Qu’est-ce qui est arrivé à l’immunité collective ?

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Que s'est-il passé entre jeudi et lundi pour que l'immunité collective soit devenue inefficace ?


Pas plus tard qu’il y a cinq jours, le premier ministre François Legault a mis son chapeau de pédagogue et il a expliqué le concept de l’immunité collective. Il l’a même très bien fait, expliquant par exemple en termes simples un autre concept, celui du R0 (1).


L’immunité collective, c’est quand une masse critique d’une population donnée résiste à un pathogène. Ici, le coronavirus SARS-CoV-2. Pour y résister, il faut qu’un pourcentage de la population en question ait été infecté. Pour atteindre l’immunité de groupe contre le coronavirus, il faudrait que de 60 % à 70 % des Québécois aient été touchés.


Le 23 avril, François Legault a mis son chapeau de pédagogue et il a expliqué que le déconfinement se ferait dans une logique d’immunité de groupe.


Il a nommément évoqué les CPE et les écoles pour parler de l’importance de l’immunité de groupe, préparant le terrain à l’annonce de lundi.


 

Je le cite : « Le concept d’immunité naturelle, ce n’est pas une question de prendre les enfants comme des cobayes. C’est de dire : les personnes les moins à risque, donc les personnes de moins de 60 ans, bien, il peut y avoir une immunité naturelle qui va empêcher une vague… »


C’était jeudi dernier.


Lundi, le trio santé Legault-McCann-Arruda a donc présenté le plan de déconfinement des enfants québécois, ceux qui fréquentent les CPE et les écoles primaires.


En surface, l’annonce de lundi était la suite logique de la pédagogie du PM à propos de l’immunité collective livrée jeudi dernier…


Sauf que non. Lundi, l’immunité collective est passée à la trappe. 


Le PM a dressé la liste des cinq raisons qui poussent Québec à entreprendre le déconfinement par l’entremise des enfants. Je le cite : « Dans les cinq raisons, il n’y a pas l’immunité collective. Il y a des experts qui pensent que d’avoir la COVID-19 puis d’en être guéri, ça pourrait immuniser […]. Par contre, ce n’est pas prouvé. »


Euh, en quatre jours, où est passée l’immunité collective comme motivation pour déconfiner les enfants ?


Oui, la chef de la Santé publique du Canada a lancé un pavé dans la mare de l’immunité collective, samedi (2) : Theresa Tam en a torpillé l’efficacité. « Ce n’est pas un concept qui devrait être soutenu », a-t-elle déclaré.


Le PM Trudeau a pris le relais, affirmant ceci : « Il n’y a personne qui se base sur l’immunité comme une mesure qui fait partie de la marche à suivre pour les prochains mois », a-t-il affirmé.


Dans nos pages, le même jour (3), Boucar Diouf, scientifique de formation, a lui aussi mis en garde contre l’immunité de groupe : il y a encore trop de zones d’ombre au sujet du coronavirus pour faire confiance à l’immunité de groupe comme solution à la crise…


Et là, lundi, le trio santé nous annonce qu’il y a cinq raisons pour retourner les enfants au CPE et à l’école primaire, mais que l’immunité collective n’en fait pas partie.


Est-ce juste moi, ou… il y a quelque chose qui cloche, ici ?


François Legault est comme les autres chefs d’État qui doivent expliquer à leurs concitoyens la science – encore imprécise – du coronavirus, c’est-à-dire qu’il n’est pas un scientifique. Ce n’est pas lui qui décortique les études scientifiques pour les expliquer aux Québécois.


Et c’est… normal !


On ne s’attend pas du PM qu’il puisse comparer des études du Lancet, de Nature et du New England Journal of Medecine pour déterminer où en est la science du coronavirus. C’est le travail des scientifiques qui travaillent à la Santé publique de faire ça. De voir où sont les consensus, où sont les vérités, où sont les demi-vérités… Et où sont les fausses solutions.


Il se trouve qu’il y a un sous-ministre à la Santé publique. Il est assis à la droite de François Legault, à chaque conférence de presse du trio santé, à 13 h.


Il s’agit bien sûr d’Horacio Arruda.


Le gardien des sceaux de la science, à cette table, c’est lui. Pas François Legault. Pas Danielle McCann.


Je suis donc troublé de constater que jeudi dernier, le premier ministre Legault a vanté – avec toute l’autorité morale acquise pendant cette crise – le concept de l’immunité de groupe comme une façon de revenir à la normale…


Pour nous dire, lundi, quatre jours plus tard, que l’immunité de groupe n’est pas une panacée.


Je suis troublé de constater que lundi soir, peu après 17 h, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a émis un avis qui est un rejet brutal des mérites de l’immunité collective prônée jeudi par le PM.


Je cite l’INSPQ (4) : « Ces observations vont dans le même sens que les travaux de modélisation faits par le groupe de l’Imperial College au Royaume-Uni montrant qu’une stratégie visant l’obtention d’une immunité de groupe risque de causer un nombre massif d’hospitalisations et de décès… »


Comme tout le monde, je trouve que le personnage d’Horacio Arruda dans les points de presse de 13 h est fascinant, divertissant et même attendrissant.


Mais je trouve aussi que c’est la job d’Horacio Arruda, en tant que directeur national de santé publique, de fournir au premier ministre du Québec des informations qui sont valides en matière de science. Et de ne pas le laisser dire des choses qui ne le sont pas.


C’est lui, le Dr Arruda, qui est le gardien des sceaux de la science, dans ce trio santé.


C’est lui qui doit s’assurer que ce qu’avance le PM un jeudi est encore valide, scientifiquement, le lundi suivant.


Je conçois aisément que la science du coronavirus évolue rapidement et qu’elle soit en constante réévaluation. Je l’ai déjà écrit : il y a beaucoup d’incertitude dans tout ça, tant dans la compréhension que nous avons du coronavirus que dans la réponse à lui opposer. Je conçois qu’il y aura des arrimages difficiles entre une science pas toujours claire et une population qui veut de la certitude.


Mais les limites et les flous dans le concept d’immunité collective n’ont pas changé à ce point entre jeudi et lundi. Vous savez, les « travaux de modélisation » de l’Imperial College de Londres cités par l’INSPQ hier soir ?


Ils ont forcé le Royaume-Uni à larguer l’immunité collective… le 16 mars dernier (5).


(1) Lisez « Le R0 de la pandémie »


(2) Lisez « La notion d’immunité collective ne fait pas consensus au pays »


(3) Lisez « Avez-vous dit immunité collective ? »


(4) Lisez « Immunité de groupe et retour des enfants à l’école et à la garderie »


(5) Lisez « The science behind the big shift in the UK’s coronavirus strategy »




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