PETITE HISTOIRE DU PÉTROLE AU QUÉBEC

Rabaska, Cacouna… basta !

5b2527154e40ed9ad867a614b6bcde4b

Le Saint-Laurent patrimoine mondial

Après Rabaska-les-canots-d’écorce et Cacouna-les-bélugas, les échecs de Gaspésia et Magnolia, bientôt Pétrolia, ce n’est pas assez. Enbridge arrive avec TransCanada pour passer le pétrole de l’Alberta dans la « Québécia ».

En 1947, ESSO trouve du pétrole en Alberta après 25 ans de forage. C’est le puits Leduc. Dix ans plus tard, J. Diefenbaker est premier ministre du Canada. Un conservateur de l’Ouest, réélu en 1959 avec majorité du Québec. L’Alberta profite de la conjoncture favorable pour demander d’écouler son pétrole vers Montréal. Déjà. Diefenbaker confie le dossier à Henry Borden qui conclut en 1961 : oui, jusqu’à Sarnia (Ontario). C’est la ligne Borden. La décision avantage ESSO, qui possède les deux grandes raffineries du Canada : Sarnia et Montréal. ESSO était une filiale de la Standard Oil (SO) (en prononçant « S » « O », on a « ESSO »), aujourd’hui une filiale d’Exxon.

À Montréal, ESSO s’alimentait par un pipeline qui vient de Portland près d’Old Orchard (Maine) et qui passe sous le fleuve à Boucherville. Le pipeline a été construit en 1941 pour assurer l’approvisionnement de la raffinerie ESSO à Montréal, car sur l’Atlantique les sous-marins allemands coulaient tous les bateaux, y compris les pétroliers. On ne peut laisser la métropole du Canada sans pétrole. De plus, le pétrole destiné à Portland provenait du Venezuela et coûtait moins cher que celui de l’Alberta. ESSO gagnait sur toute la ligne. La métropole du Canada aussi. Pour un temps. Jusqu’à ce que le gouvernement canadien passe au rouge.

Pendant 25 ans, Montréal-Est est un important complexe de raffineries en Amérique du Nord avec six pétrolières : ESSO, SHELL (Royal Dutch), BP (British Petroleum), BA (British American Oil), Petrofina, Gulf. C’est l’âge d’or.

En 1981, le déclin commence avec la politique canadienne du gouvernement libéral Trudeau qui achète Petrofina et BP et aussi avec l’arrivée de 5200 MW de LG2 (Baie-James). L’électricité, c’est propre propre. Hydro-Québec encourage les Québécois à se chauffer à l’électricité plutôt qu’à l’huile. Or en 1981, 70 % du chauffage des espaces au Québec (résidences, hôpitaux, écoles, commerces, etc.) est assuré par l’huile. Une aubaine pour toute raffinerie. Car dans un baril de pétrole, on ne tire au mieux que 50 % en essence, kérosène, diesel, propane ; le reste c’est de l’huile (incluant les huiles à bateaux très sales, utilisées aussi par de gros édifices) et du goudron (pour l’asphalte). L’arrivée en 1982 de 5000 MW de LG1 donne le coup de grâce aux raffineries. En 1985, ESSO, « L’Impériale 3 étoiles » qui commandite le hockey depuis 1952, établie à Montréal depuis 1913, ferme sa tuyauterie et part sans décontaminer son immense terrain ! Vive le hockey du samedi soir. C’était il y a 30 ans.

Petrofina vend BP, Gulf se retrouve à Varennes sous le nom de Pétromont avec l’aide financière de la SGF (Société Générale de Financement) pour fermer en 2008. Shell ferme en 2010. En 2015, il ne reste plus que Suncor (l’ancienne Petrofina, privatisée). Même au fédéral, les sociétés d’État ne durent pas. Encore moins au Québec… depuis Tricofil.

Il faut dire qu’entre-temps, en 1971, une raffinerie s’est installée en face de Québec, à Saint-Romuald (Lévis), sous le nom de Golden Eagle, puis d’Ultramar, rachetée depuis par Valero du Texas ! Depuis 2001, c’est la raffinerie Jean Gaulin, du nom de son premier directeur. Cette raffinerie s’alimente en partie avec du pétrole de l’Algérie qui lui arrive par pétroliers. Pour leur ouvrir la voie, on a dragué le grand fleuve Saint-Laurent en face de Québec, avant que le BAPE ne débarque. Ultramar, qui transportait son essence à Montréal par wagons-citernes, va le faire maintenant par le pipeline Saint-Laurent (Lévis-Montréal : 247 km).

Et maintenant, en 2015, après 54 ans, Enbridge veut inverser le flux du pipeline 9B de Sarnia à Montréal, à l’encontre de la ligne Borden de 1961, pour acheminer le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers l’est, vers Portland, ou vers l’Europe, ou la Norvège ou l’Arabie ! De son côté, TransCanada ne veut pas être en reste et propose un pipeline de 4600 km de l’Alberta à Cacouna, et de là par pétroliers au reste du monde, ou aux États-Unis via Portland, ou à l’importante raffinerie Jean Gaulin qui peut traiter 265 000 barils par jour.

Le fleuve Saint-Laurent patrimoine mondial

Le Québec ne peut laisser passer le pétrole sur son territoire sans mot dire. On ne pourra forcer personne à raffiner à Montréal, mais on peut demander des redevances pour passer au Québec. On peut aussi demander à TransCanada d’annuler le contrat de fourniture de gaz à la centrale au gaz de Bécancour, gaz inutilisé qu’Hydro-Québec paie toujours via ses clients ! L’autre voie pour acheminer le pétrole de l’Alberta vers l’est, c’est de le transporter par wagons-citernes jusqu’à Sorel, et de là par pétroliers. Sorel est juste à l’entrée du lac Saint-Pierre. C’est un milieu biologique d’autant plus fragile qu’il est peu profond, mais d’une riche biodiversité avicole et piscicole. Ainsi, la Grande Île abrite 5000 hérons. Les pétroliers destinés à Sorel passent dans un chenal étroit. Il n’y aura peut-être pas de déversement, mais il y aura des ensablements avec de gros inconvénients. Depuis 2001, le lac Saint-Pierre est reconnu par l’UNESCO comme Réserve de la biosphère.

Le fleuve Saint-Laurent (y compris l’île d’Anticosti et les îles de la Madeleine) doit maintenant être inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Si le juge Burger en 1971 a bloqué les projets gaziers et pétroliers dans le delta du grand fleuve Mackenzie, il faut espérer qu’un juge du Québec se lève pour protéger, sinon le plus beau fleuve du monde, du moins le plus majestueux. Il faut s’élever contre tout projet qui va faire que de « voiture d’eau » le Saint-Laurent va devenir « voiture de pétrole ».

Au temps des « voitures d’eau », au temps des goélettes, presque tous les villages le long du fleuve avaient un quai qui était le centre des activités économiques et même culturelles. Mais le fédéral a abandonné ses quais. Aujourd’hui, les bateaux passent sans s’arrêter. Aujourd’hui, la nature est devenue la grande attraction touristique. En France, on délaisse la plage pour la montagne. Faisons du fleuve Saint-Laurent une valeur nature. Aménageons-le pour que nos voisins du Sud viennent marcher sur ses battures. S’enivrer de ses effluves. Peut-être pourrons-nous alors chanter, comme autrefois à Neuville, à Berthier-sur-Mer ou à L’Anse-à-Gilles : « Regarde avec amour sur les bords du grand fleuve. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->