Alexandre Shields - Les ressources de gaz de schiste du Québec pourraient valoir plusieurs dizaines de milliards de dollars, mais leur exploitation ne devrait pas permettre de créer autant d'emplois que ce que l'Association pétrolière et gazière du Québec affirme depuis des mois. Qui plus est, l'État québécois en tirerait des revenus moindres que ceux qu'on fait miroiter à l'heure actuelle. C'est du moins ce qui ressort de la fameuse étude produite par SECOR sur l'évaluation des retombées économiques du développement de cette filière, étude dont Le Devoir a obtenu copie.
Alors qu'André Caillé a souvent évoqué la possibilité de créer entre 7500 et 15 000 emplois en exploitant à grande échelle les gaz de schiste des basses-terres du Saint-Laurent, l'étude de SECOR évoque plutôt «un soutien à la création de 5000 emplois annuels» pour la période 2016-2025.
Et de façon générale, une majorité de ceux-ci sont «indirects», selon une règle d'un pour trois.
Pour obtenir le chiffre des 5000 emplois de ce «scénario de base», il faudra cependant que l'industrie atteigne son «rythme de croisière», ce qui équivaut à forer un minimum de 150 puits chaque année, pour des dépenses annuelles d'exploration de 632 millions. L'étude, intitulée «Évaluation des retombées économiques du développement des shales de l'Utica», fait d'ailleurs état de la possibilité d'une croissance rapide du nombre de forages entre 2010 et 2015.
Les représentants des entreprises gazières ont toutefois pris soin hier de répéter que le potentiel du sous-sol québécois restait à démontrer. Qui plus est, ils ont souligné que le prix exceptionnellement bas du gaz sur le marché, qui se situe actuellement autour de 3,75 $ le millier de pieds cubes, pourrait contrecarrer d'éventuels plans de développement. D'autant plus que l'étude de SECOR (dans cette version datée de mai 2010 et jamais rendue publique) se base sur un scénario où le prix du gaz se situerait à 6 $ pour quantifier les emplois et les retombées économiques. N'empêche qu'en évaluant sa valeur à 5,15 $ — comme le font les auteurs de l'étude —, le «potentiel commercialisable» du Québec (de 8750 à 40 750 milliards de pieds cubes) pourrait valoir entre 45 et 210 milliards. Un montant qui risque fort d'augmenter à moyen terme.
Si ces chiffres paraissent énormes, l'État québécois ne bénéficierait peut-être pas autant du développement de cette filière que ce qu'on laisse croire depuis des semaines, si on se fie à l'évaluation effectuée par SECOR à la demande de l'Association pétrolière et gazière du Québec. En fait, les «recettes» — droits de forage, fiscalité, parafiscalité et redevances — que tirerait le gouvernement du Québec pour la période 2016-2025, soit en pleine activité d'exploitation commerciale, s'élèveraient à 1,2 milliard. Cela équivaut à une moyenne de 120 millions par année. Et pour cette période, on parle de redevances annuelles de 68 millions. Pour celle qui va de 2010 à 2015, les recettes se chiffreraient à 233 millions pour l'État québécois, en comptant les redevances.
Mais l'étude a été réalisée en fixant le taux des redevances à 10 %, et le prix du millier de pieds cubes de gaz à 6 $. Si on peut estimer que le prix du gaz pourrait effectivement atteindre ce montant à court ou moyen terme, la ministre des Ressources naturelles s'est toutefois engagée à fixer les redevances au-delà du taux actuel de 12,5 %. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, a quant à lui indiqué hier que Québec pourrait imposer des redevances qui varieraient en fonction du prix du gaz sur le marché. En clair, le gouvernement pourrait aller sous les 10 % lorsque les prix seraient trop bas.
Étude «conservatrice»
SECOR prend soin, dans ce document de 72 pages, de dire que son étude est «conservatrice». On précise ainsi qu'elle ne tient pas compte des dépenses de transport et de distribution du gaz naturel extrait, ni «des effets dynamiques ou structurants pour l'économie du Québec». Les auteurs estiment en outre qu'«au moment où l'activité atteint son rythme de croisière», la «création de richesse» s'élèverait à 300 millions pour le Québec.
Mais la firme qui a produit le rapport a aussi étudié un scénario beaucoup plus ambitieux, un scénario dit «optimiste» qui comprendrait le forage de plus de 600 puits par année, et ce, dès 2015. Une telle activité permettrait de créer près de 20 000 emplois directs et indirects. Dans ce cas, le gouvernement du Québec pourrait toucher 3 milliards sur 10 ans, dont 2,9 milliards en redevances, si celles-ci étaient fixées à 10 %. Sur une base annuelle, cela représente 290 millions. La ministre Nathalie Normandeau a déjà indiqué qu'à l'heure actuelle, le Québec pourrait toucher 230 millions par année en redevances, et ce, avec une exploitation beaucoup moins importante.
Le document, qui doit être rendu public dans les prochains jours dans le cadre des travaux du Bureau des audiences publiques sur l'environnement, précise par ailleurs que «la part des dépenses d'exploration réalisées au Québec est de 38 % en 2010. Elle devrait être de 62 % en 2015» en raison d'une augmentation marquée du recours aux travailleurs québécois.
Pour cela, on suppose qu'«une main-d'oeuvre locale se formera et prendra le relais de travailleurs temporaires venus d'autres provinces ou d'États américains», selon ce qu'on peut lire dans l'étude. Le cégep de Thetford Mines plancherait effectivement déjà sur l'adaptation de son programme de technologie minérale de façon à répondre aux besoins de l'industrie gazière. Fait à noter, c'est la phase exploratoire qui nécessite le plus de main-d'oeuvre. Dans le scénario de création de plus de 5000 emplois, 4950 emplois seraient dus à l'exploration, et seulement 182 à l'exploitation.
Gaz de schiste
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé