler dans les tranchées. On pense alors à René Lévesque, à Jacques Parizeau et à tous les autres qui ont combattu pendant des décennies pour faire avancer le projet souverainiste contre vents et marées : n’ont-ils pas eu mille occasions de se déclarer fatigués ? Mais où en serait aujourd’hui leur projet s’ils s’étaient abreuvés à la source de Jacques Beauchemin ? Ils ont plutôt opté pour le courage et l’obstination, ce qui en fait aujourd’hui des sources d’inspiration, d’indispensables modèles à imiter.

Les défis d’un monde nouveau

Il est vrai que l’appui des jeunes à la souveraineté baisse. Comment s’en surprendre ? Ils sont arrivés à l’âge adulte dans un environnement mondialisé qui se transforme profondément, au sein duquel il est donc plus difficile de trouver ses repères. C’est aussi un monde qui ne manque pas de séduire à cause des amples perspectives qu’il ouvre aux plus aventureux. On doit se réjouir de voir les jeunes Québécois s’affirmer à cette échelle de compétition que les gens de ma génération (qui est aussi celle de Beauchemin) n’ont pas connue. Au lieu de leur inspirer un sentiment de culpabilité, on devrait les prendre eux aussi comme modèles.

La conclusion à tirer, c’est que le projet souverainiste d’aujourd’hui est encore très imprégné de l’époque qui l’a vu naître. Il a besoin — plusieurs l’ont dit avant moi — d’être réinventé. Dans ces conditions, les confidences de Jacques Beauchemin ne sont d’aucune utilité et d’aucun intérêt. Comment les jeunes Québécois mondialisés se sentiraient-ils attirés par le projet racorni que vient de leur proposer un Parti québécois dont Beauchemin était lui-même un influent conseiller ?

Repenser la souveraineté

Réinventer le projet souverainiste, donc. Ici, je me sens proche de Marc Laviolette et de Pierre Dubuc (page Idées du Devoir du 9 juillet) quand ils déplorent la récente dérive du Parti québécois vers la droite. Ce déplacement a été funeste parce qu’il a brisé l’équilibre des idées et des tendances qui a toujours nourri le parti et en a fait l’originalité, notamment en l’amenant à réformer le nationalisme traditionnel pour le souder à des politiques progressistes, marquées par une grande sensibilité sociale.

Repenser la souveraineté, c’est retrouver dans le contexte actuel les traces qui permettraient de reconstruire un tel équilibre, mais en l’adaptant aux besoins, aux contraintes et aux attentes d’aujourd’hui. Dans cette direction, il y a plusieurs voies qui s’ouvrent. J’en donne quelques exemples :

Sans en nier les mérites, il faut procéder à une critique générale de la mondialisation pour en montrer les limites et les revers. Ils sont nombreux, à commencer par les graves atteintes à la démocratie. Ce serait une façon de démontrer que l’État-nation est plus pertinent que jamais.

Cette réflexion devrait aussi réaffirmer la nécessité d’un nouveau projet culturel (et identitaire) pour la francophonie québécoise, à l’échelle de l’Amérique et du monde.

Il presse de concevoir un équilibre créatif entre la protection de l’environnement et le développement économique, à l’image de celui que le Québec a instauré dans les années 1990 entre le néolibéralisme et les politiques sociales.

Plus que jamais, nous devons nous attaquer aux nouvelles formes d’inégalité associées à un néolibéralisme débridé.

Il nous faut également freiner une nouvelle forme d’américanisation de notre société qui tend à un désengagement de l’État, à une compression des solidarités et à une célébration trompeuse de l’individu livré à lui-même.

Beauchemin ne verrait là sans doute qu’une autre expression de ce qu’il appelle « une figure inversée de notre ambivalence identitaire » — entendons : un mélange d’aliénation, de trompe-l’oeil et de fuite en avant. On y verra plutôt quelques-uns des défis les plus criants de notre époque, propres justement à mobiliser les jeunes comme les moins jeunes.

En conclusion, je rejoins encore Laviolette et Dubuc. Jacques Beauchemin nous confie qu’il a tout dit, il n’écrira plus sur le Québec, il est très fatigué. Nous sommes bien d’accord : qu’il se repose. Et qu’il se repose si possible sur les mauvaises idées dont il a été un inspirateur et qui vont encore longtemps plomber le projet souverainiste.

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Gérard Bouchard23 articles

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Professeur, département des sciences humaines,
Université du Québec à Chicoutimi

Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles





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