Pas trop vite la maternelle 4 ans!

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Le régime libéral en pleine panique électorale

Le gouvernement libéral, à quelques mois des élections, impose la pédale au plancher pour le développement des maternelles 4 ans. Mauvaise idée.


Le ministre Sébastien Proulx n’a jamais caché qu’il aimait bien la formule « maternelle 4 ans ». Et pour la faire accepter des intervenants en petite-enfance, il aime bien se targuer que la maternelle 4 ans est en complémentarité des services déjà en place. Comme les CPE par exemple.


Sur le terrain, la situation n’est pas toujours si évidente. En annonçant, à 10 semaines de la prochaine rentrée scolaire, l’implantation de 111 nouvelles classes de maternelle 4 ans au Québec, le Parti libéral s’assure de laisser sa marque – et sa préférence – alors que l’analyse des études réalisées spécifiquement sur l’environnement de développement de ce groupe d’âge précis recommanderait plus de retenue.


Le meilleur environnement pour les bouts d’choux de 4 ans?


Plus tôt cette année, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx s’est fait remettre le premier projet de recherche dont le mandat visait spécifiquement « à examiner la qualité de l’environnement préscolaire en maternelle 4 ans et sa contribution potentielle à la préparation à l’école chez des enfants en milieux défavorisés. »


Ce projet de recherche fut mené par la chercheuse Christa Japel de l’UQAM, épaulée par plusieurs autres intervenants du milieu de la petite-enfance, c’est l’analyse approfondie de plus de 300 enfants de ce groupe d’âge qui a été observé.


Bien que limitative, cette recherche demeure un outil essentiel pour comprendre les limites, les écueils, les échecs et les possibilités qu’offre l’environnement scolaire de la maternelle 4 ans.


Ce qui étonne, c’est que le ministre n’ait retenu que ce qui lui permettait de développer l’instauration de ce modèle sans, au préalable, s'assurer de corriger les lacunes identifiées des classes déjà en place.


Les conclusions des chercheur(se)s sont pourtant limpides, sans ambiguïtés. Extraits :


« Nos résultats indiquent que l’intensité et la qualité des maternelles 4 ans ont très peu d’effet sur la préparation à l’école et, ainsi, ne réduisent pas de façon significative l’effet des conditions sociodémographiques des enfants sur leur préparation à l’école. [...]


La performance cognitive et comportementale des enfants au début de la maternelle 4 ans et leur progrès au cours de cette année scolaire sont associés à des facteurs individuels et familiaux. Les diverses expériences préscolaires ne semblent pas mieux préparer les enfants à la maternelle 4 ans, et la qualité de l’environnement éducatif étant généralement faible, celle-ci ne contribue pas significativement au progrès des enfants. [...]


La qualité de l’environnement éducatif est généralement très basse avec des lacunes marquées en ce qui a trait au mobilier et à l’ aménagement des lieux, aux soins personnels, à la stimulation du langage et du raisonnement, aux activités offertes, aux interactions et à la structure du service. »


Afin de comprendre l’ensemble du contexte de recherche, le lecteur pourra consulter le document en entier ici.


En entrevue ce midi avec Michel C. Auger, le président de la Fédération des Commissions scolaires du Québec (FCSQ) Alain Fortier a d’ailleurs été questionné de façon très pertinente par l’animateur quant à  savoir si un « bilan avait été fait sur l’instauration des maternelles 4 ans depuis leur instauration en 2013 ».


La réponse du président de la FCSQ n’a pas été très convaincante : 


« De ce que j’en comprends, il y a une table nationale qui va être mise en opération, présidée par Mme Brodeur, qui va regarder la création du cycle de préscolaire. »


Ah? Gros chantier à annoncer à quelques mois des élections. Revoir le « cycle du préscolaire ». C’est-à-dire, quels groupes d’âge y inclure. M. Fortier citait l’exemple de la Belgique pour qui le cycle préscolaire englobe les 3-4-5 ans.


Cette « table » aurait-elle le mandat d’explorer la possibilité d’une nouvelle définition du cycle préscolaire? Sans doute pas puisque si l’on se fie à ce que M. Fortier ajoute en cours d’entrevue, la chose semble déjà entendue : « nous on va créer un cycle 4-5 ans. Et c’est là que les enjeux éducatifs vont prendre davantage forme pour qu’il y ait une continuité entre les CPE, le préscolaire et le primaire. »


Dans cette optique, du moins en est-ce ma compréhension, le nouveau cycle préscolaire pourrait bien gober, à terme, le groupe d’âge 4 ans pour l’inclure au sein du cheminement conventionnel de l’enfant.


Et pourtant, lorsque questionné par l’animateur à savoir si le réseau des maternelles 4 ans a fait ses preuves et si l’on est en mesure d’établir que c’est un « plus » par rapport à être dans un CPE, M. Fortier établit cette fois que le but des maternelles 4 ans n’est pas de remplacer les CPE. Que ce but serait de permettre à des enfants qui n’ont pas accès à des services éducatifs existants de bénéficier d’un contexte de stimulation intellectuelle et sociale propice à leur développement.


L’intention est noble, mais sur le terrain, ça ne se passe pas toujours comme le présentent certains partisans de l’instauration des maternelles 4 ans.


Maternelle 4 ans et CPE, lequel favoriser?


Une question se pose. Que fera-t-on quand, dans un milieu en particulier, la maternelle 4 ans et le CPE se trouveront en situation où ils se disputent la même clientèle? Cette situation existe. En voici un exemple dont j’avais traité à pareille date l’an dernier dans le cadre d’une chronique à Radio-Canada.


Dans la région de la Petite-Nation en Outaouais, j’ai eu la chance de discuter à maintes reprises avec l’une des pionnières de la mise en place du réseau local des CPE, madame Yvette Sanscartier, ex-directrice générale du CPE de la Petite-Nation. Mme Sanscartier revendique plus de 37 ans dans le milieu des garderies institutionnelles, elle qui a pris sa retraite l’été dernier; une observatrice crédible du réseau, du milieu en général.


Selon elle, il ne fait aucun doute que le gouvernement libéral cherche à « sortir les 4 ans du réseau des CPE ». Elle m’expliquait lors de notre dernière entrevue que depuis quelques années, la subvention versée par le ministère aux CPE pour l’accueil d’un enfant de 4 ans avait sans cesse diminué. De l’autre main toutefois, le ministère a délié les cordons de la bourse afin de développer le modèle parallèle. Celui des maternelles 4 ans. Pas toujours en complémentarité. Loin de là.


Ce qui irrite le plus les intervenants en milieu des CPE que j’ai rencontrés au cours des derniers mois, c’est justement la prétention que l’instauration des maternelles 4 ans se fait en complémentarité des autres milieux, surtout des CPE :


« Les administrateurs des classes de maternelle 4 ans ont accès à nos listes et comblent leurs classes que les enfants soient de milieux défavorisés ou pas. Tout le monde sait ça! »


Dans les faits, selon divers témoignages que j’ai recueillis auprès d’intervenants en CPE, les commissions scolaires remplissent leurs classes de maternelle 4 ans sans égards à la considération socioéconomique de l’enfant ni à savoir si cela pouvait se traduire par un manque à gagner pour le réseau des CPE.


Dans un milieu comme la Petite-Nation, cela se traduit par des groupes de 4 ans qui seront de plus en plus difficiles à combler en CPE. « Pour la première fois de notre histoire, nous rencontrons de la difficulté à combler nos places dans ce groupe d’âge », m’avouait madame Sancartier lors de notre dernière entrevue.


Et si l’on prenait un pas de côté afin de mieux évaluer, afin de dresser un bilan complet de l’instauration des maternelles 4 ans dans le contexte actuel. On ajoutera à la réflexion les études menées par des spécialistes en la matière comme Christa Jappel.


Annoncer à la hâte, à quelques mois des prochaines élections, un grand déploiement de classes maternelles 4 ans en se fiant à la capacité des Commissions scolaires de tout ficeler en temps record, voilà une recette risquée. D’ailleurs, le président de la FCSQ ne l’a pas nié dans son entrevue avec Michel C. Auger. Sans dire que cela n’était pas faisable, M. Fortier a patiné pas mal pour en arriver à dire que les Commissions scolaires y arriveraient.


Mais agir dans la précipitation, par préférence idéologique en fin de compte, et en toute fin de mandat surtout, comme pour attacher les mains du prochain gouvernement, est-ce bien ce que l’on veut quand il est question de planifier ce qui est le mieux pour notre petite-enfance?