C’est vrai qu’ils sont difficiles à aimer, les médecins spécialistes, par les temps qui courent...
Indignation généralisée
Je connais Yvon depuis quelques années. Un enseignant à la retraite, il a dépassé les 70 ans maintenant. Il est de ces gens que l’on rencontre par les réseaux sociaux et avec qui on finit par converser, de tout, de rien, intelligemment, posément.
L’exception à la règle, diront certains.
L’esprit affiné, vif d’esprit et fin critique, j’aime quand Yvon, qui maîtrise bien le verbe et la phrase assassine toute empreinte d’ironie, m’envoie l’une de ses réflexions bien cadrées sur l’actualité.
D’ailleurs, toujours très actif et en pleine forme, il prenait bien mal cette infantilisante assignation à résidence basée sur le seul facteur de l’âge...
«Mon voisin qui me dévisage, l’œil louche, quand je vais à l’épicerie, quand lui, dans la quarantaine je dirais, fume deux paquets par jour, porte cinquante livres en trop et tousse, et s’étouffe, comme un homme qui aurait le coronavirus depuis cinq ans...»
Bref, quand Yvon a appris que les médecins spécialistes iraient «prêter main-forte» dans les CHSLD, en quasi «crise humanitaire», non sans avoir obtenu qu'on leur verse 211$ l’heure pour le faire, le «gasket a sauté», comme il dit.
«Si c’est rendu qu’il faut supplier les médecins à 200 piasses de l’heure pour qu’ils daignent aller torcher les p’tit vieux... bin, qu’ils restent donc chez eux! Ça valait bin le coup de démocratiser l’accession à la profession collectivement pour que ça finisse par rançonner le gouvernement avant de descendre aider dans les CHSLD, ces docteurs-là!»
Laissez-moi vous dire que des commentaires comme celui d'Yvon, j’en ai lu des tonnes au cours des dernières heures.
Avec raison, on s’indigne quand les banquiers, quand les compagnies de téléphone, par exemple, n’hésitent pas, en temps de pandémie, en temps de crise, à hausser leurs tarifs ou à engranger des milliards de profits par des taux usuraires sur les cartes de crédit.
C’est exactement comme ça que c’est perçu dans la population, cette «aide» des médecins spécialistes dans les CHSLD. À plus de 200$ l’heure, tu «n’aides» pas. On te paie chaque cenne de ton trouble pour être là. C’est pas pareil.
Durs à aimer, les médecins spécialistes
À l’époque de la présidence du Dr Gaétan Barrette à la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), certains imputaient aux «méthodes» du président cette perception négative qu’on pouvait avoir, parfois, de l’organisation.
Devenu député et ministre, le Dr Barrette est demeuré figure controversée. Lors des négociations de la FMSQ avec le gouvernement libéral précédent, le premier ministre Philippe Couillard, médecin lui-même, avait dû écarter l’ex-président de la FMSQ du processus.
L’opposition à l’Assemblée nationale avait d’ailleurs rappelé que les «méthodes» de l’ancien président ne semblaient pas avoir disparu. Cette critique assassine, de Jean-François Lisée:
«Le fantôme de Gaétan Barrette est toujours présent à la FMSQ, et on voit là une organisation complètement investie dans la défense corporatiste à courte vue de leurs membres et pas du tout à leur place dans la société et dans leur devoir de contribuer aux équilibres de richesse entre eux-mêmes et les autres Québécois.
«Il y a, de la part de la FMSQ, une absence de conscience sociale, de responsabilité sociale face au Québec qui est condamnable, lamentable, pitoyable.»
À la lumière de la réaction de la Dre Diane Francœur, la présidente actuelle de la FMSQ, à la conférence de presse du premier ministre François Legault, hier, on peut fort bien appliquer la critique de l’ex-chef péquiste à la situation actuelle.
Quelques réactions bien senties font écho à l’indignation exprimée dans la population; comme celle-ci, d’Alexandre Klein, historien et philosophe de la santé et chercheur à l’Université d’Ottawa:
Ou encore celle-ci, fort pertinente, de Julien Prud’homme, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières:
Quand cette pandémie sera enfin derrière nous, il nous faudra réfléchir à ce corporatisme qui mine la confiance de la population envers les médecins spécialistes.
Collectivement, nous sommes tous perdants quand ceux qui ont la responsabilité de nous soigner, de nous remettre sur pied et de nous sauver la vie sont perçus comme des brigands. Ce que les médecins spécialistes ne sont pas, évidemment.
Ça commence peut-être par un changement de ton à la FMSQ, qui sait. Car au-delà de la réaction épidermique de la présidente, il y a des médecins qui ont tenu à remettre les pendules à l’heure.
La Dre Julie St-Pierre, par exemple, qui, en réponse à l’indignation de la journaliste Josée Boileau, rappelait que, des médecins qui se rendent bénévolement dans les hôpitaux québécois pour prêter main-forte, il y en a...