Ne donnons pas le pouvoir aux enfants

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« Qui prend la jeunesse pour une déesse se condamne à subir toutes les modes sans avoir d’emprise véritable sur elles. »

On n’arrête pas le progrès, ou du moins, ce qui se fait passer pour tel. Il suffit qu’une idée s’en réclame pour qu’immédiatement, la société médiatique l’acclame et fasse passe pour des ploucs ceux qui en doutent. Et pourtant, il faut savoir résister aux fausses idées de génie. La dernière en date, c’est de faire voter les enfants aux prochaines élections. Le 1er octobre, dans les bureaux de scrutin, on installera un isoloir qui leur sera particulièrement destiné. Évidemment, il s’agira d’un jeu. Ils ne voteront pas pour un candidat mais pour un sujet d’ordre général. Ils exprimeront une préférence collective sur un grand sujet collectif. C’est ainsi, apparemment, qu’on leur apprendra l’exercice de la démocratie et qu’on les préparera à devenir un jour des électeurs consciencieux.


Mais c’est une très mauvaise idée. Elle repose sur une forme d’idéalisation de l’enfance, qui est assez contradictoire avec les qualités requises pour bien participer à la vie politique. L’enfant est beau, plein de vie, lumineux, turbulent, et tout ce qu’on voudra, mais il ne connaît rien au monde et se caractérise aussi par son ignorance des choses de la cité. Il n’est pas responsable du monde. Se tourner vers lui pour éclairer la vie commune consiste à demander à une ignorance naïve et facilement impressionable de conduire moralement le destin collectif. Les enfants, même les plus brillants, ne sont pas habilités à diriger un pays. Ils sont à l’heure et à l’âge où ils doivent se faire former pour avoir les compétences civiques minimales exigées par la démocratie.


À l’inverse, la participation à la vie publique suppose une conscience au moins minimalement informée. C’est pourquoi on dit de l’école qu’elle doit contribuer à former des citoyens. Sans une conscience historique, géographique et politique minimale, comment voter? Célébrer le vote spontané et naïf des enfants, comme s’il disait une vérité profonde sur notre monde, cela consiste à dévaloriser le sérieux propre à l’exercice démocratique.


Cette initiative du DGE en dit beaucoup sur la perte de confiance du monde adulte dans la société contemporaine.


Il suffit aujourd’hui que la «jeunesse» s’enthousiasme pour une idée ou une pratique culturelle pour que d’un coup, on y voit quelque chose de positif et d’admirable. La jeunesse veut chanter en bilingue ou même chanter en anglais à la Saint-Jean? On aime en conclure qu’elle est plus ouverte culturellement alors qu’on pourrait plutôt penser qu’elle se laisse imposer sans trop de résistance l’hégémonie mondiale de l’anglais et des schèmes de pensée américains. On voit la jeunesse déserter la question nationale? On loue son cosmopolitisme éclairé alors qu’on pourrait plutôt se désoler de son manque d’enracinement, et reprocher aux générations précédentes d’avoir échoué ou renoncé à transmettre l’identité nationale. On la découvre sympathique à la fluidité des identités de genre? On annonce qu’enfin, avec elle, l’anthropologie multimillénaire de l’humanité basée sur la reconnaissance du masculin et du féminin éclatera enfin alors qu’on pourrait plutôt s’inquiéter de la radicalisation de l’individualisme qui pousse les nouvelles générations vers le fantasme de l’autoengendrement.


Qui prend la jeunesse pour une déesse se condamne à subir toutes les modes sans avoir d’emprise véritable sur elles. Il s’agenouille. Qui osera dire à la jeunesse qu’elle peut se tromper et qu’elle peut faire de vraies conneries? Qui osera dire que l’opinion d’un enfant de 9 ans sur les changements climatiques ou l’accueil des migrants ne nous intéresse pas vraiment? La jeunesse a moins besoin d’être vénérée qu’éduquée. Cela présuppose que nous croyons suffisamment à la valeur de notre monde, à la nécessité de le transmettre.