Michel Chartrand s'éteint

2010 - nos disparus

Marie-Andrée Amiot - Seule la mort aura réussi à faire taire Michel Chartrand qui s'est éteint lundi soir à l'âge de 93 ans. La raison de son décès n'a pas encore été révélée, mais il était connu qu'il était malade depuis un certain temps. On ignore s'il a rendu son dernier souffle à son domicile.
Homme de parole, comme l'a baptisé son biographe Fernand Foisy, héros de télésérie avec sa femme Simonne, caricaturé par Dominique Michel dans d'inoubliables Bye Bye, Chartrand symbolisait, pour des milliers de Québécois, le syndicaliste anarchiste, l'homme qui disait tout haut ce que plusieurs n'osaient même pas penser.
Né à Outremont, le 20 décembre 1916, Chartrand se définissait comme le «militant honnête et droit, qui dit les choses telles qu'elles sont, sans détour et sans fard». Orateur hors du commun, remarquable de présence et de charisme, Michel Chartrand incarnait à lui seul une tradition syndicale et socialiste.
«Je suis socialiste, nationaliste et indépendantiste parce que je crois en la démocratie: le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Je crois à l'égalité de toutes les femmes et de tous les hommes, parce que je crois en la justice, parce que je crois en la liberté à conquérir quotidiennement. Je crois que chacune et chacun doit être en mesure de participer aux décisions et d'assurer des responsabilités à son niveau», avait-il déclaré en entrevue.
Michel Chartrand n'a jamais voulu écrire son autobiographie. Mais, en vitupérant comme c'était son habitude, il a souvent laissé échapper des confidences, pudiquement et rapidement noyées par son rire sonore.
Fernand Foisy, compagnon de route de Chartrand pendant plus de 35 ans, a rédigé la biographie du syndicaliste en quatre tomes. Alors que celui-ci présidait le Conseil central de la CSN, Foisy en fut le secrétaire général de 1968 à 1974. Il y décrit le parcours de son héros de 1968 jusqu'à 2003 en se disant témoin privilégié de ces moments passés à ses côtés. «Autant il peut être difficile, parfois bougon ou colérique, autant sa disponibilité et sa générosité nous font oublier ses travers.»
Les petites gens, le monde ordinaire ont une admiration secrète pour Michel Chartrand. Je dis «secrète» car ils n'osent pas toujours clamer cette admiration de peur d'endosser ses excès verbaux et son langage sans détour», indiquait-il dans une entrevue accordée à La Presse en 2003.
L'ancien président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Gérald Larose, qui a notamment côtoyé Chartrand au Conseil central de Montréal de la CSN, l'a déjà décrit comme un homme « bouillant».
Malgré ses excès, Chartrand était un homme raffiné, qui aimait les bons vins, la grande musique, la littérature et la peinture.
Il aura connu des événements marquants dans sa vie. Certains sont connus comme son arrestation durant la crise d'octobre de 1970 en vertu de la Loi des mesures de guerre où il est resté en prison pendant quatre mois. D'autres le sont moins, comme le décès de sa fille Marie-Andrée tuée accidentellement par son conjoint qui avait pointé un fusil sur sa tempe et déclenché la détente ignorant qu'une balle se trouvait dans le canon.
Michel Chartrand a été soixante ans aux mêmes barricades. Père de sept enfants, forgés aux mêmes idéaux par lui bien sûr, mais aussi et peut-être surtout par sa femme Simonne, aussi militante que lui, à sa façon, et qui fut la seule qui ait pu lui tenir tête tout en l'épaulant constamment pendant un demi-siècle.
Pour expliquer les nombreux discours de sa vie, il expliquait qu'il y avait deux choses qu'il connaissait bien: la politique et le syndicalisme: «Ça fait 60 ans! C'est sûr que c'est déprimant. Je suis pessimiste intellectuellement et optimiste volontairement. Parce qu'on peut changer des affaires. Il y a beaucoup de choses qui me font râler copieusement. Par exemple, le système dans lequel on se trouve est antidémocratique: on ne sait pas quel gouvernement est responsable de quoi.»
La pensée de Michel Chartrand, il était le premier à le reconnaître, ne se distinguait pas par sa subtilité ou sa finesse. Il fut l'homme d'une cause: la dignité des travailleurs.
«Petit, moi, j'étais heureux, raconta-t-il à la veille de ses 80 ans. On faisait courir la police à Outremont, on volait des pommes, puis des poires.» Hélène Patenaude, sa mère, lui a tiré les oreilles une seule fois et s'en est voulu. Son père ne parlait pas, sinon pour lui dire: «Un ouvrier, même s'il a les mains sales est un homme honnête. Méfie-toi plutôt des cols blancs.»
À Anne Richer, qui l'avait interviewé chez lui, à Saint-Marc-sur-le-Richelieu, il y a quelques années, il avait déclaré que «tout le monde devrait faire de la politique. En démocratie, c'est un devoir. Assumer des responsabilités à son niveau; voir à ce que le monde s'épanouisse. On est nés pour le bonheur, quel que soit notre handicap physique ou mental, quels que soient nos parents ou nos gênes. Et pour le bonheur, il faut un minimum: manger, se faire soigner, s'éduquer. Pis travailler. On s'épanouit par le travail! »
- Avec la collaboration de Pierre Vennat


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé