La fête nationale 2015 n’échappe pas aux deux travers de notre époque : couper les sous et couper la parole. Des pressions pour le ratatinement plutôt que pour donner du souffle. Le Québec pourtant vaut bien une fête et des envolées qui, le temps d’un soir, le sortent de son statut étriqué de province.
La Coalition avenir Québec (CAQ) a enfourché la semaine dernière un nouveau cheval de bataille : la dépolitisation de la fête nationale, en demandant que son organisation soit retirée des mains du Mouvement national des Québécois (MNQ).
La proposition a beaucoup fait réagir, mais ce n’était pas une première. On a oublié qu’en 1975, après les spectaculaires célébrations de la Saint-Jean-Baptiste (qui deviendra la fête nationale en 1977) dont elle avait présidé l’organisation sur le mont Royal, Lise Payette avait remis un rapport clair et net à ce sujet. Voici comment elle le résume dans son autobiographie Des femmes d’honneur : « Je suggérais que l’organisation des fêtes à venir soit confiée à une corporation autonome et apolitique, et que cette corporation soit autorisée à organiser une loterie annuelle [la fête de 1975 avait elle-même été financée par une loterie appelée La Québécoise] dont elle rendrait compte au ministère des Affaires culturelles du Québec […]. Je voulais ainsi assurer la décommercialisation de la fête à tout jamais et faire disparaître ce côté “quêteux” auprès des hommes d’affaires. »
Mme Payette, en fait, souhaitait que la Saint-Jean se réinvente, devienne un événement aussi vaste et rassembleur que l’incroyable pari qu’elle avait réussi et qui avait concentré sur le mont Royal pendant cinq jours et cinq nuits (eh oui !) des gens de toutes provenances et de toutes générations. Il s’agissait de voir grand, d’assumer sa fierté — en fait que la fête nationale soit l’occasion d’un « moment de grâce » tourné vers l’avenir, disait sa chronique de vendredi dernier.
Mais cette fête mythique de 1975 était-elle pour autant dépolitisée ? Non. C’est là que Gilles Vigneault a créé Gens du pays, là qu’« Yvon Deschamps fit jurer à la foule de ne parler que le français pendant toute l’année qui allait suivre », raconte encore Mme Payette dans son autobiographie.
C’est à cette aune que l’on voit que la dépolitisation souhaitée par la CAQ n’est pas de la même eau : il ne s’agit pas, pour le parti, de réinventer une façon de se rassembler, mais simplement de retirer de la fête nationale les agaçants discours patriotiques. Ceux-ci ne sont pourtant plus qu’une courte parenthèse des grands spectacles. Les artistes eux-mêmes s’y avancent avec prudence. Stéphane Archambault, qui livrera le discours de cette année sur les plaines d’Abraham, expliquait samedi à La Presse le défi que cela représentait : « Il faut galvaniser le monde, être politique, mais pas trop, inclusif… J’ai essayé de rester général. » Et c’est cela qui serait de trop ? C’est de la bien petite politique que la CAQ essaie ici de brasser.
Plus inquiétants sont les problèmes de financement. Changement de gouvernement oblige, le MNQ n’a pas eu les 4,4 millions que lui avait promis le gouvernement Marois ; des commandites ont par ailleurs été réduites. Du côté du monde des affaires, serons-nous surpris d’apprendre qu’en cette ère de commercialisation d’abord, « personne n’a embarqué », pour citer le directeur général du MNQ, Gilles Grondin ?
Il faut « préserver le caractère unique, civique et non mercantile de notre fête nationale », revendique une pétition signée de près de 200 personnalités. Elles ont raison : cette année, on fait des arrangements — pour économiser, le grand spectacle de Montréal se tient ce 23 juin, place des Festivals —, l’an prochain sans doute du rafistolage, puis ce sera le bricolage… Le Québec mérite une fête digne, et il faut que son financement sorte des ornières qui l’enlisent. Les idées folles de 1975 ont toujours leur place.
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