Québec Solidaire face à ses contradictions

Cégep en français

La décision de Québec Solidaire de s’opposer à l’application de la Loi 101 au cégep fait état d’une curieuse contradiction au sein de ce parti. Les moyens qu’on désire appliquer quand il est question d’économie, d’écologie, de développement social ou éducatif deviennent tabous dès qu’il est question de langue.



Ainsi, quand il est question de ces secteurs, on n’hésite pas à « brimer les droits individuels » pour le mieux-être collectif. On désire nationaliser l’énergie éolienne, interdire les ports méthaniers, interdire les sacs de plastique, imposer un moratoire sur les OGM, interdire tout investissement dans des entreprises aux pratiques sociales inacceptables, imposer davantage les grandes entreprises, imposer pleinement les gains en capital, réduire les aides fiscales, interdire la vente de savon phosphatés, abroger des lois « antisyndicales », interdire les poursuites abusives, mettre fin aux privatisations, créer Pharma-Québec, interdire la facturation de soins accessoires dans la santé, interdire les écoles publiques non-laïques… On limite la liberté de l’individu parce que le groupe en entier en profite. C’est l’essence de toute philosophie collectiviste et Québec Solidaire l’a bien compris. Or, quand il est question de langue, on parle de la nécessité de ne pas « restreindre les droits individuels pour promouvoir la langue française au Québec ». On préfère « valoriser » et améliorer la qualité de l’enseignement en français, puis en anglais, dans nos écoles. Bref, on revient aux vieux arguments usés de la « liberté de choix », du bon parler français et de la petite tape dans le dos censés sauver une langue française en déclin. Est-il utile de rappeler qu’au tournant des années soixante-dix, lorsque cette « liberté » était à son apogée, 92,1% des immigrants envoyaient leurs enfants au réseau scolaire de langue anglaise? 1 Cette manière de concevoir la politique est tout à fait symptomatique du refus de Québec Solidaire d’assumer pleinement son rôle de parti au service de la nation québécoise. Qu’on « brime » la sacro-sainte individualité du pollueur, de l’entreprise délinquante, des mieux-nantis, des entreprises privées, de ceux qui aimeraient qu’on finance des écoles confessionnelles, c’est tolérable et acceptable. Mais qu’on finance, au Québec, un réseau d’éducation collégial de langue anglaise destiné uniquement à la minorité anglophone historique, en conformité avec l’esprit de la Loi 101, voilà qui constitue une terrible violation de ces mêmes droits individuels! Deux poids, deux mesures.


Ce qui se fait ailleurs


Partout au monde, pourtant, l’éducation se donne dans la langue nationale. Le Québec, qui finance un réseau public dans une langue qui n’est pas la langue officielle, de la maternelle à l’université, constitue une exception, voire une aberration. En France, où les locuteurs de langue occitane atteignent 12% de la population, l’enseignement public se fait exclusivement en français. En Lettonie, où il existe une forte minorité de langue russe composant près de 30% de la population, l’ensemble des écoles de langue russe doivent offrir au moins 60% de leurs cours en letton et l’ensemble du réseau universitaire fonctionne en letton. En Norvège, les minorités n’ont accès à des cours dans leur langue qu’au primaire et au secondaire. En Slovaquie, où la minorité hongroise forme 11% de la population, il y a un réseau slovaque et un réseau bilingue au secondaire tandis que toutes les universités fonctionnent en slovaque. Au Texas, où près de 30% de la population est hispanique, l’ensemble du réseau d’éducation public est de langue anglaise. Et nous, au Québec, avec 8% de la population de langue anglaise, dont seulement 5,6% sont nés au Québec, nous (sur-)finançons un réseau parallèle de langue anglaise non seulement destiné aux anglophones, mais largement ouvert à la majorité francophone. Aurait-on idée de dire que la France, la Lettonie, la Norvège, la Slovaquie ou les États-Unis « restreignent les droits individuels » parce qu’ils financent une éducation dans la langue nationale? Bien sûr que non. C’est une simple normalité: l’État, qui existe pour le bien commun de tous, favorise la cohésion sociale et la communication entre ses citoyens en contribuant à former ses citoyens dans la langue nationale. Cette utilisation de la force étatique pour favoriser une cohésion est bien assimilée par Québec Solidaire dans à peu près tous les secteurs, sauf celui de la langue. Le parti n’hésite pas à bousculer les idées reçues et à aller à l’encontre des dogmes dominants sur à peu près tous les sujets, sauf celui de la langue. Khadir est de toutes les tribunes pour défendre les droits collectifs des Québécois en autant qu’il est n’est pas question de langue. Le parti aurait peut-être avantage également à s’éloigner d’un milieu montréalais toxique au niveau linguistique et à s’ouvrir pleinement à la réalité d’un Québec de langue française ayant le désir et le droit de constituer une nation aussi complète et normale que toutes les autres sur cette planète. De la même manière, lui qui est habituellement si critique à l’égard du gouvernement, il devrait également dénoncer l’utilisation partisane du Conseil supérieur de la langue française par le gouvernement pour manipuler les données sur la fréquentation des cégeps de langue anglaise. La protection de notre langue ne doit pas constituer un sujet tabou: ce doit être la fondation de tout projet social ou solidaire. La Loi 101 au cégep ne doit pas constituer la fin, mais le début de tout projet ayant comme finalité le bien-être collectif des Québécois. Dans « Québec Solidaire », il y a deux mots. On dépense beaucoup d’énergie pour le second; il serait peut-être temps de penser au premier.


*** 1- Commission Gendron, Les groupes ethniques, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1972, p. 218