L'idée peut paraître dès l'abord farfelue. Plongeons quand même et exposons cette petite gêne qui me brûle la langue depuis un quart de siècle: se peut-il que, lors des référendums de 1980 et de 1995 sur la souveraineté du Québec, nous n'ayons jamais posé la bonne question?
C'est connu que, lors des référendums, le non l'emporte souvent. C'est du moins l'impression que j'en ai. Pensons aux deux référendums sur la souveraineté, à celui sur l'entente de Charlottetown, à celui sur la conscription. Je vois d'ici le sourire amer du général de Gaulle qui y a aussi laissé sa peau à la suite d'un non retentissant. On ne voulait pas de son ultimatum. Sans oublier le non servi à Chirac par les Français à propos de l'Union européenne.
Je ne suis ni historien ni politologue, seulement un souverainiste convaincu de la nécessité du pays depuis au-delà de quarante ans, un souverainiste de fond -- comme on le dit d'un coureur -- qui a su développer une ardente patience, dans l'humilité, dans l'espérance que chacun et chacune en vienne à vouloir aussi ce pays du Québec. Cette patience m'aura heureusement permis de peaufiner mon idée même du pays: naguère, je voulais un pays souverain. Je le veux encore souverain maintenant, mais je le veux aussi français, laïc et vert. Je reviens à mon propos.
Je pose ici une simple intuition: il ne m'apparaît pas normal de dire oui dans la vie. Quand cela arrive, c'est une exception, un cas d'espèce. Tous les traités de psychologie nous le confirment, il est tout à fait normal de dire non. Nous avons tous, vers l'âge de deux ans, eu notre crise du non. C'est ainsi qu'un enfant s'affirme et devient lui-même. En vieillissant, nous désapprenons à dire non. Actuellement, le reproche le plus courant que les gens se font à eux-mêmes, au niveau de leur vie professionnelle, est celui-ci: il faudrait bien que j'apprenne à dire non, que je pense un peu à moi. Et si le Québec commençait aussi à penser un peu à lui-même?
Culturellement -- ou traditionnellement --, nous ne disions oui qu'à deux seules occasions dans nos vies: au baptême et au mariage. Si quelqu'un d'autre, un parrain, répondait en notre lieu et place au moment du baptême, il ne restait qu'un seul moment pour dire «oui je le veux» à la face du monde. Au mariage. Étant donné que les gens se marient de moins en moins, je crains que le oui ne soit en train de devenir obsolète.
Pour avoir un pays un jour, il nous faudrait peut-être d'abord décider de quitter le Canada puis, dans un deuxième temps, se faire notre pays avec une proclamation d'indépendance, une Constitution provisoire, etc. Nous ne saurions imaginer un ado de dix-sept ans et demi qui irait se louer son premier logement avant d'avoir pris la décision de quitter le nid familial, avant d'avoir dit un non magistral à sa famille d'origine pour se permettre de rêver à son home personnel. Et s'il en était de même pour le choix d'un pays?
Rappelons-nous le beau film de Franco Zeffirelli, François et le chemin du soleil, dans lequel nous voyions un François d'Assise devant tous ces gens qui représentent les traditions de son époque, autant familiales, religieuses que politiques, qui hurle un non magistral avant de se dévêtir et de quitter l'assemblée, et ainsi se permettre de devenir l'homme que l'on sait.
Quelle serait alors la question qui pourrait commander un non aussi magistral et dont on entendrait l'écho des Maritimes aux Rocheuses, d'un océan à l'autre (comme le dit si bien la devise du Canada, devise spatiale, un vrai slogan publicitaire du Canadien Pacific, sans verbe, une devise tout à fait passive contrairement à celle du Québec -- Je me souviens -- qui est une phrase active, porteuse de sens, d'histoire, le temps retrouvé)? Quelle serait donc cette question, sans ambiguïté, dans laquelle les mots ne diraient que ce qu'ils ont à dire?
Le Québec doit-il continuer à faire partie du Canada? Cette question m'apparaît claire, sans aucune marge d'interprétation; elle ne joue pas avec le sectarisme ou le misérabilisme -- province de Québec; elle parle de deux entités distinctes; elle affiche le caractère obligatoire; elle tient compte de l'histoire, de la longue cohabitation qui nous a unis.
Cours d'histoire 101 accéléré
Je pressens que se ferait alors entendre un non historique, qui nous apporterait enfin le pays rêvé. Pour ce qui est de la viabilité d'un Québec souverain, ce n'est plus à démontrer: nos succès économiques, technologiques, scientifiques, artistiques (Robert Lepage, Céline Dion, Cirque du Soleil) et même politiques (la Charte de la diversité culturelle adoptée à l'UNESCO, et par au-delà de cinquante pays), cela nous prouve à chaque jour que nous avons tout, et depuis longtemps, ce qu'il faut pour être un pays et avoir notre voix propre dans le concert des nations. Le premier ministre Charest n'a-t-il pas reconnu lui-même publiquement en France que nous avions tout pour être indépendants?
Il faut reconnaître que la campagne publicitaire pour le Non au dernier référendum était assez unique, d'une grande finesse quelque peu démagogique, mais néanmoins efficace: «Non merci», clamait-elle.
Rêvons un peu. J'imagine le courant d'air frais que cela apporterait dans une campagne référendaire si l'on posait quelques petites questions destinées à rafraîchir la mémoire des Québécois?
Voulez-vous d'autres scandales des commandites? Non merci.
Voulez-vous d'un premier ministre qui ne paie pas d'impôt et qui cache sa fortune personnelle dans les paradis fiscaux? Non merci.
Voulez-vous payer, chers concitoyens, à même vos impôts, 1200 $ pour une balle de golf avec l'autographe de Jean Chrétien? Non merci.
Voulez-vous être invité à la table somptueuse de l'ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault pour y manger un magret de canard confit à l'armagnac dont l'addition sera payée par les générations à venir? Non merci!
Voulez-vous continuer à payer des impôts à deux endroits; à avoir la Reine à beaux chapeaux comme souveraine; à entretenir un Sénat mortifère? Non merci.
On le constate aisément, la campagne référendaire pourrait tenir lieu de cours d'histoire 101 accéléré.
Alors que l'on s'apprête à faire subir une cure de rajeunissement au programme même du Parti Québécois, j'invite tous les décideurs de toutes les instances du parti à ne rien enlever du dit programme, seulement en rajouter.
Le pays dont je rêvais en 1964 après avoir serré la main de Lionel Groulx qui venait de m'autographier -- gratuitement -- son livre Chemins de l'avenir, n'est plus le même. Je le veux maintenant ouvert sur le monde, un vrai pays, réel. On l'a imaginé et rêvé depuis si longtemps ce pays qu'il nous faut revenir à la simplicité. Et pourquoi pas à cette simplicité qui nous ferait d'abord nous demander: le Québec doit-il continuer à faire partie du Canada?
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Réjean Bonenfant, Écrivain trifluvien en résidence d'écriture
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