Ces derniers jours, on raconte que la commission Bastarache contribue une fois de plus à l'image négative que l'on se fait de la politique. Ceux qui méprisent la politique sont davantage exaspérés devant la dérive démocratique — en particulier par le pouvoir des riches, des groupes d'intérêt, des lobbies sur les gouvernants — et ceux qui ne s'y intéressaient guère ne s'y intéressent pas plus. Ce faisant, il n'est pas rare d'entendre que la population tourne le dos à la politique.
Cette généralité, qui souvent se fonde sur ce que l'on nomme l'opinion publique, doit être remise en question. Entité nébuleuse, comme le disait Baudrillard, l'opinion publique ne peut pas être celle des sondeurs, résultat d'une construction statistique. Il faudrait, pour créer une opinion publique, que tous les citoyens aient une opinion informée et raisonnée sur tous les sujets ou qu'ils soient sensibles au même sujet. D'autant que, lorsqu'il y a des sondages, de nombreux individus s'abstiennent de répondre ce qu'ils croient vraiment lorsqu'ils pensent que leur point de vue pourrait aller à l'encontre de celui qui prévaut.
Cela étant dit, je suis d'accord avec le fait que certains se désintéressent de la politique et que le témoignage de M. Bellemare devant la commission Bastarache alimente une culture de désabusement par rapport à la chose publique. Mais peut-on généraliser comme on le fait allègrement en ce moment? Car comment expliquer que des milliers d'étudiants s'ajoutent chaque année en septembre à ceux déjà inscrits en science politique dans toutes les universités québécoises? Ce ne sont quand même pas tous des recalés du programme de droit!
Faire «vrai»
La politique intéresse encore les citoyens membres de parti, tout comme les intellectuels et les citoyens dits «ordinaires». Néanmoins, on nous répète ad nauseam que l'opinion publique croit que la politique est un sujet ennuyeux, que les politiciens sont dans l'ensemble corrompus et que, dénués de toute intelligence (j'exagère ici), ils sont hypocrites, rusés et malveillants. Pour appuyer ces affirmations, et pour nous en convaincre, seuls les erreurs, échecs et grossièretés sont repris en boucle, afin de faire «vrai». Force est de constater qu'il y a un mutisme assourdissant en ce qui a trait aux réussites du gouvernement.
Il faut savoir que l'on nous apprend en science politique — et j'utilise le «nous» avec prudence ici, car lourd de sens — que l'opinion publique est un outil de persuasion et qu'elle est parfois instrumentalisée. Répéter constamment qu'il y a un désintérêt général pour la politique sert quelqu'un, quelque part. Or, l'idée n'est pas nouvelle. Comme Cyrène qui préférait le désengagement politique au temps de Socrate.
Déprécier la discipline
Si l'on nous bombarde chaque jour sur grand écran numérique HD, iPhone ou autres e-machins virtuels que l'Océania déclare la guerre à l'Estasia, on finira par le croire (voir à ce sujet Orwell, 1984). Il reste qu'à force de décrier la politique, c'est la discipline, tout comme le métier de politicien, qui est dépréciée, et c'est bien dommage. Il y a dans la politique une multitude de contextes, d'acteurs, de forces politiques et d'idées qui, si l'on s'y attardait plus longuement, nous feraient comprendre que l'esprit moral ne s'harmonise pas toujours avec les exigences de l'activité politique.
De même, certains comprendraient que la politique est une activité sociale complexe qui, fondée sur des relations de pouvoir conflictuelles, nécessite des compromis entre pouvoirs exécutif et législatif, mais aussi entre acteurs et groupes d'intérêt. Constamment, les élus sont sollicités par des citoyens, des groupes de pression, des mouvements quelconques ou des individus qui demandent sans arrêt des fonds ou des passe-droits pour ceci ou cela. Parmi eux, les sages et les valeureux, mais aussi les plus voraces, les plus fortunés, et les malveillants. N'est-il pas normal qu'on s'y perde quand chacun se dit être l'ami du roi?
Faiseurs d'images
Je ne cherche surtout pas à défendre M. Jean Charest; il a l'expérience et les ressources politiques pour le faire. Je défends en revanche, comme Bernard Crick avant moi dans son In Defense of Politics, la politique (activité et science) qui, me semble-t-il, ne mérite pas ce dirigisme idéologique populaire voulant qu'elle nous pue à ce point au nez. Si les faiseurs d'images s'intéressaient moins à l'image justement et davantage aux enjeux fondamentaux, peut-être ne joueraient-ils pas à ce point les vierges offensées et prendraient du recul face à ce qui se déroule en ce moment.
La corruption, le favoritisme et le népotisme sont consubstantiels à la vie politique depuis toujours. Décriés par les Rouges d'Antoine-Aimé Dorion en 1864, les Réformistes en 1840 et Papineau avant eux, les tours de passe-passe attirent l'attention et sont vertement dénoncés de gouvernement en gouvernement. Davantage aujourd'hui, puisqu'on exige le respect du principe de transparence dans la gestion des deniers publics (Loi sur l'administration publique, art.1).
Mais au-delà de ce qui peut sembler, à juste titre, répugnant, il ne faut pas oublier que l'activité politique doit demeurer animée par la volonté de servir l'ensemble des citoyens. Que ce qui se passe en ce moment, au lieu d'alimenter le cynisme des citoyens, soit une invitation pressante à l'exercice d'une vigilance citoyenne et d'une plus grande participation politique. En conclusion, par-delà le cynisme, il reste encore des politiciens, agents de l'État, professeurs et citoyens qui s'intéressent à la politique, à la défense du fait français, à l'environnement, à la justice sociale, à la laïcité de l'État ainsi qu'au fédéralisme canadien et qui s'en préoccupent.
***
Marie-Christine Gilbert - Candidate au doctorat à l'École d'études politique de l'Université d'Ottawa
Par-delà le cynisme
USA - le fascisme est là!
Marie-Christine Gilbert1 article
Candidate au doctorat à l'École d'études politique de l'Université d'Ottawa
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé