Privé en santé

Réplique à une non-démonstration de l’IEDM

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Méthodologie douteuses, conclusions douteuses

Dans leur texte intitulé La médecine privée ne nuit pas au système public (Le Devoir du 17 décembre), Jasmin Guénette, vice-président de l’Institut économique de Montréal (IEDM), et Julie Frappier, économiste de la santé, affirment que « la médecine privée contribue en fait à accroître l’offre globale de services de santé et à désengorger le système public », et devrait donc être soutenue. Toutefois, en parcourant leur récente Note économique : la médecine privée au Québec, dont le texte d’opinion est un condensé, on trouve des erreurs de faits et d’interprétation qu’il importe de corriger.
Les auteurs admettent que le nombre de médecins non participants au régime public (non rémunérés par la RAMQ, les frais de consultation étant assumés par les patients) a augmenté dans les dernières années. Ils minimisent toutefois cette progression en soulignant qu’ils ne représentent que 1,38 % du corps médical, soit 263 médecins. Quelques faits pertinents sont omis : le nombre total de médecins non participants n’était que de 60 il y a 10 ans, une hausse de 338 %, et les 186 omnipraticiens non participants n’étaient que 18 en 2001, une hausse de 933 %. C’est une forte progression.

Ce glissement d’un nombre croissant de médecins vers le privé a des effets délétères directement vécus par les patients. Dans sa note économique, l’IEDM suggère que « les médecins non participants répondent à des besoins non comblés des patients qui n’ont souvent d’autre choix que de se tourner vers eux ». Mais l’organisation ne mentionne pas que pour chaque médecin qui passe au privé, les patients laissés pour compte n’arrivent pas nécessairement à se retrouver un médecin. Au nombre actuel, le passage des médecins vers la pratique privée n’a pas encore d’impact majeur sur l’accès déjà problématique en première ligne. Mais plutôt que d’en minorer les effets, il faudrait au contraire se féliciter de ne pas en observer davantage.

Par exemple, un médecin de famille bien organisé et dédié à sa pratique peut soigner 1600 patients (de tout âge et de toute condition). Or, le modèle de certaines cliniques privées fixe plutôt un objectif de 500 patients par médecin, souvent en bonne santé. D’autres modèles privés sont aussi proposés, mais il y a fort à parier qu’en moyenne, un omnipraticien dédié à temps plein en pratique publique soigne plus de patients, qui sont plus malades, qu’un médecin au privé.

Nous ne voyons là aucun gain. Chaque médecin passant au privé représente plutôt une perte nette en fait de couverture et une transition vers des soins offerts à des patients plus jeunes et moins malades. On peut aussi remettre en question les aspects éthiques sous-jacents à la décision de soigner des gens en fonction de leurs moyens et non de leurs besoins.
Biais méthodologiques

Quant à « l’enquête de terrain » de l’IEDM, dont est tirée la lettre, elle comporte plusieurs biais méthodologiques. À titre d’exemple, seulement 43 % des 185 cliniques privées ont été l’objet de cette enquête, et de ce nombre, 11 ont accepté d’y participer, soit 14 % de l’échantillon initial et à peine 6 % des cliniques. C’est très insuffisant. De plus, sur les 360 questionnaires soumis, seulement 39 % ont été retournés. Les raisons de ces choix et de cette attrition ne sont pas spécifiées. À méthodologie douteuse, conclusions douteuses.

Nous ne sommes toutefois pas en complet désaccord avec les opinions de l’IEDM : il y a en effet des problèmes importants d’accès et d’organisation en première ligne. Examinons donc les vraies solutions, dont les vertus ont été abondamment décrites : abolir les frais accessoires, couvrir l’imagerie hors hôpital, organiser la première ligne, mieux intégrer les soins, développer le travail d’équipe, revoir le « qui fait quoi » en première ligne, impliquer des infirmières-praticiennes, implanter les actes avancés pour les pharmaciens, etc. Accroître le privé en santé, loin d’être une solution, aggravera plutôt le problème.
Alain Vadeboncoeur - Président des Médecins québécois pour le régime public et Ouanessa Younsi - Membre du conseil d'administration


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