Non, la mondialisation n’est pas « heureuse »

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« Nous sommes dans un moment post-démocratique qui garde les apparences de la démocratie représentative et libérale, mais où la démocratie n’est plus que l’image d’elle-même. »


 

 

 



On nous intime de croire au libéralisme et à la « mondialisation heureuse ». Tout indique pourtant leur échec: ceux qui souffrent le crient dans la rue et sont de plus en plus nombreux. En guise de réponse, on leur demande de le faire avec le sourire.




Le débat du vendredi 25 « co-animé » par Cyril Hanouna et la ministre Marlène Schiappa, débat dont on justifie le caractère positif par le fait qu’il a été regardé par plus d’un million de téléspectateurs, et qu’il en a émergé « plusieurs propositions », semble avoir constitué la quintessence de la « politique-spectacle ». En attendant le prochain, pendant « Danse avec les Stars », « The Voice » ou « Qui veut gagner des Millions ? ». En réalité, c’est beaucoup plus grave que cela. Il existe une dérive générale de la politique, dont l’écrivain Matthieu Baumier donne la clef dans un article du FigaroVox qui présente son dernier livre, Voyage au bout des ruines libérales-libertaires.


« La démocratie n’est plus que l’image d’elle-même »


Il y dit d’abord quelque chose que nous savons déjà, mais qui s’exprime chaque jour plus clairement : « L’idéologie libérale-libertaire est à l’évidence l’idéologie de notre temps, celle qui structure notre société. Pour Jean-Claude Michéa, c’est la rencontre entre la pensée économique libérale et ce qu’il nomme la pensée libertaire, en référence au primat du désir individuel qui s’est imposé. […] Ce primat de l’individu est le point commun entre le social-libéralisme, ce que nous appelons habituellement la gauche, et le libéralisme-social, ce que nous appelons en général la droite. Pour moi, ce sont les deux faces d’une même idéologie. Il n’y a pas de différence fondamentale entre ces prétendues droite et gauche. » La crise des gilets jaunes, consécutive à l’effacement de cette différence factice gauche/droite par Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle, a enfin mis en lumière la véritable et principale menace interne de notre société, la fracture sociale. Ainsi, comme le dit Matthieu Baumier : « 2017 n’est pas la victoire d’une nouvelle manière de faire de la politique mais la poursuite du même pouvoir idéologique libéral-libertaire par d’autres moyens. »



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A la question suivante du journaliste, qui lui demande si « cette idéologie a paradoxalement dévoyé l’idéal de liberté, au point de présenter une dérive totalitaire ? », Matthieu Baumier répond : « Une minorité d’individus, à l’échelle planétaire […] œuvre à instituer ce mode de fonctionnement […] en s’appuyant sur l’industrie du bonheur, sur ‘l’happycratie’. » Et c’est ce concept d’ « happycratie » qui est intéressant. Baumier précise ensuite sa pensée, en montrant « comment une image virtuelle du monde s’impose à nous, prétendant être la réalité », « le rôle que joue la technoscience [nda : et la presse !] dans ce processus » et « ce qui advient maintenant : une déréalisation du réel quotidien », puis il ajoute : « Nous sommes dans un moment post-démocratique qui garde les apparences de la démocratie représentative et libérale, mais où la démocratie n’est plus que l’image d’elle-même. Nous vivons dans une image d’un monde que nous pensons être encore le vrai monde. Nous sommes sortis du réel, au profit d’une réalité imaginaire et divertissante. »


L’happycratie des méchants et des gentils


Bien plus que le « débat-spectacle » Schiappa-Hanouna, c’est précisément cette dérive-là, parce qu’elle est sourde, permanente, quotidienne, telle que « nous vivons dans une image d’un monde que nous pensons être encore le vrai monde » alors que « nous sommes sortis du réel », sans même nous en rendre compte, « au profit d’une réalité imaginaire et divertissante », qui est la plus grave, car elle est le signe d’une peur « munichoise » de tout risque de conflit, et aussi de l’immaturité qui est la nôtre, dans cette société postmoderne.



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Nous savons que les relations entre les peuples et les nations ont toujours été faites de rapports de forces, où le faible est irrémédiablement écrasé, et nous nous laissons prendre pourtant à l’idéologie d’une « mondialisation heureuse », avec des méchants d’un côté et des gentils de l’autre. Lorsque certains disent qu’il est important de se faire respecter de tous, qu’il faut savoir préparer, montrer sa force, pour ne pas laisser les agresseurs prendre confiance, nous répondons que c’est fasciste, et qu’il faut dire à nos ennemis : « Vous n’aurez pas notre haine » (mais nous aurons la leur…).


Nous voyons tous les jours, dans certaines banlieues, au Proche Orient et en Afrique, les ravages que produit l’islam politique, et nous croyons pourtant, dès qu’on nous l’assène avec un peu de conviction, que l’islam est « une religion de paix et d’amour ».


 

La horde des sacrifiés


Alors que notre ordre républicain repose sur les principes de l’état-civil, de l’administration  et des frontières, nous avons sur notre sol des milliers et des milliers de personnes entrées illégalement et non référencées à l’état-civil. Ces personnes ont été livrées sans scrupules, souvent par leurs propres familles, avec l’appui tacite de leurs gouvernements, à d’ignobles passeurs, qui les laissent mourir de soif dans les déserts (beaucoup y laissent leur vie, semble-t-il) ou se noyer dans les mers, avant d’être exploités à nouveau dans nos pays « d’accueil » par les mafias ou les entreprises sans scrupules. Lorsque certains disent qu’il faut arrêter cette horreur coûte que coûte, on leur répond que tout cela est bénéfique, qu’ils sont racistes, et nous laissons faire.


Nous voyons tous les samedis défiler, à Paris et en province, des retraités, employés et petits patrons sans le sou, qui sont tout sauf des professionnels de l’agit-prop ou des casseurs, et qui nous disent, tout simplement, qu’ils travaillent, qu’ils ne bouclent pas leurs mois, qu’ils ne s’en sortent plus et qu’ils en ont marre, mais nous croyons le gouvernement et les médias lorsqu’ils nous racontent que ces gens représentent un mouvement disparate, qui ne sait pas ce qu’il veut, et dont il faut surtout, à coups de grenades lacrymogènes et de flashballs, arrêter la violence.


Nous croyons encore au libéralisme, alors que ceux qui en sont les victimes le crient en ce moment sous nos yeux.


Un débat en trompe-l’oeil


Et nous croyons au « Grand débat national », même sans Cyril et Marlène. Pensons-nous vraiment qu’on va mettre, autour des tables des mairies de villages et de quartiers, 60 millions de Français à discutailler, et qu’il va en sortir, comme par miracle, les propositions, petites ou grandes, ordonnées et cohérentes, qui vont nous sortir de l’ornière, et ceci alors même que les ministres et le président affirment, par ailleurs, qu’il ne faut surtout pas « changer de cap » ? Pensons-nous vraiment que la mise en forme de ces idées, si tant est qu’on les mette en forme, sera faite de façon impartiale ? Ne voyons-nous pas suffisamment que ce débat sert surtout au gouvernement et au président à se mettre en scène et à gagner du temps ? Comment pouvons-nous en même temps dire que nous ne croyons plus à rien de ce qui vient des politiques, à cause de leur duplicité (ni aux médias, qui les accompagnent dans cet opprobre), et penser qu’il sortira quelque chose d’utile de ce processus bricolé, ultra-médiatisé, et détourné de ses fins dès le premier débat ? Mais d’où viennent donc cette inconséquence et cette cécité ?


Croyez-le


Matthieu Baumier a raison. Notre problème, c’est notre immaturité profonde, notre préférence pour « une réalité imaginaire et divertissante » et notre envie, surtout, de ne pas voir et de ne pas savoir. Comme nos jeunes qui se réfugient dans les paradis artificiels de la drogue, de l’alcool ou de la défonce pour ne pas avoir à affronter le monde, l’ « happycratie » nous sert de drogue. Tout sera beau demain, croyez-le ! Le « grand débat » réussira, croyez-le ! Ceux qui nous gouvernent l’ont parfaitement compris,  et nous ont collé un Grand débat-spectacle, en pariant que nous allions nous y jeter tête baissée, pour ne pas faire face au problème qui se pose et qui, lui, est bien réel : une bonne partie de nos concitoyens, qui travaillent, survivent avec peine mais ne vivent pas. Et en fait de réponse, le gouvernement les promène, et nous avec. C’est ça, la réalité. Allons-nous enfin sortir du rêve ?