Réponse à l’article de Michel C. Auger

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La loi constitutive de Radio-Canada oblige les journalistes à défendre le multiculturalisme

Réponse à l’article de Michel C. Auger, Radio-Canada,


‘Signes religieux : on a déjà joué dans ce film …’,


publié le jeudi 4 octobre 2018


Michel Lincourt PhD


9 octobre 2018



Bonjour monsieur Auger,



Qu’il me soit permis de faire quelques mises au point à propos de votre article, paru sur le site de Radio-Canada le 4 octobre 2018 et intitulé ‘Signes religieux : on a déjà joué dans ce film …’.  Vous y divaguiez sur la laïcité.



Pour ceux qui n’auraient pas compris le titre de votre article, je me permets un petit rappel historique.  La première projection du film que vous mentionnez date de l’automne 2013, alors que le Gouvernement du Québec présentait le projet de loi 60 sur la laïcité.  À ce moment, des médias avaient fait en sorte que le débat démocratique devienne une foire d’empoigne.  Quels étaient ces médias?  Vous les connaissez, monsieur Auger, c’étaient Radio-Canada, La Presse et la totalité des médias anglophones, y compris CBC.  Qui étaient les maîtres à penser de ce déplorable dérapage?  Eux aussi, vous les connaissez, n’est-ce pas : c’étaient André Pratte et Lysiane Gagnon de La Presse, Martin Patriquin de Maclean’s et vous-même de Radio-Canada. 



Avec une rare unanimité et singulière férocité, ces médias ont combattu la laïcité.  Pendant six mois, ils ont diffusé, publié un nombre impressionnant d’articles, de reportages, d’émis­sions, de pseudo-analyses, de chroniques, d’éditoriaux qui allaient presque tous dans le même sens, c’est-à-dire dans celui de la destruction de l’idée même de la laïcité.  Au mieux, ces articles étaient artificieux, au pire, carrément injurieux.  Car, il faut vous le rappeler, monsieur Auger, tout au long de ce débat, les défenseurs de la laïcité furent lapidés d’in­jures.  Par exemple, entre le 21 août 2013 et 19 septembre 2014, La Presse a multiplié ad nauseam les attaques les plus virulentes les unes que les autres.  Voici les invectives accu­mulées pour diaboliser la laïcité: c’est bannir, exclure, diviser, faire preuve d’injustice, c’est intolérable, maladroit, violent, une dictature, un déni de liberté, c’est totalitaire, crève-cœur, faire preuve d’intolérance, rien qu’un alibi, ça démontre une mentalité d’assiégé, c’est de mauvais goût, c’est un viol, une grenade explosive, une exclusion, un mauvais projet, c’est une honte, qui engendre des pertes, c’est lâche, honteux, extrémiste, islamophobe, ça génère la méfiance, rien de plus qu’une récupération, c’est une arme de distraction massive . . .  La plupart du temps, ces injures n’étaient pas ciblées.  On mettait dans le même sac les militants de la laïcité, le Parti Québécois, le Gouvernement du Qué­bec, les Québécois de souche, et la société québécoise dans son ensemble.  Il est remar­quable de constater que les défenseurs de la laïcité n’ont jamais cédé à la tentation de répondre à ce torrent d’injures.  L’Histoire retient déjà leur admirable retenue.



La presse anglophone ne fut pas plus civilisée.  Dans le Toronto Sun du 31 août 2013, le chroniqueur Warren Kinsella clama que « Quebec can learn from the Nazis.»



Radio-Canada et CBC en rajoutèrent avec une mauvaise foi à peine déguisée.  Par exemple, CBC m’invita pour expliquer l’idée de laïcité mais torpilla mon entrevue en invitant aussi, sans m’en avertir à l’avance, un contradicteur, un professeur de théologie de McGill.  Autre exemple, l’émission de CBC The Current vint à NDG et organisa une réunion publique qui fut diffusée à travers le Canada; cet événement ne fut rien d’autres qu’une imposture, je veux dire qu’on avait ‘paquetée’ une salle où plus de 1000 anglophones agressaient les six défenseurs de la laïcité ; j’étais l’un d’eux.  Encore un exemple, l’émission Second Regard diffusa un reportage tendancieux où l’on faisait dire à des immigrants que leur intégration à la société québécoise passait par la religion : c’est pourquoi, n’est-ce pas, il fallait com­battre la laïcité.  Encore : CBC instrumentalisa des gamins sur un terrain de football en Colombie-Britannique pour passer le message que la laïcité au Québec n’est rien de moins que du racisme.  Encore, Radio-Canada et CBC concoctèrent un sondage bidon, le fameux ‘stay-or-go’, qui concluait que la société québécoise était tellement intolérante que 50% des anglophones songeaient à quitter le Québec.  Enfin, après la défaite du Parti québécois le 7 avril 2014, la direction de Radio-Canada demanda à Jacques Bissonnet de faire un reportage sur le ‘sentiment’ de la communauté musulmane à propos du résultat électoral.  Celui-ci commit un texte tendancieux où il déforma outrageusement les propos de Djemila Benhabib; elle s’en plaignit à l’ombudsman de la société d’État, au moins 80 autres plaintes s’ajoutèrent à la sienne, l’ombudsman sanctionna le journaliste mais ne dit rien à propos du commanditaire de cette mauvaise émission. 



En somme, monsieur Auger, le film que vous mentionnez est celui-là; pour une bonne part, vous en êtes l’un des scénaristes.



Je reviens à votre article.  Il est biaisé à plus d’un titre et, franchement, ne sert à rien d’autre qu’envenimer le climat social avant même que le projet de loi sur la laïcité de la CAQ ne soit présenté.  Le 8 octobre, sur les ondes de Radio-Canada, votre collègue de la Gazette, Philip Authier, en remettait.  Pourquoi lui?  Pourquoi amener des chroniqueurs qui prêchent toujours le même discours culpabilisateur, le même discours qui diabolise la laïcité?  Pour­quoi, de temps en temps, ne pas mettre en onde un chroniqueur qui parle en faveur de la laïcité.  Afin de rétablir l’équilibre, vous voyez.



D’emblée, vous appelez «ligne dure» la résolution de la CAQ de mettre en œuvre dès cette année l’article de son programme qui traite de la laïcité.  Pourquoi cette étiquette péjora­tive?  Il n’y a rien de dur, ni rien de surprenant, dans cette initiative.  Ni le programme de la CAQ, ni la laïcité elle-même n’est dure pour qui que ce soit, sauf peut-être pour ceux qui veulent incruster leur doctrine religieuse dans les activités de l’État.  En somme, pour vous, si le gouvernement ne voulait pas adopter la ligne dure, il devrait adopter la ligne qui vous convient.  Un peu outrecuidant, votre propos, ne trouvez-vous pas?



Vous dites que «le nouveau gouvernement était élu depuis moins de 48 heures qu’il mena­çait déjà d’utiliser l’équivalent constitutionnel et politique de la bombe atomique pour respecter une promesse électorale …»  Menace, bombe atomique?  Quelle enflure!  Ça me rappelle les invectives de la couverture médiatique de 2013.  À vrai dire, monsieur Auger, peut-être est-ce vous qui utilisez la ‘ligne dure’?  Peut-être est-ce vous qui tenez à repasser le même film?



Dans la même phrase, vous introduisez ces mots «…pour respecter une promesse électo­rale»?  Reprochez-vous au gouvernement de vouloir respecter ses promesses?



Vous ajoutez une phrase extraordinaire : «Surtout que, dans un État de droit, ce n’est pas parce qu’une promesse est populaire qu’elle doit être traduite en législation.»  Quelle étrange affirmation?  Selon vous, si un gouvernement voulait respecter les règles de l’État de droit, il ne devrait mettre en œuvre que les promesses qui déplaisent au peuple?  Est-ce là votre conception de la démocratie?  Aller contre la volonté du peuple?  Et que vient faire ici la référence à l’État de droit?  J’aimerais vous rappeler que l’État dont on parle ici est un État démocratique, et que c’est parce que les lois sont librement votés par les représen­tants du peuple qu’elles deviennent légitimes et peuvent – doivent! – être mises en œuvre. 



Vous écrivez «d’autant que les sondages montrent aussi que l’appui s’arrête dès qu’on commence à parler de sanctions et d’emplois perdus.»  De quels sondages s’agit-il exac­tement?  Quand un journaliste prétend nous servir une ‘analyse’, ce serait la moindre des choses qu’il nous donne ses références.  Vous ajoutez «encore davantage quand les tribu­naux statuent que la loi brime les droits fondamentaux.»  Vraiment!  Au Canada, aucun tribunal n’a jamais statué que la laïcité brimait les droits fondamentaux des citoyens tout simplement parce que la laïcité n’a jamais été inscrite dans un projet de loi.  Bien sûr, je n’ignore pas qu’il y a eu des décisions judiciaires à propos de certains accommodements et certains accrocs à la neutralité de l’État; et que certaines décisions allaient dans le sens d’une laïcité à venir, d’autres pas.  Vous vous souvenez : n’a-t-on pas dit que l’interdiction de la prière au conseil municipal de Saguenay brimait le droit fondamental de la liberté de religion?  Dans un jugement unanime, la Cour Suprême a dit le contraire.  Par ailleurs, en toute honnêteté, vous ne pouvez commenter le projet de loi du gouvernement caquiste parce que ce projet n’existe pas encore. 



Vous parlez de «sanctions et d’emplois perdus» et quelques lignes plus bas, vous écrivez «à ce que je sache, pas un juge, pas un policier, pas un procureur de l’État n’en porte [un signe religieux ostensibles et ostentatoires]…»  Alors quoi?  Puisque personne ne porte un tel signe, personne ne sera congédié.  De plus, vous affirmez que «dans notre système de droit, l’argument selon lequel il ne faudrait pas attendre que cela arrive pour légiférer ne tient pas.»  D’où tenez-vous cette perle?  Dans notre système, il y en a, des lois pruden­tielles, la loi sur les mesures de guerre et la loi sur la clarté référendaire en sont des exemples.  Je vous soumets qu’un gouvernement démocratiquement élu a la responsabilité agir avec prudence, pour veiller notamment au bien collectif. 



En terminant, j’aimerais ajouter deux remarques. 



La première est celle-ci : le 1er octobre dernier, les Québécois ont parlé clairement.  Ils ont rejeté le PLQ qui, sur la laïcité, tenait une position semblable à la vôtre, et mis au pouvoir la CAQ qui, elle, propose un projet concret pour instaurer la laïcité.  En même temps, trente-trois pour cent des électeurs se sont abstenus de voter.  Pourquoi cette importante abstention?  Pour ma part, je répondrais ceci : plusieurs raisons poussent un électeur à rester chez lui et parmi celles-ci, il y a sûrement l’impuissance ressentie, je veux dire, le sentiment que l’élection n’est qu’un jeu de dupes.  Et les événements des derniers jours semblent lui donner raison, à cet électeur réticent.  Qu’a-t-on vu?  Le nouveau gouvernement annonce la mise en œuvre de son projet sur la laïcité.  Aussitôt, les lobbys anti-laïcités surgissent, écrivent des chroniques, dénoncent sur les ondes, défilent dans la rue en traitant la CAQ et ses électeurs de racistes.  Dans ce climat délétère, peut-on blâmer ceux qui pensent que la démocratie n’est que mensonge, qu’aller voter n’est que perte de temps.  Ce que je vous demande, monsieur Auger, c’est de ne pas encourager cette dérive, de respecter la démocratie. 



La seconde remarque est celle-ci : au cours des dernières années, j’ai vu beaucoup de pontes critiquer la laïcité.  Mais rarement en ai-je vu qui mettaient de l’avant une alternative crédible.  Monsieur Auger, si vous pensez que la laïcité est répréhensible, qu’elle ne serait que le scénario suranné d’un vieux film, que proposez-vous?  Autrement dit, quel but poursuivez-vous pour torpiller ainsi toutes les initiatives en faveur de la laïcité?



Cordialement,



Michel Lincourt PhD