Passer l’été à gauche

Livres - revues - arts - 2012


Cet été, entre deux séances de martelage de casseroles — ce qui vaut mieux, on en conviendra, que du matraquage de manifestants —, les percussionnistes improvisés qui en ont soupé des politiques de droite qu’on nous impose au nom du réalisme voudront probablement se redonner des forces en lisant des ouvrages qui, au-delà des slogans, expliquent les raisons de leur colère. Voici, pour eux et pour ceux qui ne les comprennent pas encore, un petit programme de lecture orienté à gauche, composé d’essais québécois publiés depuis septembre dernier.
Je l’ai écrit en février dernier et je le répète : si vous n’avez qu’un ouvrage à lire cet été, que ce soit Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments (Stanké, 2012), de l’indispensable Jean-François Lisée. Ce livre est l’essai — clair, polémique et efficace —qu’attendaient tous les sociaux-démocrates du Québec pour pouvoir répliquer à leurs détracteurs. Non, démontre Lisée, le Québec n’est pas un enfer fiscal, n’est pas infesté de fonctionnaires, n’est pas victime de son syndicalisme et n’est pas sur le point de déclarer faillite. Non, continue-t-il, les Québécois n’ont pas un niveau de vie plus faible que leurs voisins et ne sont pas les quêteux de la fédération canadienne. Statistiques à l’appui, Lisée démolit allègrement les allégations chagrines de la droite québécoise et explique, au surplus, pourquoi le mouvement souverainiste n’a pas dit son dernier mot. Tout ça, simplement et lumineusement.
En guise de complément à l’essai de Lisée, il faut lire celui de son ami Stéphane Gobeil, Un gouvernement de trop (VLB, 2012). Conseiller de Pauline Marois, Gobeil s’est livré à un travail de moine en épluchant les comptes publics du Canada de l’année 2010. Sa démonstration manque un peu de fini, mais elle indique néanmoins que l’idée du fédéralisme rentable pour le Québec est bel et bien un mythe. Non seulement, démontre Gobeil, les Québécois ne se reconnaissent plus dans le Canada, mais ils en font les frais sur le plan économique. Pourquoi, dans ces conditions, s’encroûter dans cette union étouffante ?
Françoise David a peut-être hésité il y a plusieurs années, mais elle est partante, aujourd’hui, pour l’aventure du Québec souverain. Dans De colère et d’espoir (Écosociété, 2011), son beau « carnet » publié en novembre dernier, la co-porte-parole de Québec solidaire raconte son parcours de militante et elle redit, surtout, qu’elle « ne supporte plus l’indifférence et le silence des partis politiques face aux inégalités ». Françoise David incarne avec noblesse une gauche québécoise décomplexée qui refuse d’accepter l’injustice au nom d’un supposé réalisme. Un peu comme Madeleine Parent, elle combine la douceur d’expression et la détermination politique pour dire que le mépris n’aura qu’un temps.
Tonitruant sur la place publique, le regretté Pierre Falardeau n’était pas qu’un gueulard, mais aussi un artiste profond et tourmenté. La publication, en novembre dernier, d’Un très mauvais ami (Lux, 2011), sa correspondance avec le peintre néerlandais Léon Spierenburg qui était son ami, offre au lecteur l’occasion d’entrer dans la pensée intime du cinéaste. Viscéralement révolté devant l’injustice, Falardeau a fait de sa vie et de son oeuvre un engagement de tous les instants pour l’indépendance, non seulement celle de son peuple, mais aussi celle de tous les peuples entravés et celle de l’individu face aux pouvoirs écrasants. Dans son dernier scénario, Le jardinier des Molson (Du Québécois, 2012), il met en vedette des soldats québécois et sénégalais, sacrifiés sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale au profit de leurs exploiteurs coloniaux respectifs. S’il fallait résumer en quelques mots l’oeuvre de Falardeau, il faudrait retenir qu’elle fut un rugueux mais beau chant de libération.
On ne peut pas en dire autant de la majorité des films hollywoodiens qui occupent les écrans du monde entier. Dans Hollywood et la politique (Écosociété, 2012), l’écrivain et militant Claude Vaillancourt analyse plus de 150 de ces productions qu’il divise en trois catégories : le cinéma du statu quo, le cinéma du questionnement et le cinéma subversif. Il ne s’agit pas, pour l’essayiste, de rejeter en bloc le cinéma de l’empire, qu’il dit par ailleurs apprécier, mais d’offrir au cinéphile une grille d’analyse lui permettant de séparer le bon grain artistique et politiquement critique de l’ivraie propagandiste. Comme lecture d’été intelligente, cet essai original, solide et accessible est idéal.
Liliane est au lycée (Flammarion, 2011), l’essai de Normand Baillargeon sur la culture générale, l’est tout autant. « Est-il indispensable d’être cultivé ? », demande Baillargeon, quand on considère que la culture qui mérite le statut de « générale » n’est pas à l’abri de la critique ? N’est-elle pas, en effet, affectée de biais élitiste, sexiste et occidentalo-centriste ? C’est pourtant elle, explique Baillargeon, qui fournit les outils nécessaires à sa propre critique. Pour critiquer la culture générale, en d’autres termes, il faut en avoir. C’est elle qui élargit « l’éventail des possibles entre lesquels il nous est possible de choisir et de nous choisir et contribue ainsi à forger à la fois notre identité et notre autonomie » ; c’est elle, encore, dans ses versions artistiques et littéraires, qui contribue, « par la culture de l’imagination, à l’extension de la sympathie et à briser ces barrières qui interdisent de voir l’Autre comme un être humain ». La culture générale, explique simplement et justement Normand Baillargeon, humanise et libère.
Même s’ils se réclament d’un conservatisme plus identifié à la droite qu’à la gauche, l’historien Éric Bédard et le sociologue Mathieu Bock-Côté partagent ce dernier constat. Le premier dans Recours aux sources (Boréal, 2011) et le second dans Fin de cycle (Boréal, 2012) invitent les Québécois à renouer avec leur mémoire longue, c’est-à-dire canadienne-française, pour raffermir leur identité québécoise qui, disent-ils, ne se résume pas au progressisme social-démocrate. Mê-me en faisant le choix de passer l’été à gauche, il n’est pas interdit de lire ces essayistes de haut vol, par ailleurs brillants stylistes, tant il est vrai que le dogmatisme, peu importe sa couleur, demeure détestable.

louisco@sympatico.ca
***





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->