À paraître à l’automne

Paul Desmarais et Albert Frère – Un duo d’enfer

Maîtres incontestés de l’influence politique

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Le temps vire à l'orage

La sortie de Pierre Karl Péladeau sur sa page Facebook hier matin->https://www.facebook.com/pierre.karl.peladeau.stjerome?fref=nf ] pour dénoncer les nombreux conflits d’intérêts de Power Corporation et l’absence de transparence dont elle fait preuve à ce sujet dans les médias qu’elle contrôle, et les réactions qu’elle suscite ([Péladeau s'en prend à Power Corporation et Ah, ce fameux jupon !, me fournissent une excellente occasion pour vous annoncer la transmission à mon éditeur européen ces jours derniers du manuscrit de mon dernier ouvrage « Paul Desmarais et Albert Frère – Un duo d’enfer » dont le titre résume à lui seul l’essence de mon propos.

Comme je le souligne dans mon introduction, les personnages de cette saga seraient sans intérêt si ce n’était de l’influence qu’ils sont parvenus à acquérir en sous-main et à exercer à leur bénéfice, au détriment du bien commun.

Intéressé par mon ouvrage « Paul Desmarais - La Dépossession tranquille » paru en 2012, cet éditeur m’a demandé si je pouvais le reprendre, le mettre à jour et l’adapter pour le marché européen en y intégrant l’information disponible sur Albert Frère, le partenaire belge de Paul Desmarais, de façon à mettre encore plus en relief le « modus operandi » des deux hommes pour bâtir leur empire financier, des deux côtés de l’Atlantique.

La matière étant abondante et les exemples criants, je n’eus aucune difficulté à répondre à sa demande. L’ouvrage sera d’abord lancé en Europe à la rentrée de septembre, puis au Québec vers la mi-octobre ou le début de novembre pour coïncider avec le Salon du livre de Montréal.

Limité par mes obligations contractuelles sur la quantité de texte que je peux dévoiler avant la parution de l’ouvrage, j’ai choisi de partager avec vous la conclusion, que voici :

Conclusion, puisqu’il en faut une

Le duo Desmarais-Frère est parvenu à constituer en trente-cinq ans un véritable empire financier établi sur trois continents, l’Amérique du Nord, l’Europe, et l’Asie où il n’est présent qu’en Chine. Ce résultat fait impression jusqu’à ce qu’on en découvre la fragilité et la vulnérabilité. Tout au long de cet ouvrage, je me suis appliqué à les mettre en relief.

La pire de ces vulnérabilités tient aux avantages qu’il tire de ses relations avec le pouvoir politique. Au-delà d’un certain point critique qui semble avoir été atteint autant au Québec qu’en France, il n’est plus possible d’échapper au regard critique des populations touchées par ses activités, quel que soit le contrôle qu’on puisse avoir sur les médias. L’information filtre, et tout effort pour l’endiguer devient lui-même suspect tout en prenant rapidement figure de preuve à charge.

En période de prospérité, ces affaires sont vite oubliées. La situation change cependant du tout au tout en période de vaches maigres, et pour peu que celle-ci se prolonge, le peuple se met à rechercher des symboles et des responsables de l’aliénation qu’il ressent. C’est la dynamique bien connue des révolutions.

Cela fait maintenant huit ans que nous vivons une crise mondiale de la croissance. Les pouvoirs publics ont commencé par en nier l’existence, ils ont ensuite tout fait pour l’occulter, et ils n’y parviennent plus. Ils savent depuis le début quelle sera l’issue s’ils ne parviennent pas à la juguler, et depuis le début, ils redoutent de voir les populations descendre dans la rue. Tous les mensonges y sont donc passés.

Vient toutefois un moment où le mensonge n’est plus possible, non par manque de menteurs, mais parce qu'il n'y a plus personne pour y croire, ni aux mensonges, ni aux menteurs. C’est le moment le plus dangereux pour des empires comme celui du duo Desmarais-Frère. La vindicte populaire est à la recherche de têtes à couper, et la leur dépasse.

Et quand même le Pape se met de la partie en dénonçant l’argent comme « l’excrément du diable » et en lançant un appel ouvert « à la révolution, économique, sociale, et politique » comme il vient de le faire dans l’encyclique « Laudato si », nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que le temps vire à l’orage.

C’est, pour un empire comme celui du duo Desmarais-Frère, le risque moral. Dans le sens de jugement moral qui risque d’être porté sur ses activités et dont ses dirigeants et représentants sont susceptibles d’avoir à répondre.

Mais ce n’est pas tout.

Toute la construction de l’Empire Desmarais-Frère est basée sur la prémisse de la mondialisation, c’est à dire sur la base de la disparition des barrières tarifaires et douanières, des frontières et de toute entrave à la circulation des personnes, du capital et des biens, et le fait est que ce scénario est venu bien près de se matérialiser.

On constate toutefois depuis quelques années que les nouvelles percées dans la réalisation de ce scénario sont de plus en plus difficiles, et que même certains gains (dans la perspective des oligarchies comme celle qu’il constitue) risquent désormais d’être remis en question.

Le libre-échange a fait long feu, et apparaît de moins en moins comme le remède à tous les maux de l’économie que comme leur source principale. Qui a pu penser un seul instant que la financiarisation de l’économie dans les pays développés allait pouvoir générer la même richesse, et plus encore, que les activités industrielles qu’elles allaient remplacer ? Comment une activité économique qui en est essentiellement une de change, de commission, et de levier financier, peut-elle créer de la richesse ? A-t-on confondu « enrichissement de certains » avec « création de la richesse » ?

En attendant, les activités industrielles ont été délocalisées, et leur plus belle contribution à l’économie, les classes moyennes, réservoir précieux de richesse redistribuée, se sont dissoutes dans leur sillage en éprouvant un profond sentiment d’éviction. Se retournant vers les États pour leur demander secours et protection, leurs ombres portées ont la surprise de découvrir que ceux-ci, éviscérés par des cures répétées d’optimisation des processus de gestion et d’austérité budgétaire, ne sont plus que l’esquisse impuissante de ce qu’ils étaient. La Nation, constituée de ceux avec lesquels une population se sent capable de se solidariser et de partager, s’impose alors comme le dernier recours pour les peuples qui sont parvenus à conserver une base identitaire commune suffisamment forte pour affronter les tempêtes.

Et c’est ainsi que les empires comme celui de notre duo d’enfer se retrouvent devant le dragon qu’ils croyaient être parvenu à terrasser, l’État-Nation, qui renaît sous leurs yeux incrédules et rétablit les barrières à l’intérieur desquelles il va pouvoir créer de la richesse, non pas à leur avantage exclusif, mais à celui de toute la population, eux y compris s’ils veulent en être.

La troisième menace qui guette l’Empire Desmarais-Frère est celle du niveau auquel ses participations l’ont élevé. Avec TOTAL, il se retrouve dans la cour des Grands, coincé entre les enjeux de l’industrie pétrolière, le destin particulier de l’entreprise et les rivalités de ces grandes puissances que sont les États-Unis, la Russie et la Chine. La situation est déjà difficile pour un État comme la France, mais celle-ci a beau avoir perdu du lustre, elle a tout de même des moyens que n’a pas l’Empire Desmarais-Frère.

Quand « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », il est facile pour les dirigeants d’une entreprise de prétendre qu’ils partagent les mêmes intérêts que la France, comme l’a fait le duo Desmarais-Frère, mais quand arrive le temps de décider s’il est prêt à encourir les foudres de Washington parce que TOTAL fait « copain-copain » avec Poutine, la liste de ses intérêts partagés avec la France rétrécit soudain aux dimensions d’une peau de chagrin.

Il ne faut donc pas se surprendre que l’Empire Desmarais-Frère soit en train de réduire sa participation dans TOTAL comme nous l’avons appris dans le chapitre consacré à ses activités dans l’or noir. C‘est d’ailleurs la chose la plus sensée à faire dans les circonstances.

À un moindre degré, sa participation dans ENGIE (GDF Suez) est également problématique. Son intérêt repose en grande partie sur ses perspectives de croissance et de rentabilité. Il est évident que si le Québec devait privatiser Hydro-Québec, ENGIE serait bien placée, tant par son expertise que par sa surface et ses alliances financières, pour récupérer les plus beaux morceaux. Mais si ce ne devait pas être le cas, et si, à l’échelle internationale, la privatisation des services publics d’électricité et de gaz devait marquer le pas ou même reculer pour des raisons de conjoncture économique ou politique, la participation de l’Empire dans cette entreprise pourrait au mieux perdre de son intérêt, et au pire devenir la source de pertes importantes.

Reste enfin le risque système. En effet, très présent dans le secteur des services financiers, l’Empire Desmarais-Frère est à la merci des aléas du marché. En 2008, le titre Power Corporation avait perdu près de 40 % de sa valeur. S’il fallait qu’une correction sévère survienne sur les marchés, la perte pourrait être encore plus grande. Sans savoir si, et de quelle façon, ses filiales de services financiers se sont préparées à cette éventualité qui ne constituerait aucunement une surprise, il est futile de pousser la réflexion plus loin, mais il est certain que le coup ferait mal compte tenu de l’agressivité de Power dans l’utilisation de l’effet levier. Quand ça va bien, ça va très bien, mais quand ça va mal, ça va très mal.

Avec ce qui précède, le lecteur comprend sûrement mieux le sens de mon entête de conclusion. La saga de l’Empire Desmarais-Frère ne s’achève pas avec le dernier mot de ce livre. Peut-être même ne fait-elle que commencer...


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12 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juillet 2015

    «Et quand même le Pape se met de la partie en dénonçant l’argent comme « l’excrément du diable » et en lançant un appel ouvert « à la révolution, économique, sociale, et politique » comme il vient de le faire dans l’encyclique « Laudato si », nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que le temps vire à l’orage.» Merci pour votre travail M. Le Hir. Continuez...
    Powercorp. a détruit le Québec. L'Église catholique - l'épiscopat du Québec - se sont fait leurs idiots utiles. SVP lire le texte suivant.
    ***Le cardinal Turcotte ou comment gérer la mort de l’Église (texte intégral)
    http://www.egards.qc.ca/?p=3532

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juillet 2015

    Merci M. Le Hir pour les précisions...
    Donc si je fais "du pouce" sur vos réponses.. PowerCorp pourrait donc perdre des plumes importantes financièrement parlant.
    Ce qui me fait penser à 2 choses sur PowerCorp-Gesca:
    1- N'est il pas vrai que présentement le projet LaPresse+ est un four financier. Des rumeurs laissent entendre que Gesca perd 10 millions de $$$ par mois. Selon vois sources, est ce plausible???
    2-Si le PQ était au pouvoir majoritaire aujourd'hui, il serait en position pour faire encore plus mal à PowerCorp en coupant toutes les sources de revenus et/ou de financement du Qc via par exemple à Caisse de Dépôt/placement du Qc et à Hydro Québec???
    Merci de me répondre. Je me doute bien que ces questions peuvent intéresser vos lecteurs :)

  • @ Richard Le Hir Répondre

    6 juillet 2015

    Réponse @ Luc Ménard
    1. Un empire comme celui-là ne « pète » pas du jour au lendemain. mais dans certaines conditions, il peut perdre du lustre. Les conditions sont désormais réunies pour que cela se produise.
    2. Vient un moment où les intérêts d'État l'emportent sur les amitiés entre dirigeants . Total a nui aux intérêts pétroliers américains, et l'État américain va chercher à se reprendre en trouvant un moyen de lui imposer une pénalité de plusieurs milliards de dollars , comme il l'a fait à une grande banque française il n'y a pas si longtemps, même si la France est une alliée des États-Unis.
    Richard Le Hir

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juillet 2015

    Intéressant texte qui laisse toutefois quelques questions sans réponses. En voici 2:
    .
    Etes vous en train de dire que Power Corp?
    1- Pourrait avoir de gros problèmes financiers, au point de "péter"?
    2- et ses accointances avec la Russie de Poutine et la Chine pourraient subir les foudres des USA? ( Ce qui m’apparaît impossible compte tenu des liens entre le Bush et les Desmarais)
    Je terminerai en disant que PKP chef du PQ va faire renaitre un nouveau projet indépendantiste tout en refondant le PQ.
    Il est l'archétype du politicien non professionnel et juste ca...c'est un signe d'un vrai changement de paradigme qui est hyper rafraîchissant, mobilisant, encourageant et GAGNANT.
    Comme dans toute bonne télé-réalité...j'ai déjà hâte au prochain épisode...de PKP

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juillet 2015

    @M.Haché:
    PKP ne fait pas que répondre. Il passe carrément à l'attaque. Avec l'affaire Porter, c'est Couillard qui se retrouve maintenant à la défensive, et qui patine maladroitement pour ne pas avoir à répondre de ses amitiés passés.
    N'est-ce pas Confucius qui disait que la meilleure défense est l'attaque?

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juillet 2015

    P.K.P. contre les Desmarais et leur nébuleuse, c'est David contre Goliath; mais au final c'est David qui s'empare de la victoire, et ce, de façon éclatante.
    Vive le Québec libre!

  • Marcel Haché Répondre

    5 juillet 2015

    P.K.P. répond aux sales lorsqu’il faut leur répondre.
    C’est ça la nouveauté du nouveau chef péquiste – il répond – un nouveau chef qui, par ailleurs, ne recherche pas l’humiliation simplement pour passer à la télévision de Radio-Tralala, inféodé aux partis pancanadiens, notamment le N.P.D.
    À Gilles Duceppe d’en faire autant ! Répondre ! Répondre poliment, bien sûr, selon ce qu’il est. Mais aussi selon ce qu’il a appris au football…Il se trouve à cet égard que les indépendantistes sont dans la situation d’avoir échappé le ballon. Ne vont pas le reprendre en étant seulement polis…
    Et cela précisément, et d’autant plus… que Gilles Duceppe été sali par des sales à Ottawa, lorsqu’il devint faible politiquement. Radio Tralala comptait bien l’enterrer définitivement, Nous tous et tout le Bloc avec lui, en faveur du N.P.D…
    La Game n’est pas finie… Vigile frappe sec. Merci Richard Le Hir.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juillet 2015

    M. Le Hir, bravo, et merci pour votre travail acharné, il portera fruit.
    Vous semblez être un visionnaire et je m'en réjouis.
    Il y a de ces choses que le public a le DROIT et le BESOIN de savoir.
    C'est d'ailleurs ce que semble avoir compris Péladeau.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    4 juillet 2015

    Et le plus jouissif pour Nous, Québécois, souvent terrorisés par les épithètes avoisinant le nazisme, parce que nationalistes, c'est de constater que PKP, qui proclame sa volonté de faire du Québec un pays, ne se laisse pas intimider par les sbires de Couillard. Il démontre bien que quand on pointe un index accusateur vers lui, il y a quatre autres doigts qui pointent l'accusateur lui-même.
    L'assurance désintéressée de notre nouveau chef indépendant de fortune et aguerri aux manoeuvres des affaires se montre contagieuse pour le nouveau chef du Bloc Québécois, au discours de plus en plus déterminé à pousser ce nouveau cycle de l'indépendantisme québécois. Ce dernier rallie de plus en plus l'ensemble du mouvement libérateur: on connaît de mieux en mieux les coûts sociaux, politiques, économiques et moraux de notre maintien dans la réserve canadienne. Ces leaders éclairés ramèneront bientôt l'électorat vers notre résistance aux peurs canadian, grande répétition pour le prochain enjeu au Québec.

  • Gélinas Claude Répondre

    4 juillet 2015

    Le plus surprenant c'est qu'en plus de tirer les ficelles, ces financiers sont décorés par l'État : grand chevalier pour les uns, médaillés pour les autres. Pour les décideurs politiques il ne faut surtout pas mordre la main qui les nourrit. Drôle de système d'aplaventrisme face au pouvoir financier.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juillet 2015

    Belle synthèse ! Merci M. Le Hir.
    On nous enterre sous des tonnes d'informations et nos journalistes sont incapables de nous informer correctement. Bien sûr, il nous appartient de faire le tri, mais ce n'est pas toujours évident, même si nous savons qu'il y a anguille sous roche.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2015

    Bravo Monsieur Le Hir. Si les journalistes de la grosse Presse faisaient le quart du travail de vulgarisation que vous faites avec vos livres et vos articles dans Vigile.Québec, le monde de l'information se porterait mieux au Québec.