Quel monde nous laissent les boomers?

C5b96d34924b30215b8b2371896fb70c

Un héritage douteux qu'on n'a pas la possibilité d'accepter sous bénéfice d'inventaire

Les baby-boomers, nés entre 1940 et 1966 selon la périodisation du démographe Jacques Henripin, sont souvent associés à la Révolution tranquille. Or, cette dernière, qui se caractérise par une modernisation de l’État québécois, serait plutôt l’oeuvre de la frange progressiste de la génération précédente. Le véritable apport des boomers à l’évolution de la société québécoise est ailleurs, dans le bouleversement des modes de vie qui frappe tout l’Occident de 1960 à 1990. Telle est la thèse que développe Jean-Marc Piotte dans La révolution des moeurs.

« Dans les pays industrialisés et dotés d’un régime libéral, écrit le politologue, une culture fondée sur les contraintes, l’abnégation et la subordination de l’individu à la communauté disparaissait. Une autre, basée sur la liberté, la satisfaction des besoins et le plaisir, s’affirmait. »

L’euphorie économique des Trente Glorieuses s’accompagne d’un changement social fondamental : la société traditionnelle (travail, famille, autorité, solidarité communautaire) s’efface au profit de la société de consommation, qui valorise le plaisir et l’épanouissement individuel, notamment par la pratique d’une sexualité libre, rendue possible par l’arrivée de la pilule anticonceptionnelle. Les curés sont remplacés par Elvis et les Beatles, au son desquels les jeunes filles dansent en minijupe.

Individualisme et individualité

Né en 1940, Jean-Marc Piotte, plus associé au marxisme qu’à la contre-culture, analyse pourtant avec bienveillance cette révolution des moeurs, bien qu’il reconnaisse que « cette nouvelle génération, habitée par le désir de consommer et valorisant les jeunes entrepreneurs, deviendra la proie du capitalisme qui, telle une pieuvre, aspire tout ce que ses ventouses effleurent ».

Au Québec, la revue Parti pris (1963-1968), sans s’inscrire directement dans la logique de la révolution des moeurs, préparera d’une certaine façon le terrain en affichant son athéisme, son laïcisme et sa totale liberté d’expression. La revue phare de ce mouvement sera toutefois Mainmise (1970-1978), qui prône la révolution individuelle, le rejet des institutions traditionnelles (famille, école, État) et la libération par la triade sexe, drogue et rock’n’roll. Plus tard, le magazine La Vie en rose (1980-1987) viendra approfondir ce procès libérateur en consolidant le discours féministe québécois.

Le Québec d’aujourd’hui est le résultat de cette révolution des moeurs. Cette dernière, en effet, continue de faire sentir son influence individualiste sur notre société, dans laquelle l’esprit social-démocrate de la Révolution tranquille est dangereusement menacé d’épuisement. On peut, évidemment, s’en désoler à certains égards.

La Révolution tranquille voulait institutionnaliser la solidarité communautaire canadienne-française en l’étatisant. Sa réussite est indéniable, même si plusieurs la remettent aujourd’hui en question. La révolution des moeurs, elle, laisse un bilan plus ambigu. Son rejet de la tradition et des contraintes concomitantes constitue certes une forme de libération, mais il engendre aussi un individualisme délétère, nourrissant une société de marché sans âme.

Jean-Marc Piotte, qu’on a déjà connu plus pessimiste, choisit pourtant de voir le bon côté des choses. « Il faut distinguer, explique-t-il, individualisme et individualité. » Le premier relève d’un égoïsme condamnable, alors que la seconde désigne la capacité de chacun à s’autodéterminer sans contrainte extérieure et peut « mener à une solidarité librement assumée », donc d’autant plus forte.

Cette dernière thèse constitue le moment fort de cet ouvrage, par ailleurs assez peu original. Elle suggère que la nécessaire solidarité, que Piotte trouve dans les rangs de Québec solidaire, doit désormais émaner de « personnalités fortes qui choisissent rationnellement la solidarité sociale, car elles ont compris que leur autonomie et leur identité mêmes dépendent de celles des autres ». Force est toutefois de constater que, dans le monde que nous laissent les boomers, les individualistes sont plus nombreux que les individualités solidaires.
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->