Commission fédérale de valeurs mobilières

Ottawa va trop loin, dit la Cour d'appel

Bachand demande au gouvernement fédéral de renoncer à son projet d'empiètement sur les compétences provinciales

AMF - Québec inc. VS Toronto inc.


François Desjardins - Le projet du gouvernement Harper visant à mettre sur pied une commission fédérale de valeurs mobilières excède les responsabilités constitutionnelles d'Ottawa, a estimé hier la Cour d'appel du Québec trois semaines après un jugement similaire de la Cour d'appel de l'Alberta.
Le jugement, qui survient deux semaines avant que la Cour suprême entreprenne essentiellement le même exercice d'analyse, a été celui de quatre juges, dont le juge en chef. Un cinquième juge ayant participé aux travaux s'est inscrit en dissident.
«Il ne faut pas confondre le refus des provinces de mettre sur pied une commission fédérale au cours du dernier siècle et leur incapacité à s'acquitter de cette tâche», a écrit le juge en chef de la Cour d'appel, J. J. Michel Robert, au début d'une décision qui compte environ 200 pages lorsqu'on additionne les commentaires des quatre autres juges.
En gros, la Cour a estimé qu'il est faux de prétendre que le projet présente un «double aspect» — un sujet sur lequel le fédéral et les provinces peuvent légiférer en complémentarité — parce que la loi proposée par Ottawa semble carrément vouloir se substituer aux régimes provinciaux.
Quant au juge dissident, Pierre J. Dalphond, il a affirmé qu'Ottawa a la compétence requise pour adopter sa loi dans la mesure où elle encadrerait un marché des capitaux qui est extraprovincial et international. En parallèle, il a critiqué le libellé de la question soumise à la Cour par le gouvernement Charest en déclarant qu'il y voyait là «une tentative de colorer l'exercice».
Aussi, il s'est interrogé sur la pertinence pour la Cour de répondre à la question puisque la Cour suprême va le faire dans quelques semaines. «Pour permettre aux parties de se livrer à des répétitions avant la seule performance qui comptera, soit celle en avril à Ottawa? Pour tenter de marquer des points dans l'opinion publique? Afin de tenter d'influencer la Cour suprême?», a-t-il écrit.
Vieux rêve
Le litige porte sur deux articles de la Constitution. Ottawa affirme que l'article 91.2 de la Constitution, qui lui confère la responsabilité de la «réglementation du trafic et du commerce», devrait aussi inclure le secteur des valeurs mobilières. Or, depuis toujours, celui-ci est attribué à l'article 92.13, qui en fait un champ de compétence provincial en l'intégrant à «la propriété et [aux] droits civils».
Le projet de fonder une agence pancanadienne qui remplacerait les commissions provinciales de manière à appliquer une réglementation uniforme d'un océan à l'autre est un rêve qui circule depuis des décennies dans les officines fédérales.
M. Flaherty, fort de l'appui de Bay Street et de l'industrie bancaire qui trouvent l'actuel système pittoresque et inefficace, est passé à l'acte en mai 2010. En présentant son projet de loi à la Chambre des communes, il l'a immédiatement soumis à la Cour suprême pour obtenir un avis constitutionnel. L'audition est prévue les 13 et 14 avril.
Six provinces, dont le Québec et l'Alberta, estiment que les juges de la Cour suprême devraient répondre à M. Flaherty que le projet d'Ottawa excède les compétences du gouvernement fédéral.
Présentement, les provinces réglementent l'industrie des valeurs mobilières chacune de leur côté, mais coordonnent leurs efforts et harmonisent les règles par l'entremise des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, un organisme dirigé jusqu'à récemment par le président de l'Autorité des marchés financiers du Québec.
Le Canada est le seul pays avancé qui fonctionne sans agence centralisée, ce qui complique parfois les représentations internationales, car Ottawa ne peut parler d'une seule voix. Les adversaires de M. Flaherty font généralement valoir que le système canadien a été bien coté par des organismes comme l'OCDE.
Le ministre Flaherty ne commente plus vraiment le sujet sous prétexte que celui-ci est désormais devant les tribunaux.
Bachand demande un retrait
Le ministre des Finances, Raymond Bachand, a demandé hier à Ottawa de «renoncer à son projet d'empiétement sur les compétences provinciales en matière de valeurs mobilières».
«Le fait que les cours d'appel du Québec et de l'Alberta aient conclu que le gouvernement fédéral ne disposait pas des pouvoirs, en vertu de la Constitution canadienne, pour réglementer les valeurs mobilières est une preuve éloquente que les prétentions du Québec étaient fondées», a déclaré M. Bachand dans un communiqué.
Cette demande du ministre va plus loin que les propos qu'il a tenus au début du mois de mars, lorsqu'il a dit que «le gouvernement fédéral aurait minimalement tout intérêt à mettre sur la glace son plan de transition vers un encadrement fédéral jusqu'à ce que la Cour suprême se soit prononcée».
Au début du mois, cinq juges de la Cour d'appel de l'Alberta ont écrit qu'«une province ne peut consentir au transfert de ses pouvoirs constitutionnels au gouvernement fédéral» et que le projet d'Ottawa «représente une intrusion du gouvernement fédéral dans un domaine occupé depuis longtemps par les provinces».


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