Merci l'État

Crise mondiale — crise financière

Au terme d'une ribambelle de réunions, les chefs d'État du monde industriel ont convenu de secourir une planète financière fracassée, ainsi qu'en témoigne la violence des évolutions boursières, par le sauve-qui-peut. Par le chacun-pour-soi. Le remède choisi? L'injection d'une forte dose d'État. Bref, on nationalise à tout va.
Au cours des quatorze derniers mois et non des dernières semaines, les banques centrales de l'Amérique du Nord, de l'Europe et du Japon ont abreuvé l'univers de milliards de capitaux, en plus d'accorder aux banques une série de soldes sur l'argent emprunté. Rien n'y fit. Le virus inhérent aux subprimes s'est avéré si pernicieux qu'il avait abaissé les bilans de Lehman Brothers au statut de légende.
Cette réalité bien comprise, les pouvoirs publics en Europe et aux États-Unis se sont employés à éviter la faillite à bon nombre d'institutions imposantes de par leur taille. Aux États-Unis, le secrétaire au Trésor est allé jusqu'à nationaliser Fannie et Freddie et à investir des milliards dans AIG, avant de confectionner un plan d'aide d'un montant de 700 milliards. Rien n'y fit. La Bourse a continué sa dégringolade.
Depuis hier, ce n'est plus le cas. En effet, les places boursières en Asie, en Europe et aux États-Unis ont emprunté un chemin totalement contraire à celui observé au cours du dernier mois. Cette embellie, ce sursaut est essentiellement attribuable à la contre-offensive arrêtée, coordonnée par les États. Grosso modo, à Washington et à Paris, les membres du G7 et du G20 ont adopté trois politiques: injection de liquidités par les banques centrales, garantie d'État des prêts interbancaires, recapitalisation des banques. Pour dire les choses comme elles sont, les gouvernements ont décidé de faire main basse en tout ou en partie, c'est selon, sur le système bancaire.
L'homme à l'origine de cette impulsion s'appelle Gordon Brown. Il est premier ministre du Royaume-Uni, après en avoir été ministre des... Finances pendant plus de dix ans. Aujourd'hui, certains le félicitent. C'est aller un peu vite en besogne. Car s'il est vrai que Brown a donné l'exemple en nationalisant avec force, c'est que, nécessité faisant loi, il n'avait pas d'autre choix. On s'explique.
Lorsqu'il était argentier du royaume, Brown s'est toujours posé en militant de la financiarisation de l'économie, en ardent défenseur de la City de Londres et en adversaire de la Banque centrale européenne, dont il est bien content qu'aujourd'hui elle lui vienne en aide. Au cours de la dernière décennie, lui et ses homologues américains ont eu mille et une possibilités de corriger les effets désastreux de cette «arme financière de destruction massive», pour reprendre le mot de Warren Buffett, qu'on ne peut soupçonner de déviance gauchiste, qu'est le Credit Default Swap (CDS).
Il se trouve que, les établissements financiers américains et britanniques ayant consommé davantage de CDS que les Allemands et les Français, ils sont évidemment plus exposés. Histoire d'éluder le débat ou plutôt de tuer dans l'oeuf les questions qui fâchent, on veut faire croire au commun des mortels que ce produit est si complexe qu'on ne savait pas et qu'on ne sait toujours pas de quoi il retourne. Il est exact que les singularités techniques de cet ovni comptable le parent de mystères.
Cela rappelé, lorsqu'on s'attarde à sa fonction, son objet, son en-soi, tout devient simple: ce produit ne dit pas ce qu'il est. Il est pour ainsi dire un mensonge, une escroquerie, car il est en fait un Credit Default Insurance. Une assurance sur le non-remboursement. Il faut bien comprendre, il faut bien saisir, que si les inventeurs de ce produit à gogo n'ont pas qualifié, n'ont pas nommé, n'ont pas baptisé leur rejeton de Credit Default Insurance, c'est parce qu'ils voulaient se mettre en dehors du radar des autorités réglementaires qui, soit dit en passant, portent leur part de responsabilité.
Par un de ces hasards dont l'histoire a le secret, le prix Nobel d'économie a été accordé hier à Paul Krugman, professeur à Princeton et chroniqueur au New York Times. Et alors? Dans son dernier essai, L'Amérique que nous voulons, par ailleurs remarquable, Krugman explique que l'un de ses sujets d'étude part du constat formulé en 1936 par Franklin Delanoe Roosevelt: «Ils [NDLR: les financiers responsables de la Grande Dépression] avaient commencé à considérer le gouvernement des États-Unis comme un simple appendice à leurs affaires privées. Nous savons maintenant qu'il est tout aussi dangereux d'être gouverné par l'argent organisé que par le crime organisé.» On ne saurait évidemment mieux dire.


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