Pouvoir discrétionnaire : Normandeau surclasse ses prédécesseurs

Un ingénieur du MAMROT a décrit l’insistance de la ministre à la commission Charbonneau

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Pourquoi voir petit quand on peut voir grand ?

L’ancienne ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau arrive en tête de liste des ministres qui ont fait fi des recommandations des fonctionnaires pour bonifier des subventions dans le traitement des eaux, sans aucune justification.

Mme Normandeau donne un sens bien particulier à l’expression « volonté politique ». Elle a majoré ou forcé l’octroi de subventions dans 32 des 50 dossiers qui ont suivi un cheminement particulier au ministère sur plus de 10 ans.

Bien que le comportement de la ministre ne fût pas illégal, il soulève d’importantes questions, comme en fait foi le témoignage du fonctionnaire Yvan Dumont, mardi à la commission Charbonneau.

Sur les 32 projets autorisés par Mme Normandeau en vertu de son pouvoir discrétionnaire, 15 étaient pilotés par la firme de génie-conseil Roche, et 10 par sa concurrente, BPR. Les deux firmes raflaient le plus gros des contrats d’ingénierie dans l’est du Québec, région d’où Mme Normandeau est originaire.

Le chef de cabinet de Mme Normandeau, Bruno Lortie, était très proche de Marc-Yvan Côté, un vice-président de Roche montré du doigt à la commission Charbonneau pour du financement illégal, et ciblé par une enquête policière. M. Côté aurait notamment joué un rôle actif dans l’organisation d’un cocktail entaché d’irrégularités pour Mme Normandeau au restaurant Louis-Hébert, en 2008, à Québec.

M. Dumont est ingénieur et chef d’équipe au ministère des Affaires municipales pour l’est du Québec. Il a relaté que les ministres demandaient souvent des « états de situation », pour s’enquérir du cheminement des demandes de subvention des municipalités, pour des projets dans le traitement des eaux.

Ces demandes engendraient un fardeau accru sur les fonctionnaires du ministère. « Ça ajoute une pression à notre travail. On sent que notre analyse est remise en question », a-t-il dit.

Le pouvoir discrétionnaire a été introduit par le gouvernement de Bernard Landry en 2002, et il a été aboli par le gouvernement de Pauline Marois l’an dernier.

Aucun ministre titulaire des Affaires municipales n’a été aussi insistant que Nathalie Normandeau, qui a occupé le poste de 2005 à 2009.

À titre d’indicatif, Laurent Lessard est intervenu huit fois, André Boisclair neuf fois et Jean-Marc Fournier une fois sur une période allant de 2002 à 2012.

Les ministres intervenaient pour augmenter le taux de subvention qui avait été établi par les fonctionnaires, au terme d’une analyse rigoureuse. Parfois, les ministres annonçaient même des subventions pour des projets qui avaient été carrément refusés par les fonctionnaires.

Règle générale, le taux de subvention des projets d’eau oscillait autour de 50 %, selon les recommandations des fonctionnaires (le reste de la facture devait être assumé par les municipalités). Il n’était pas rare que les ministres fassent grimper le taux de subvention à 80 %, voire à 95 % d’un coup de crayon, sans aucune explication.

Nathalie Normandeau sera appelée à témoigner sous peu à la commission Charbonneau. Dans l’immédiat, son ancien conseiller politique, Vincent Lehouillier, sera à la barre mercredi.

Selon les déclarations d’Yvan Dumont, Vincent Lehouillier était particulièrement insistant dans les demandes de suivi des dossiers de subventions, ce qui causait inconfort et frustration au ministère.

Un sujet délicat

Le sujet des subventions majorées sans explications est délicat. Il fait l’objet d’une attention particulière de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans le projet Joug, une vaste enquête sur le financement illégal des partis politiques, selon des informations judiciaires obtenues à ce jour par un consortium de médias dont fait partie Le Devoir.

Les dénonciations des policiers, utilisées pour obtenir des mandats de perquisition chez Roche, révèle l’existence de la liste de 50 projets ayant bénéficié d’un taux de financement public fixé de manière discrétionnaire (18 ont bénéficié à Roche de 2002 à 2012). Selon les documents, le directeur du bureau de Roche à Bonaventure, Michel Porlier, se serait vanté de pouvoir « intervenir directement » auprès du bureau de Nathalie Normandeau pour « faire changer » une décision politique.

L’enquête porte sur des allégations de fraude, entrepreneur qui souscrit à une caisse électorale, fabrication de faux, fraude envers le gouvernement et complot. Aucune accusation n’a été portée à ce jour.


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