CAMPAGNE ÉLECTORALE

Querelle budgétaire en vue à Ottawa

Les conservateurs entendent discréditer le bilan financier de Pierre Elliott Trudeau

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Les Conservateurs ont oublié de se regarder dans le miroir

Les troupes conservatrices entendent parler d’économie pendant la campagne électorale cet automne. Et mercredi, le ministre des Finances, Joe Oliver, a révélé comment elles allaient en parler : en discréditant le bilan financier du Parti libéral, celui d’un certain Pierre Elliott Trudeau en particulier, et en promettant de menotter tout futur gouvernement avec une loi antidéficit.

Depuis que les conservateurs de Stephen Harper sont au pouvoir à Ottawa, sept budgets consécutifs ont été écrits à l’encre rouge (sur un total de neuf, bientôt dix) et il s’est ajouté 131 milliards de dollars à la dette, une hausse de 27 %. Les libéraux ont beau jeu de rappeler que ce sont eux qui, en 1997, ont rééquilibré les finances publiques. Le Parti conservateur prépare donc sa parade.

Joe Oliver a entamé son discours devant l’Economic Club de Toronto en évoquant le lien de parenté entre l’actuel chef libéral, Justin Trudeau, et le responsable originel des déficits fédéraux. Certains se rappelleront, a dit M. Oliver, « la décennie Pierre Trudeau. Entre 1969 et 1979, les dépenses fédérales ont triplé, soutenues par des hausses temporaires du prix des produits de base. Lorsque ces prix ont inévitablement chuté, le Canada a connu ses pires déficits budgétaires en période de paix. […] La situation ne constituait pas une réponse à une crise économique. Elle était le résultat de l’idéologie de l’homme qui était aux commandes. »

De fait, le déficit du Canada est passé, entre 1968 et 1979, de 19 à 157 milliards. Pendant le règne des progressistes-conservateurs de Brian Mulroney qui a suivi, le déficit a encore triplé, pour atteindre 487 milliards. M. Oliver a plutôt tourné ce fait à l’avantage de la marque de commerce conservatrice en soutenant que M. Mulroney avait « équilibré le budget des opérations ». Le budget des opérations ne tient pas compte des frais d’intérêt payés, qui grugeaient à cette époque le tiers des revenus d’Ottawa. L’équipe Mulroney n’a présenté que des déficits, variant de 28 à 39 milliards par année. Selon M. Oliver, le gouvernement libéral suivant a « arrêté une calamité en en créant une autre. Jean Chrétien a équilibré le budget en augmentant les impôts, en coupant les programmes vitaux et en réduisant les paiements de transferts de milliards de dollars. »

Cette relecture de l’histoire fait bondir le critique libéral en matière de finances, Scott Brison. « L’équipe Chrétien-Martin a affiché neuf surplus et remboursé 80 milliards sur la dette », rappelle-t-il. « M. Harper a présenté sept déficits et a augmenté la dette de 150 milliards [la dette avait diminué de 23 milliards avant de rebondir de 154 milliards, pour un solde net de 131 milliards]. C’est bizarre qu’un gouvernement avec un si mauvais bilan se permette d’en attaquer un autre qui a un bilan plus reluisant. »

À la blague, M. Brison lance que les conservateurs « souffrent de l’envie du ministre des Finances », référence à la théorie freudienne de « l’envie du pénis » des femmes. « M. Harper aurait adoré avoir un ministre des Finances avec un bilan tel que celui de Paul Martin. »

Loi antidéficit utile?

Le ministre Joe Oliver a profité de son discours pour annoncer qu’une loi antidéficit sera déposée sous peu. Elle avait été promise dans le discours du Trône de 2013, mais à l’époque, les conservateurs généraient encore des déficits. Comme elle ne pourra pas être adoptée d’ici la fin des travaux parlementaires, cette loi consistera plutôt en une arme électorale.

Cette loi fera en sorte qu’un gouvernement ne serait autorisé à présenter un déficit qu’en cas de récession ou de « circonstances extraordinaires » (guerre, catastrophe naturelle) engendrant des dépenses de plus de 3 milliards. Dans les 30 jours suivant le déficit, le ministre des Finances devrait comparaître en comité parlementaire pour indiquer comment il entend le résorber. Un gel des dépenses de fonctionnement entrerait automatiquement en vigueur, tandis que le salaire des ministres et des sous-ministres serait réduit de 5 %.

L’automne dernier, le directeur parlementaire du budget adjoint, Mostafa Askari a publié un rapport sur les lois antidéficit concluant que celles-ci ne servent au mieux qu’à dorer la réputation internationale du pays. « Mais au Canada, il est difficile de voir pourquoi nous aurions besoin d’une telle loi quand rien n’indique que nous nous dirigeons vers des problèmes. »

Huit provinces se sont dotées de telles lois dans les années 1990, et sept d’entre elles les ont suspendues ou contournées. Première à tenter l’expérience en 1991, la Colombie-Britannique s’est dotée de deux lois antidéficit, chaque fois en fin de mandat d’une administration, et chaque fois abrogée par la suivante, qu’elle ait été néodémocrate ou libérale. Les chercheurs Jared Wesley et Wayne Simpson ont conclu, dans une étude de 2011, que les lois antidéficit au pays n’avaient pas entraîné de réductions massives de dépenses, pas plus qu’elles n’avaient empêché le retour à l’encre rouge.


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