Rapport du vérificateur pour les nuls

Scandales à Montréal - les compteurs d'eau

Première étape: vous embauchez une firme d'experts qui gérera le projet pour vous au nom de la Ville et qui défendra vos positions ardemment. Vous créez ensuite un bureau de projet à la Ville où quelques fonctionnaires seront nommés afin de simuler l'implication de l'administration municipale. Vous nommez ce bureau sur le tard et en mobilisez les participants au même moment que les experts consultants; veillez à ce que ces fonctionnaires ne soient guère préparés, qu'ils n'aient aucune autorité et qu'ils ne se mettent surtout pas sur votre chemin.
Vous écoutez ensuite tout au long de la mise en oeuvre du projet les recommandations de la firme d'experts et faites la sourde oreille aux recommandations des fonctionnaires qui leur font concurrence. Entre-temps, n'oubliez pas de barrer la route aux juristes et de ne pas les impliquer; il ne faudrait pas que les avocats de la Ville responsables des contentieux participent à ce projet. Puisqu'ils sont trop informés, et donc dangereux, vous ferez mieux de les écarter dès le départ.
Même si ce n'est pas vraiment ce qui est prévu, vous demandez à la firme d'experts de mettre plusieurs contrats différents dans un seul et énorme contrat, question d'éliminer le plus de soumissionnaires potentiels; de cette façon, il ne restera que les gros joueurs. Le contrat de fourniture des compteurs d'eau, de gestion du réseau des compteurs, l'entretien du réseau, en fait tout le projet d'une durée de 25 ans en un seul gros bloc monolithique et le tour est joué.
Le consultant vous soumet ensuite votre propre idée lors d'une réunion publique. Vous l'acceptez et vous fusionnez tout le projet dans un énorme contrat: services professionnels, services d'ingénierie, de gestion de projet, acquisition des compteurs et exécution de travaux d'installation des compteurs et de réparation de conduites d'eau. Vous éliminez presque tous les soumissionnaires potentiels, il ne reste que les gros.
Pendant ce temps, et à votre grande surprise, un important soumissionnaire d'outre-mer, un Français, se montre intéressé. Ce dernier risque de gâcher vos plans et de compliquer votre stratagème collusoire; vous ne le connaissez pas. Ce n'est pas grave, vous avez plus d'un tour dans votre sac, vous ajoutez finalement des critères de qualification afin de l'empêcher de prendre part à la compétition.
Vous l'accusez d'être une coquille vide financière au Québec, vous faites fi des états financiers du siège social qui se dit garant de sa succursale au Québec et pour être sûr de votre coup, vous ajoutez aussi un critère de qualification qui vaut 10 % à l'examen. Dix points pour connaissance du milieu montréalais et de la Ville de Montréal. Drôle de critère quand on sait que l'eau potable et les tuyaux sont pourtant les mêmes partout dans le monde! Cet illogisme n'est pas grave, c'est le résultat qui compte. Ils viennent de France, ils ont compris ce qui se passe et les voilà aussitôt repartis. Vous l'avez échappé belle. Il en reste trois, tous de Montréal: vos deux amis de Saint-Léonard et un autre consortium.
Que faire de l'autre consortium? Vous ne savez pas, c'est difficile, il y a déjà eu plusieurs entorses dans ce projet et vous ne voulez pas pousser trop loin, histoire de ne pas paraître ridicule. Heureusement, par grande chance, lors de l'appel d'offres, ce dernier vous demande un délai supplémentaire de quelques jours avant de remettre son offre, les hauts administrateurs du consortium ont besoin de se rencontrer pour prendre certaines décisions. De la vraie magie: vous refusez net de prolonger le délai, vous vous privez d'un concurrent clé, mais se n'est pas grave car vous savez qu'en refusant ce prolongement, il ne pourra remettre son offre à temps. Conséquence, il est éliminé.
Vous vous retrouvez entre amis. Il ne reste que Mario et Luigi, vous êtes enfin en famille connue. Le premier vous promet un poste de vice-président finances chez lui, un énorme salaire et de nombreux avantages. Vous acceptez l'offre, il gagne le contrat. À l'autre, en guise de prix de consolation, vous promettez d'autres contrats qui sauront bien arriver à qui sait attendre...
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Guillaume Mercier, Spécialiste en passation des marchés publics


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