Depuis que j'ai quitté mes collègues conservateurs et annoncé que je créerais un nouveau parti la semaine dernière, on m'a accusé d'être un mauvais perdant, de m'intéresser uniquement à la question de la gestion de l'offre et de vouloir diviser le vote conservateur — garantissant ainsi la réélection de Justin Trudeau.
Pour comprendre mes véritables motivations, les gens qui me critiquent devraient s'informer sur la « théorie des choix publics ». Développée par James Buchanan, qui a remporté le prix Nobel d'économie en 1986, elle explique comment les groupes d'intérêts prennent en otage les débats politiques et les politiciens pour en tirer d'énormes bénéfices sous forme de subventions, de protection commerciale, de privilèges fiscaux ou juridiques et de mesures réglementaires qui leur sont favorables. Ils sont prêts à déployer d'énormes efforts de lobbying et d'importantes sommes d'argent pour les obtenir.
Bien entendu, ce sont les contribuables ordinaires qui doivent payer la note pour ces faveurs. Mais une faveur valant des millions, voire des milliards de dollars pour un groupe d'intérêts, peut ne coûter que quelques dollars à chaque contribuable. Pourquoi quelqu'un ferait-il l'effort de s'opposer, ou même d'essayer de comprendre, une politique gouvernementale complexe ? Cela ne vaut tout simplement pas la peine. Comme l'explique la théorie des choix publics, «l'ignorance rationnelle» est une attitude plus simple à adopter.
Cette dynamique des «avantages concentrés par rapport aux coûts dispersés» explique pourquoi nous avons tant de mauvaises politiques qui ne sont de toute évidence pas dans l'intérêt du public, pourquoi il est si difficile de réformer ces politiques et pourquoi la taille du gouvernement ne cesse de croître. Le nombre de groupes auxquels un politicien peut essayer de plaire en achetant des votes est infini.
Lorsque je suis devenu ministre de l'Industrie en 2006, j'ai été directement confronté à ce dilemme. Le Parti conservateur était alors totalement réconcilié avec les subventions aux entreprises ; s'y opposer lors de l'élection de 2004 avait rendu la tâche de faire concurrence à Paul Martin très difficile, alors que celui-ci promettait des fonds gouvernementaux pour diverses industries. Il était inutile d'essayer de les remettre en question. Je me suis concentré sur d'autres dossiers où je pourrais avoir un impact, comme la déréglementation des télécommunications. Et chaque fois qu'il y avait une importante annonce de BS d'entreprises à faire, je demandais à un de mes collègues de la faire pour moi. Ils pensaient que je leur faisais une faveur. L'inverse était vrai.
Ce n'était pas très bien reçu lorsque j'exprimais publiquement mes doutes. Certains se souviendront peut-être qu'en 2010, j'ai rompu publiquement avec mes collègues de la région de Québec qui poussaient notre gouvernement à subventionner un nouvel amphithéâtre sportif dans la ville. Ils avaient décidé d'appuyer ce projet populaire pour... quoi au juste ? Achetez des votes évidemment. Ils étaient furieux contre moi. Je pourrais mentionner le renflouement de Bombardier et de nombreux autres cas semblables.
Bien sûr, le plus flagrant exemple de prise d'otage politique est l'influence ridicule que le petit lobby de la gestion de l'offre des produits laitiers, de la volaille et des œufs a réussi à exercer sur tous les partis politiques et tous les politiciens au Canada. Devrions-nous être surpris qu'il y avait 25 lobbyistes au congrès conservateur à Halifax le week-end dernier?
Au-delà de l'importance de cette question dans le cadre des négociations de l'ALÉNA, la raison pour laquelle j'ai tellement insisté sur la gestion de l'offre, c'est qu'il s'agit d'un test décisif: si vous vous laissez manipuler par un si petit cartel, comment pourrez-vous résister à d'autres groupes d'intérêts et prendre les bonnes décisions pour tous les Canadiens ? Vous n'y arriverez tout simplement pas.
Voilà ce qui me préoccupe depuis 12 ans: comment concilier mon désir de servir le public avec une dynamique politique entièrement dominée par des stratégies visant à courtiser les groupes d'intérêts et à acheter des votes. Les conservateurs jouent à ce jeu autant que les libéraux, même si cela contredit directement les principes de libre marché et de gouvernement plus petit que le parti prétend défendre.
Comme je l'ai dit lorsque j'ai démissionné, j'en suis venu à la conclusion que le Parti conservateur ne peut être réformé et que si je veux faire de la politique autrement, je dois le faire ailleurs.
Comment vais-je y arriver ? En inversant systématiquement la dynamique décrite par la théorie des choix publics. C'est-à-dire, en prenant des positions basées sur des principes auxquels je crois et qui correspondent à ce que j'estime être l'intérêt public ; et en résistant aux pressions exercées par les groupes d'intérêt en quête de faveurs, malgré le coût politique à court terme.
Je reconnais que c'est un pari risqué. Cela explique certainement pourquoi aucun de mes collègues du caucus ne s'est joint à moi. Mais les gains pour les Canadiens pourraient être énormes.
Et ce qui me donne de l'espoir, c'est qu'avec l'Internet, il est maintenant beaucoup plus facile et moins coûteux de trouver de l'information pertinente et de se mobiliser autour d'un enjeu. Un petit groupe de citoyens motivés peut potentiellement avoir autant d'influence qu'un groupe de pression dépensant des millions de dollars.
Je sais que beaucoup de Canadiens en ont assez de la politique traditionnelle. Nous verrons si suffisamment d'entre eux seront prêts à me suivre.