Portrait de candidat : un péquiste dans la forteresse déchue

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Borduas peut-il redevenir péquiste ?

Pendant la campagne électorale, je suivrai un(e) candidat(e) de chacun des quatre principaux partis politiques pendant 1h30. Pendant ce laps de temps, ils sont libres de m’emmener là où ils veulent, qu’il s’agisse de porte-à-porte, d’activités publiques ou de tournée des bars, ou dans tout autre événement me permettant de prendre le pouls de l’électorat de la circonscription en question. Nous y découvrirons une belle diversité tant dans les options politiques que dans les réalités locales du Québec.


J’ai accompagné, cette semaine, le péquiste Cédric Gagnon-Ducharme, qui brigue les suffrages dans Borduas. La semaine prochaine, ce sera au tour du caquiste Sylvain Lévesque, candidat dans Chauveau. La semaine dernière, nous avions débuté l’exercice avec la solidaire Viviane Martinova-Croteau.


Cédric Gagnon-Ducharme est avocat. Il est actuellement en congé sans solde pour le temps de la campagne électorale. Les lecteurs du Journal le connaissent, car il a fait le Sac de chips non pas à une, mais à deux reprises (iciet ici).


Sur ses affiches, on peut lire Cédric G-Ducharme. Un jeu de mots amusant, mais qui n’est pas pour autant un coup de marketing. Lorsqu’il faisait confectionner ses cartes professionnelles, il était clair qu’il n’y aurait pas de place pour son nom au complet. Ne voulant pas choisir entre son père et sa mère, G-Ducharme a été le compromis.


Sur la Rive-Sud de Montréal, Borduas est (était?) une forteresse péquiste, ayant été représentée par les personnages marquants de la politique québécoise qu’étaient Jean-Pierre Charbonneau, Pierre Curzi et Pierre Duchesne. Le comté est composé de nombreux « villages patriotes », où l’attachement à l’Histoire est d’une grande importance. Borduas a résisté à toutes les vagues... sauf la dernière.


En 2014, Pierre Duchesne a été défait par moins de 100 votes. Ce dernier était pourtant un des ministres les plus en vue du gouvernement de Pauline Marois. Selon Cédric, qui fait la promotion de l’indépendance du Québec dans son porte-à-porte, ce n’est pas l’option souverainiste qui a causé la débandade du parti. Pour l’actuel candidat péquiste, de nombreuses zones péquistes se sont réfugiées dans l’abstention pour protester contre la décision de la première ministre de déclencher des élections anticipées. « La CAQ n’a pas gagné Borduas, le PQ l’a perdu », résume-t-il, ajoutant aussi que « le caquistan, ça n’existe pas ».


Allons donc voir comment le candidat péquiste compte faire redonner à sa formation politique sa forteresse déchue.


J’ai rejoint Cédric à la porte du local du groupe L’Essentielle, un organisme communautaire et coopératif venant en aide aux femmes en difficulté et facilitant leur réseautage. « Ça c’est très bien passé », me dit-il à propos de la rencontre qui venait de se terminer. Il était alors accompagné de Lucie Deslauriers, militante péquiste depuis 1970, qui estime que Cédric est de la trempe des grandes figures de l’âge d’or du Parti québécois : « Il est extraordinaire. J’en revenais pas. Il est fantastique ! ».


Cédric affronte cependant Simon Jolin-Barrette, un des visages les plus notoires de la CAQ, très actif dans les médias nationaux et les journaux locaux. Attention, me dit Cédric : « Ce n’est pas parce que tu octroies des 200 et 300 $ de façon ponctuelle à des organismes communautaires que tu fais nécessairement avancer des dossiers. Il n’est pas si connu que ça. »


Nous débutons tout d’abord notre périple au salon de quilles L’Entracte, où le candidat a beaucoup de souvenirs de jeunesse, et qui est situé dans la partie « patriote » de Beloeil. En début d’après-midi, beaucoup de gens étaient là, principalement des retraités. L’échange cocasse du moment est survenu quand Cédric s’informait sur les résultats d’un des participants, précisant qu’il avait fait 85 – un score médiocre – la dernière fois qu’il a joué. « J’espère que tu vas être meilleur que ça en politique ! », lui répond l’homme. Nous l’avons tous trouvé bien drôle.


Ce lieu était fréquenté de beaucoup de péquistes. Mais pas seulement. « Y a juste un problème le Parti québécois, c’est le chef », dit une dame. Elle poursuit : « Moi là y aura jamais mon vote, je l’haï (sic) pour le tuer. Moi je suis pas capable. Je l’aimais pas quand il était journaliste, je l’aime pas plus là ». Il faut dire que ce cœur était destiné à être bien difficile à conquérir, car la dame n’a voté qu’une seule fois pour le PQ, dans le temps qu’il était dirigé par le seul chef qui lui inspirait confiance, « celui qui avait la jambe coupée là... ».


L’accueil était très positif, et les gens étaient très contents de pouvoir faire part de leurs préoccupations au candidat péquiste, jusqu’à ce que nous tombions sur le président de la ligue de bowling, qui nous demanda de partir : « Je sais qui tu es, je sais de quel parti. Si vous étiez passés par moi au début vous seriez partis ». Ce monsieur avait beau prétendre qu’il rejetait le principe même de sollicitation politique dans son club, c’était difficile à croire. Rouge de colère jusqu’à en trembler, il paraissait évident que son abusive hostilité était avant tout destinée à l’option politique défendue par Cédric. Pousse, mais pousse égal, bonhomme !


Il est un peu particulier de constater que bon nombre de citoyens ne veulent pas être dérangés. Ce n’est jamais le bon moment. Les gens préfèrent-ils la clip de 30 secondes à la télévision à l’échange direct avec les politiciens ?


Nous sommes ensuite entrés dans la voiture écolo du candidat pour aller sillonner un nouveau développement de Beloeil. Ce Borduas n’est nettement plus celui de Charbonneau, de Curzi et même de Duchesne.


Ce type de secteur est peuplé de chantiers et de maisons en construction, et émane d’un dézonage agressif sur des terres parmi les plus fertiles du Québec. Nous avons d’ailleurs parcouru une rue qui n’existait même pas il y a deux ans. Un résident installé ici il y a 5 ans à peine nous racontait que, lors de son installation, ce n’était pas du béton qu’il voyait dans sa cour arrière, mais le champ de maïs. C’est dire à quel point la transformation socio-économique du coin est prompte. 


Il y a là un cercle vicieux : les municipalités ont besoin de recettes fiscales, et construisent ainsi des maisons pour prélever de nouvelles taxes. Mais, ensuite, il faut des services pour ces nouveaux secteurs, donc plus de taxes, de maisons et de constructions... Une spirale sans fin.


Nous avons tout d’abord croisé une jeune mère qui avait bien peu de temps à nous consacrer, devant aller chercher sa fille à l’école. « Je te dirais qu’on ne vote pas pour toi, mais bonne chance ! », ajoutant qu’elle avait toujours voté pour la CAQ, bien que le parti ne soit une option sur le bulletin de vote que depuis 2012.


Cette rencontre fait-elle mentir le candidat péquiste, qui croit que le caquistan n’existe pas ? Pas vraiment. Il y a, effectivement, outre cette exception confirmant la règle, très peu d’électeurs caquistes fermes. Le vote caquiste ne ressemble en rien au vote libéral du West Island ou au vote péquiste des quartiers francophones de Montréal, où l’adhésion partisane est presque un marqueur identitaire.


Mais il existe néanmoins des poches d’électorat taillées sur mesure pour la CAQ. Le citoyen rencontré tout de suite après en fait foi. Celui-ci en avait nettement marre de l’État, ce qui l’amenait à croire en la supériorité du secteur privé. Alors que Cédric lui parlait des CPE, l’électeur le questionnait sur les garderies privées. Le CPE d’à côté est plein, avec une liste d’attente excessive, forçant le jeune père à privilégier d’autres options. En réponse à ses complaintes quant aux routes congestionnées, Cédric lui répond qu’il faut favoriser le transport en commun et le covoiturage, et que la création de voies supplémentaires ne fera que reporter le problème à plus tard. « Dans un an, tu vas revenir me voir et tu vas me dire qu’elle est bloquée ». « Il y a trop de fonctionnaires », lance, pour finir, l’électeur.


C’est là tout le paradoxe d’un État qui a converti ses services publics à la logique du privé, en plus de couper dans les ressources de plusieurs d’entre eux. L’utilisateur se plaint ensuite de son inefficacité et développe une foi irrationnelle envers le privé. Ce dernier voudra ensuite faire confiance aux politiciens promettant de couper dans le nombre de fonctionnaires, renforçant encore plus le dysfonctionnement des services, et ainsi de suite.


Dans ces coins de sa circonscription, le candidat péquiste rame à contre-courant. Il aura une grande mission pédagogique à accomplir et de nombreux préjugés à renverser. En sera-t-il capable ? « G-Ducharme », me répondrait-il sans doute...


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).