Miser sur la crise de régime: réponse à la réponse de Martine Ouellet

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« C’est la crise de régime qui poussera au référendum gagnant sur l’indépendance, pas l’inverse. »


*** Je consacrais ma chronique de samedi à Martine Ouellet. Elle y a répondu aujourd'hui . Je me suis permis de répondre à sa réponse avec ce texte.


J'ai de l'estime pour Martine Ouellet. C’est une militante infatigable de la cause de l’indépendance, qui est aussi la mienne. Elle garde la flamme du pays vivante et convainc bien des militants de poursuivre leur combat même si les temps sont durs. C’est méritoire.  


Mais au fil des ans, j’en suis arrivé à une conclusion. L’indépendance n’arrivera pas au terme d’une longue démarche pédagogique sous un ciel paisible, où les souverainistes auront convaincu 50% + 1 des électeurs de voter Oui, un à la fois. L’histoire des peuples ne s’écrit pas de manière aussi simple. Elle a besoin d’événements-symboles, pour reprendre la formule du philosophe Jean Roy. Si l’indépendance doit advenir, et elle adviendra, c’est au terme d’une crise de régime, qui révélera les contradictions structurelles de la fédération canadienne.   


Je suis convaincu d’une autre chose: cette crise prendra forme autour de ce qu’on appelle la question identitaire. C’est elle qui recharge existentiellement la politique, aujourd’hui. De ce point de vue, la loi 21 est la meilleure chose qui soit arrivé à la cause souverainiste depuis longtemps. En elle-même, elle était légitime et nécessaire, évidemment. Mais en plus de cela, elle représente un geste de souveraineté implicite qui entre en contradiction radicalement avec l’ordre canadien, qui repose sur une adhésion quasi-religieuse au multiculturalisme.   


Avec la loi 21, les Québécois ont rompu avec le multiculturalisme canadien. Il faudra utiliser la loi 21 comme un socle, et pousser toujours plus loin la construction de la société distincte québécoise dans la fédération, comme le dirait Christian Dufour. Tôt ou tard, le régime canadien, se braquera. Notre existence comme peuple lui est insupportable. Il suffit que les Québécois agissent comme une nation pour qu’ils se fassent accuser de suprémacisme ethnique. On le voit déjà au Canada anglais.  


Les Québécois, de bonne foi, auront cherché à faire valoir leurs aspirations à la laïcité dans la fédération. De bonne foi, ils auront cherché à affirmer leur identité. Ils redécouvriront alors que le cadre canadien est un corset qui les étouffe. Et cette crise, pour prendre une comparaison historique, aura probablement les effets d’un nouveau Meech. Elle créera les circonstances historiques exceptionnelles nécessaires pour que l’indépendance revienne au cœur de la vie politique et que les Québécois renouent avec elle.   


Martine Ouellet dira que nous avons déjà démontré cent fois l’impossibilité d’un destin Québécois au Canada. C’est juste. Mais les peuples oublient, et les Québécois ont perdu la mémoire de leur subordination politique. Le régime fédéral a travaillé à les canadianiser et à désubstantialiser leur identité. Ils doivent refaire l’expérience des limites insurmontables du Canada.  


Je ne sais pas si cette crise arrivera dans le présent mandat, ou dans le prochain, plus probablement, mais elle arrivera. C’est elle qui peut nous conduire au pays. Je ne sais pas si, dans ce contexte, les autonomistes au pouvoir feront le choix de rompre avec leur fédéralisme circonstanciel. C’est possible. La conversion de François Legault à l’autonomisme est sincère mais superficielle. Il pourrait bien décider, devant la crise, de renouer avec ses plus vieilles convictions, ses plus profondes aussi. Il se pourrait aussi que bien des caquistes, ayant joué de bonne foi le jeu du Canada, se rendent compte que le seul avenir qu’il nous réserve est de nous transformer en minorité ethnique résiduelle condamnée aux lamentations impuissances. Il se pourrait aussi qu’une telle crise ramène un parti indépendantiste dans notre vie politique. Nul ne connaît l’avenir. Cette crise, assurément, transformerait la donne politique au Québec.  


Une chose me semble certaine, toutefois. D’ici là, les souverainistes doivent s’inscrire au cœur de la dynamique politique actuelle. Loin de bouder le nationalisme autonomiste de la CAQ, ils doivent l’accompagner jusqu’à la crise, tout en rappelant sans cesse son insuffisance. Je constate par ailleurs que le nationalisme de la CAQ commence déjà à s’essouffler. Saura-t-il aller au-delà de la loi 21? Son test des valeurs est ridicule et relève de la communication politique. Et déjà, il propose de rehausser les seuils d’immigration, comme s’il s’excusait de la baisse cosmétique qu’il avait déjà imposé. Le souverainisme ne doit pas regarder de haut le nationalisme caquiste mais le doubler sur la question identitaire.   


Un parti indépendantiste qui saurait parler le langage du nationalisme plutôt que donner des gages au progressisme médiatique oserait en appeler à un vrai renforcement des lois linguistiques, il plaiderait pour une politique d’intégration mettant en valeur le modèle de la culture de convergence, il aurait le courage de rappeler la baisse nécessaire et significative des seuils d’immigration. Il militerait aussi pour un usage généralisé de la clause nonobstant, pour marquer son refus du gouvernement des juges.   


Il y aurait de la place, en ce moment, pour un parti indépendantiste tirant toutes les conséquences de la renaissance du nationalisme québécois. Tel devrait être le sens, aujourd’hui, d’une action politique indépendantiste redéfinissant son action non plus dans la perspective du grand soir référendaire mais d’un nationalisme militant, posant clairement la question du régime, et poussant, au terme de cela, les Québécois à se poser la question de leur avenir politique. L’avenir du parti souverainiste, aujourd’hui condamné aux marges parlementaires, devrait pour cela nous intéresser.  


C’est la crise de régime qui poussera au référendum gagnant sur l’indépendance, pas l’inverse. 




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