Qu’est-ce qui cloche dans la gestion du patrimoine québécois?

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Il nous faut une politique d'envergure sur la protection du patrimoine

En matière de bâtiments parvenus du passé jusqu’à notre présent, faut-il tout protéger ? Non, répondent à l’unisson les spécialistes. Ceux qui prétendent aujourd’hui qu’on veut tout garder s’aveuglent devant la réalité : les destructions n’ont pas cessé, comme en témoigne l’actualité des derniers jours, dans l’éclairage qu’a su donner soudain à d’autres dossiers la destruction inattendue de la maison du patriote Boileau à Chambly.


Pour Yves Bergeron, directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, il y a certes « quelques bons coups en matière de conservation du patrimoine au Québec ». Mais les cas récents de destructions portés à son attention lui font dire que la situation de fond n’a pas tellement changé. « Au fond, ça a toujours été beaucoup comme maintenant : on détruit plus facilement que l’on conserve. » Sans trop se poser de questions, sous le coup de l’émotion, dit-il.


Ce texte fait partie de notre section Perspectives.


Mais qu’est-ce qui a changé pour que les citoyens s’indignent plus vertement qu’auparavant du mauvais sort réservé à ces témoins anciens de notre vie en commun ? « Les défenseurs du patrimoine sont plus nombreux que jamais. Mais ce qui a surtout changé, c’est la couverture médiatique. Quand de grands médias s’intéressent désormais au sort fait à des bâtiments, cela a sans conteste un effet. Ce n’est pas toujours facile autrement d’alerter le public, en particulier hors des grands centres. »


Une culture à changer


« Il existe une fracture entre l’attention que porte de plus en plus le grand public au patrimoine et ce que, du côté des élus et des décideurs, on constate comme attitude à peu près générale », explique Yves Bergeron.



 Il existe une fracture entre l’attention que porte de plus en plus le grand public au patrimoine et ce que [l’on constate] du côté des élus et des décideurs


— Yves Bergeron



« L’argument un peu bête qu’on entend de la part de ces derniers est à peu près toujours le même. On ne se rend pas compte de la richesse qui tient au patrimoine. […] Le patrimoine constitue pourtant un moteur. Il donne la volonté d’être là. Il constitue un pôle d’attraction. » Et Yves Bergeron de parler des effets de la construction du Musée de la civilisation à Québec. « Le quartier était décrépi. On ne voulait pas se promener là tard le soir. Mais un élan a créé une forte volonté de mettre en valeur le patrimoine de ce secteur. » Et le quartier, soudain, s’est remis à respirer, les maisons ont été revalorisées, en accord avec l’allure héritée de leur passé.


Même son de cloche de la part de Lucie K. Morisset, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain. Au Devoir, elle explique qu’un changement de culture doit s’opérer. « Il faut concevoir que le patrimoine constitue une manifestation positive dans une ville. C’est un instrument de développement. […] Il faudrait que les villes conçoivent enfin que c’est payant, sur tous les plans. »


Elle prend l’exemple du retrait de l’enseigne quasi centenaire d’Archambault, symbole fort de Montréal. « Il est payant d’avoir une enseigne ancienne comme celle d’Archambault sur son édifice parce que cela entraîne une idée de vertu à l’égard du passé. Le patrimoine bien entretenu et valorisé signale une stabilité. Il donne l’idée que ce qui est là et tout autour est appelé à durer. C’est l’assurance d’une durabilité qui est matérialisée. Dans les villes, c’est un facteur attirant. Et ça attire du monde. On a envie d’être près de tels symboles de stabilité. »


Or, ce sens de la durée, plaide Yves Bergeron, n’est pas ce qui anime pour l’instant bien des élus. « Les élus sont là pour peu de temps. Les préoccupations à long terme et même à moyen terme, hélas, ne sont pas courantes chez eux, regrette Yves Bergeron. Et lorsqu’ils prennent une décision controversée à l’égard du patrimoine, remarquez qu’ils deviennent souvent invisibles… »


Faiblesses


L’actualité des derniers jours révèle les faiblesses du système de protection des édifices patrimoniaux autant que de leur mise en valeur. Tant que le ministère de la Culture et des Communications ne prendra pas une position ferme, en accord avec sa loi, la situation continuera de se dégrader, croit le directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM.


La gouverne en matière de patrimoine risque-t-elle de changer avec ce nouveau gouvernement ? « Je ne sais pas si ce sera plus sévère. Dans le cas par exemple de la maison Boileau à Chambly, il fallait brandir une injonction. Cela aurait donné le temps de voir que la Ville agissait à l’encontre même de son règlement. »


« J’espère qu’un jour ils vont réagir sérieusement. Faire un exemple, en accord avec la loi. Sinon, tout va continuer de ressembler au Jour de la marmotte, ce film dans lequel on se trouve obligé de revivre sans cesse la même journée. » Ce présent perpétuel qui nimbe notre société lui apparaît dangereux.


Qui dit protéger ne dit pas pour autant figer. Les bâtiments changent. Ils n’ont pas à être muséifiés, pour autant qu’on ne dénature pas les significations historiques et anthropologiques fortes qu’ils dégagent.


Origines de la politique


La conscience du patrimoine remonte à loin. En 1534 par exemple, tandis que Jacques Cartier pose pied sur les berges du Saint-Laurent, en Italie, Paul III prend quelques mesures pour protéger les monuments, au nom du fait qu’ils représentent l’univers culturel dans lequel il inscrit l’essencede son existence.


En 1922, le gouvernement du Québec, sous la gouverne du libéral Alexandre Taschereau, confie à la Commission des monuments historiques le mandat de la conservation des monuments et des objets ayant un intérêt historique ou artistique. Le parrain de la loi, Louis-Athanase David, va veiller à l’établissement d’un bilan des richesses culturelles nationales. Dès l’entre-deux-guerres, quelqu’un comme l’anthropologue Marius Barbeau se désole de la disparition des églises d’inspiration française dans le paysage québécois.


La création du ministère des Affaires culturelles en 1961, sous l’impulsion de Georges-Émile Lapalme, ancien chef du Parti libéral qui en sera le premier et le plus énergique titulaire, modifie progressivement le rôle de la Commission des monuments historiques.


En 1972 est adoptée une Loi sur les biens culturels. Il faut attendre 1985 pour que les municipalités soient habilitées, du moins en regard de la loi, à protéger leur patrimoine. Tout cela va être inscrit sous une forme plus large dans la Loi sur le patrimoine culturel adopté en 2011.


> La suite sur Le Devoir.



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