Réflexions sur la communauté

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David Leroux : « L’État sans Pays, je le hais. Le Pays sans État, je le pleure. »

« L’accent est le témoignage d’une langue qui a été perdue, mais dont la musique, elle, est demeurée », disait récemment le philosophe et écrivain français Rémi Soulié.


J’aime le Pays. Celui qui est aussi petit que son P est grand. Celui qui est vraiment habité, dans les profondeurs de sa terre. Sainte terre! Terre qui, pendant des siècles, travaillée par l’homme et ses fils, chérie et soignée par la femme et ses filles, donne à l’automne son fruit. Fruit mûr et goûteux, fruit doucement aimé de ceux qui le récoltent et le mangent.


J’aime le Pays. Celui qui est aussi grand que son peuple est petit. Celui qui, à l’image de la paroisse, voit son enfant curieux parcourir sa crypte et y trouver, à côté de son ancêtre, son Saint ou son martyr fondateur. Celui dont le clocher sonne et qui trouve comme ultime rempart contre la dislocation le regard bleu du grand-père, apprenant à son petit-fils qu’il s’agit du plus beau Pays du monde, car il s’agit du sien.


Ce Pays, dernier habit du dépossédé, ne naît pas dans la constitution, encore moins dans la tête de spécialistes en intersectionnalité. Ce Pays est un arbre, un chêne. Immense, plusieurs fois centenaire. Ses feuilles dansent dans le souffle de l’été et ses racines, multiples et diverses, se nourrissent d’un même humus et produisent une même sève. Ce Pays, c’est le pagus, le petit territoire. La paroisse.


Ce Pays, il est aussi grand, aussi immense, aussi noble qu’il naît petit.


Il commence dans la communauté, dans la saveur des terroirs, dans la musique des accents. Il a, chez nous, les relents de la Bretagne, de la Normandie, du Perche. Il porte en lui les patois depuis longtemps disparus d’une France radicalement paysanne et qui, aujourd’hui, souffre en son être millénaire d’être conquise par ce qui lui est le plus étranger, le plus ennemi, le plus hostile.


Le Canada, nous apprend-t-on à l’école, devrait être la consécration de cet amour de la communauté, puisqu’il prétend n’être d’aucune nation et célébrer la mosaïque de la diversité.


Pourquoi alors me dégoûte-t-il tant, moi qui aime si profondément les spécificités régionales de mon Pays?


Parce que la fédération est construction artificielle, assemblage improbable de peuples étrangers, ne partageant ni terreau, ni sève. Arbre sans racines, sans feuilles, sans vie. Monolithe de béton gris fissuré retenu par des barres d’acier.


Nulle chaleur ne s’en dégage, que discours absurdes de théoriciens et de juristes illuminés vivant dans quelques quartiers chics ou à la mode de hautes villes méprisantes.


L’État n’a de sens que s’il prend racine dans le Pays. Que s’il s’en nourrit. Sans lui, il n’est que machine monstrueuse, absurde, abjecte. L’État sans Pays, je le hais.


Le Pays sans État, je le pleure.


Je le pleure car il est fragile. Les grands-pères aux yeux bleus finissent tous par mourir. Les blocs de bétons, eux, restent là, laids et durables, tant et aussi longtemps que quelqu’un d’assez sensé et fou pour y mettre la boule de démolition ne se lève et n’appelle les petits-fils et petites-filles à marcher courageusement derrière lui. Pour la mémoire des vieux aux yeux bleus.